Six questions sur la chimiothérapie au 5-FU que certains patients ne supportent pas
Quatre familles de victimes portent plainte contre X, lundi, pour homicides involontaires, blessures involontaires et mise en danger de la vie d'autrui. Elles accusent le 5-FU, une molécule souvent utilisée dans des traitements anticancéreux, d'effets indésirables mortels.
"Elle s'est éteinte dans des souffrances atroces. Si elle avait été soignée dans un hôpital pratiquant le dépistage, elle serait en vie aujourd'hui." Dans L'Obs, Alain Rivoire raconte comment son épouse, Roselyne, est morte en septembre 2016, des suites d'une intoxication à sa chimiothérapie. En cause ? Une molécule souvent utilisée dans les traitements contre le cancer : le 5-FU (ou 5-fluorouracile).
Quatre familles de victimes de la toxicité d'une molécule de chimiothérapie déposent plainte lundi 4 février contre X, reprochant aux autorités sanitaires de ne pas avoir recommandé plus tôt un test qui aurait permis de déceler leur sensibilité à ce traitement, selon leur avocat.
Les plaintes "contre X pour homicide involontaire, blessures involontaires pour mise en danger de la vie d'autrui, qui émanent des proches de trois personnes décédées et d'un homme qui a souffert gravement de cette toxicité, sont déposées au pôle santé du tribunal de grande instance de Paris", a précisé Me Vincent Julé-Parade. Pour trois d'entre eux, "la cure qui devait les soigner les a envoyés au cimetière", accuse-t-il. Explications.
Qu'est-ce que le 5-FU ?
Le 5-fluorouracile, dit 5-FU, est une molécule prescrite dans le cadre de chimiothérapies, seule ou combinée avec d'autres anticancéreux. Elle est utilisée dans le traitement des "cancers digestifs, notamment colorectaux, du pancréas, de la sphère ORL et du sein", détaille Michèle Boisdron-Celle, biologiste à l'Institut de cancérologie de l'Ouest (ICO), interrogée par franceinfo. Chaque année en France, 80 000 personnes atteintes d'un cancer sont traitées avec cette molécule, selon une étude de la Haute Autorité de santé (HAS) et l'Institut national du cancer (INCA).
Pourquoi peut-il être dangereux ?
Chez certains patients, le 5-FU peut provoquer des effets secondaires graves. Il s'agit des malades présentant un déficit en dihydropyrimidine deshydrogénase (DPD), une enzyme qui permet d'éliminer le 5-fluorouracile de l'organisme. Certains malades ne présentent qu'un déficit partiel en DPD : c'est le cas d'"environ 3 à 8% des individus", d'après la HAS et l'INCA.
Ces malades, qui éliminent mal le 5-FU de leur organisme, et notamment les femmes âgées, du fait de leur métabolisme, d'après Michème Boisdron-Celle, peuvent manifester des effets secondaires comme "la diminution des plaquettes et de cellules immunitaires dans le sang" et des atteintes digestives, comme des diarrhées ou des vomissements, détaille Le Figaro. D'après le quotidien, ces effets secondaires nocifs seraient constatés "chez 15% à 40% des patients qui reçoivent du 5-FU".
Chez les malades présentant un déficit total en DPD, les effets toxiques du traitement anticancéreux au 5-FU peuvent se révéler mortels. "Entre 0,01 et 0,5% des individus" sont concernés par un déficit total, toujours selon la HAS et l'INCA.
Combient y a-t-il de personnes concernées ?
Interrogé par franceinfo, Vincent Julé-Parade, l'avocat des familles de victimes, affirme que l'allergie au 5-FU provoquerait chaque année "la mort de 200 personnes au bas mot". Une estimation impossible à confirmer car il n'existe pas de recensement de ces cas et il est difficile d'évaluer combien de morts sont imputables aux effets secondaires du 5-FU, et non au cancer lui-même. D'autant que la molécule est "souvent associée à d'autres traitements", "avec de fréquents recouvrements des effets toxiques potentiels", note la HAS et l'INCA.
