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Nestlé veut créer une "Nespresso" à alicaments

Le géant suisse de l'agroalimentaire travaille sur un distributeur capable de mesurer puis délivrer quotidiennement les nutriments dont chaque individu a besoin.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Bientôt, avec votre café du matin, votre dose de protéines, vitamines, minéraux pour la journée ? C'est, en tout cas, ce sur quoi travaille Nestlé, avec son projet de machine à nutriments "Iron Man". (STAN FAUTRE  / ONLY FRANCE)

Une alimentation sur-mesure, au quotidien. Le tout dans des capsules servies par une machine Nespresso 2.0, installée entre le micro-ondes et le réfrigérateur, dans la cuisine de demain. C'est le projet futuriste dans lequel s'est lancé Nestlé, depuis la fin de l'année 2013. Son nom de code : "Iron Man".

Lundi 22 juin, le groupe agroalimentaire suisse a annoncé qu'il travaillait sur une machine à nutriments, adaptée aux besoins de chacun. Son but : mesurer puis délivrer quotidiennement, sous une forme encore inconnue, vitamines, minéraux, etc. afin de corriger les excès ou les carences de chaque individu. 

Emmanuel Baetge est le patron de la Nestlé Institute of Health Sciences, la filiale du groupe qui cherche à développer des aliments qui empêcheront l'apparition de maladies, des alicaments, et qui pilote ce projet. Il affirme que l'étonnante machine pourrait ressembler au "replicator" de Star Trek. Dans l'univers de la série, le synthétiseur de nourriture peut matérialiser un repas de choix en quelques secondes.

Un projet réalisable ?

Si le projet semble tout droit sorti d'une œuvre de science-fiction, les recherches de Nestlé sont pourtant bien réelles. Quinze des 110 scientifiques de le Nestlé Institute of Health Sciences (NIHS) travaillent au quotidien sur la "Nespresso" à nutriments. "Dans le passé, la nourriture n'était que de la nourriture. Nous, nous allons dans une nouvelle direction", explique Emmanuel Baetge. 

Situé en plein cœur du campus de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, le NIHS s'est vu doté, en 2012, d'un budget de 415 millions d'euros sur dix ans par le géant suisse, d'après le journal Les Echos. La société développe des "outils" qui permettent de mesurer plus efficacement les taux de vitamines, de protéines, d'acides aminés dans le corps.

Aujourd'hui, les médecins s'y prennent de plusieurs façons : "Certains nutriments sont visibles dans la salive ou dans les cheveux, décrypte Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l'institut Pasteur de Lille. D'autres nécessitent une prise de sang, et parfois même des prélèvements dans les tissus adipeux." Ces analyses reviennent cher aujourd'hui : entre 50 dollars et 200 dollars par nutriment mesuré, donc environ 1 000 dollars pour un profil complet, selon Bloomberg (en anglais).

Le groupe suisse devra drastiquement réduire les coûts de réalisation des profils nutritifs et inventer une technique d'analyse grand public. Pour le moment, il ne dévoile pas encore sa recette. "Vous aurez votre nourriture en appuyant sur un bouton, explique seulement Emmanuel Baetge. Si nous réussissons notre coup, l'appareil pourrait être le prochain micro-ondes dans votre cuisine".

Un projet commercialisable ?

Si le dessein commercial est si bien assumé, c'est parce que le secteur de la nutrition médicale est aujourd'hui l'un des plus porteurs de l'agroalimentaire. Rien qu'en France, le marché devrait croître de 5 % en 2015 et en 2016 pour atteindre 325 millions d'euros, selon une étude du cabinet d'expertise Xerfi, publiée le 16 mai.

Et sur ce créneau, les titans de l'agroalimentaire se mènent une guerre sans merci. En mars, Nestlé était en concurrence avec trois autres groupes, dont l'américain Abbott, pour racheter la filiale de nutrition à fonction médicale de Danone, Nutricia. Cette division a réalisé un chiffre d'affaires de 1,34 milliard d'euros en 2013, selon Les Echos. 

D'un point de vue légale, il n'y a pas d'obstacles pour mettre des compléments alimentaires à la vente, tant qu'ils ne sont pas dangereux pour la santé. Du beurre censé limiter le cholestérol aux yaourts destinés à améliorer le transit, nombreuses sont les marques qui innovent sur le marché des alicaments. Avec un diagnostic personnalisé, que l'Iron Man a l'ambition de fournir à son utilisateur, Nestlé coifferait tous ses concurrents au poteau.

Un projet souhaitable ? 

Une telle machine peut-elle vraiment être utile à notre santé ? Le nutritionniste Jean-Michel Lecerf n'est pas contre la commercialisation d'un tel appareil, s'il est utilisé dans un but médical. "On sait aujourd'hui que les nutriments peuvent avoir un impact sur le développement de certaines maladies dégénératives comme la maladie d'Alzheimer ou le diabète", justifie le médecin. Cette innovation permettrait donc de mieux suivre les patients. 

Cependant, le meilleur moyen de maîtriser son alimentation reste de faire attention à ce qu'on mange, pour le spécialiste. "Ça fait 30 ans que l'on nous parle de nutrition artificielle, du 'tout dans un biberon'. Ce sont des balivernes. On a tout ce qu'il faut dans la nature pour ne pas avoir de déficit nutritionnel."

Autre argument contre la machine à alicaments : le côté austère des "repas-capsules". "La nutrition est aussi un acte social et de plaisir. On est en train de perdre deux des principales fonctions de l'alimentation", déplore le nutritionniste. Reste donc à inventer aussi la capsule appétissante.

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