Vaccin contre les papillomavirus : "Il faut aujourd'hui que l'Etat prenne des positions fortes" pour le pédiatre Robert Cohen
Selon la Ligue contre le cancer, environ un tiers des parents ne sont pas convaincus de l'intérêt de la vaccination contre le papillomavirus pour leurs enfants, ce que déplore sur franceinfo le Pr Robert Cohen, pédiatre-infectiologue à l'hôpital intercommunal de Créteil.
Le Pr Robert Cohen, pédiatre-infectiologue à l'hôpital intercommunal de Créteil et président du Conseil national professionnel de pédiatrie, appelle jeudi 28 avril sur franceinfo l'Etat à prendre des "positions fortes" pour renforcer la vaccination des adolescents contre les papillomavirus, alors que la Ligue contre le cancer lance une campagne en ce sens.
Cette vaccination patine avec seulement 45% des adolescentes de 16 ans ayant fait leur première dose en 2021, et à peine 6% des adolescents de 15 ans, pour qui ce vaccin est recommandé depuis seulement un an. Selon la Ligue contre le cancer, qui a commandé un sondage à Opinion Way, environ un tiers des parents ne sont pas convaincus de l'intérêt de cette vaccination pour leurs enfants.
franceinfo : Ressent-on la méfiance à l'égard du vaccin chez les parents de vos patients ?
Robert Cohen : Oui, on la ressent d'autant plus que c'est un vaccin qu'on fait à l'adolescence, dans une période où il est plus difficile de vacciner que lorsque les enfants sont tout petits. Au début, ce vaccin a soulevé beaucoup de polémiques, et au fur et à mesure, elles ont trouvé des réponses scientifiques. Ce n'est pas plus dangereux que les autres vaccins, c'est efficace non seulement contre les infections à papillomavirus mais aussi contre des lésions précancéreuses. On sait aujourd'hui que c'est efficace contre les cancers aussi, avec un taux d'efficacité très important. Au fur et à mesure, on a eu des réponses à ces polémiques, mais on ne les a pas assez données aux parents et aux adolescents. On a plusieurs vaccins à faire aux enfants vers 11 ans. On a le diphtérie-tétanos-polio-coqueluche, il faut mettre à jour ceux contre la varicelle et l'hépatite B. On a un vrai carrefour vaccinal vers 11-12 ans, c'est essentiel pour cette vaccination.
Les adolescents et leurs parents savent-ils que les garçons sont aussi concernés par ce vaccin ?
Au début, ce vaccin était étiquetté "contre le cancer du col de l'utérus", car 99% des cancers du col de l'utérus sont associés à ce virus. On s'est aperçu au fur et à mesure des années qu'il y avait bien d'autres cancers pour lesquels ces papillomavirus, pouvaient jouer un rôle : on pense aux cancers ORL plus fréquents chez les garçons que chez les filles, aux cancers de la vulve, du vagin, du pénis. Ce sont des cancers liés avec moins de force aux papillomavirus que le cancer du col de l'utérus, mais ils y sont liés. La vaccination protège aussi de ces cancers-là.
La difficulté à vacciner contre les papillomavirus est-elle liée au fait que ce soit souvent lié au début de la sexualité ?
Oui ! C'est vrai que c'est une maladie sexuellement transmissible, mais on n'a pas besoin de rapports sexuels complets pour se contaminer par le papillomavirus. Le papillomavirus peut se transmettre par des flirts un peu poussés, par des caresses. À 30 ou 40 ans, 80% des gens ont été en contact avec des papillomavirus. C'est une infection extrêmement fréquente.
Pourquoi a-t-on une mauvaise couverture vaccinale contre les papillomavirus ?
D'abord, le vaccin n'est pas assez proposé par les médecins qui craignent d'être face à un refus. Quand c'est proposé, les parents l'acceptent dans 60% à 70% des cas : ce n'est pas suffisant. Il faut leur donner toutes les explications. Certains parents disent que [ce vaccin] est trop récent. Est-ce que les gens savent que cela fait 22 ans qu'il est étudié ? Est-ce que les gens savent qu'en Australie et dans toute l'Europe du Nord, 90% des filles et maintenant des garçons sont vaccinés, et qu'on est déjà à des centaines de millions d'adolescents vaccinés sans risques supplémentaires ?
Cette faible couverture vaccinale s'explique-t-elle aussi par une défiance des Français envers la vaccination ?
Il y a ce rapport qui date pratiquement de la crise de l'hépatite B, là encore avant les années 2000, puisque c'est là où la France a commencé à se différencier des autres pays en termes d'hésitations vaccinales. Tout ce qu'on a pu prendre comme le scandale du vaccin contre l'hépatite B, c'est ce qui a retenti sur les images de la vaccination. Pendant longtemps, les autorités étaient aussi plus réticentes à s'impliquer dans des programmes de vaccination. Maintenant, ce n'est plus le cas. Les vaccins pour les nourrissons ont été rendus obligatoires depuis 18 ans. On voit comment l'Etat s'est engagé dans la vaccination contre le Covid-19. Il faut aujourd'hui que l'Etat prenne des positions fortes sur la vaccination [contre les papillomavirus], comme pour le Covid-19. La rendre obligatoire, ce n'est pas le propos, mais il faut répondre à toutes les questions à travers des voies officielles, accompagnées de campagnes de publicité.
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