"Quelques familles se sont posés des questions, en se demandant pourquoi leur proche, qui présentait un état général acceptable, a pu mourir en une semaine dans des souffrances épouvatables", explique Vincent Julé-Parade. Au fil des témoignages similaires à sa propre expérience, Alain Rivoire a donc constitué l'Association de défense des victimes du 5-FU.
Existe-t-il une solution pour détecter cette déficience ?
Des tests existent pour permettre de détecter le déficit de dihydropyrimidine deshydrogénase mais ils ne sont pas systématiquement proposés aux patients à qui l'on prescrit une chimiothérapie basée sur le 5-FU. "En général, c'est parce qu'il y a eu un mort que les oncologues, très ébranlés, décident de le faire", explique Joseph Ciccolini, pharmaco-biologiste à l'hôpital de la Timone à Marseille, dans L'Obs.
Ces tests ne sont recommandés par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) que depuis le 28 février 2018. Cet avis n'a pas de valeur contraignante même si Michèle Boisdron-Celle souligne que depuis cette recommandation, "le nombre de patients testés a doublé, passant de 6 000 en 2017 à 12 000 en 2018". La spécialiste souligne toutefois que ce chiffre est très "insuffisant" au regard des 80 000 personnes soignées avec du 5-FU chaque année.
Le test devrait pourtant être inclus dans tout protocole de chimiothérapie, ça devrait être l'étape numéro 1.
Vincent Julé-Paradeà franceinfo
Face à ce qu'elles qualifient de négligence, les familles de victimes s'apprêtent ainsi à porter plainte contre X. Mais la Haute Autorité de santé et l'Institut national du cancer affirment de leur côté que "à l'heure actuelle, aucune méthode n'est vraisemblablement en mesure d'identifier tous les patients déficitaires en DPD, partiels ou complets, de façon fiable".
Pourquoi ce test n'est-il pas systématiquement pratiqué ?
Tous les laboratoires n'ont pas les moyens techniques de pratiquer ce dépistage. "Il faut que les hôpitaux s'organisent petit à petit avec les biologistes et cela ne se fait pas du jour au lendemain", explique Michèle Boisdron-Celle à franceinfo. A l'automne 2017, seuls 18 laboratoires français étaient en mesure de pratiquer le test pour détecter une déficience du DPD, selon le rapport de l'HAS.
Pour la biologiste de Institut de cancérologie de l'Ouest, il ne s'agit pas tant de multiplier le nombre de laboratoires compétents mais de "faciliter le voyage des prélèvements", réalisés par simple prise de sang. "Le risque est que le test soit mal réalisé par des laboratoires qui n'ont pas suffisamment l'habitude de le pratiquer" indique-t-elle.
Depuis le 18 décembre, l'INCA a arrêté une méthode précise de dépistage, imposée à tous les laboratoires. Mais selon Michèle Boisdron-Celle, il s'agirait d'un test moins cher et moins performant que d'autres. "On risque de mal diagnostiquer les patients", craint-elle.
Existe-t-il des alternatives au 5-FU ?
Tout dépend du type de cancer et du stade auquel il est traité. Une chimiothérapie prescrite comme adjuvant pour prévenir un risque de cancer du sein peut être remplacée par un traitement différent, à base d'autres molécules. "Dans certains cancers digestifs, il est difficile de s'en passer", note toutefois Roger Faroux, vice-président de la Fédération francophone de cancérologie digestive, dans L'Obs.
Pour traiter ces cancers de l'appareil digestif, comme ceux du colon ou du pancréas, "le 5-FU est quasi incontournable", confirme Michèle Boisdron-Celle. Mais dans ce cas, la chimio sera adaptée au métabolisme du patient en diminuant la dose de 5-fluorouracile. "Le traitement n'en sera pas moins efficace, bien au contraire", rassure la biologiste.
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