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POINT DE VUE. Pourquoi l'effet placebo ne doit pas devenir la caution scientifique de l'homéopathie

La ministre de la Santé est favorable au maintien du remboursement de l'homéopathie, médecine qui, selon elle, a "probablement un effet placebo". Vraiment ? Olivier Desrichard, professeur de psychologie à l'université de Genève (Suisse), s'est penché sur le sujet.

Article rédigé par The Conversation - Olivier Desrichard
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Des tubes de granulés homéopathiques, le 20 mai 2016 à Brest (Finistère). (FRED TANNEAU / AFP)

L’homéopathie est l’une des médecines non conventionnelles les plus populaires en France. Régulièrement, ses défenseurs et ses détracteurs s’affrontent au sujet de son mode d’action. La polémique est relancée depuis la publication en mars d’une tribune controversée dans Le Figaro, où 124 professionnels de santé taxent l’homéopathie de "fake médecine".

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a réaffirmé le principe du remboursement des granules par l’Assurance maladie, auquel les signataires du texte veulent mettre fin. À l’appui de sa position, elle déclarait sur Europe 1 : "En tant que scientifique, je considère que l’homéopathie ne peut pas fonctionner autrement que par l’effet placebo. En tout cas, rien n’a jamais été prouvé d’autre."

L’effet placebo serait-il en passe de devenir le nouveau fondement rationnel pour justifier l’usage de l’homéopathie en médecine ? Si tel est bien le cas, alors il convient de s’y intéresser de plus près. En examinant si l’effet placebo en général, et celui prêté à l’homéopathie en particulier, fonctionne dans les situations de soin courantes.

Une certaine efficacité thérapeutique, à travers l’effet placebo ?

Un nombre imposant d’études scientifiques indique que les substances hyper-diluées de l’homéopathie ne sont pas supérieures à des traitements placebos, c’est-à-dire ne contenant pas de molécule active. Ces études ont été utilisées par les détracteurs de l’homéopathie pour conclure à son absence d’efficacité. Depuis peu, les défenseurs de cette médecine alternative retournent l’argument, affirmant que ces travaux montrent scientifiquement l’équivalence de l’homéopathie et de l’effet placebo. Autrement dit, ces résultats confirmeraient que l’homéopathie peut avoir un certain effet thérapeutique, à travers l’effet placebo.

C’est par exemple la position d’un généraliste de Pessac (Gironde), diplômé en homéopathie, estimant sur le site de 20 Minutes qu’avec la prescription de l’homéopathie, "on a le même effet placebo que les autres médicaments". Pour sa part, le journaliste de France Inter spécialiste des sciences Mathieu Vidard qualifie cette prescription de "part de magie permettant de soigner".

Ainsi, une forme de réconciliation en faveur de l’homéopathie se dessine, en France ou encore en Suisse. Elle suit un raisonnement en trois étapes :

  1. L’homéopathie est un traitement placebo ;

  2. À ce titre elle permet de soigner – au pire elle ne fait pas de mal ;

  3. Cet effet justifie sa diffusion et son remboursement partiel par l’Assurance maladie.

En tant que phénomène scientifique, l’effet placebo existe bel et bien. Dans son livre Le Mystère du placebo, le psychiatre Patrick Lemoine le définit comme un "effet thérapeutique obtenu par l’administration de comprimés, de liquides, d’injections et toutes procédures qui n’ont pas d’effet spécifique sur la maladie à traiter". Des travaux lui sont consacrés depuis plusieurs décennies, et la part de magie ou de mystère qu’il recèle encore ne cesse de se réduire. Les facteurs qui le déterminent et les mécanismes biologiques, psychologiques et comportementaux qui le sous-tendent sont de mieux en mieux connus.

L’effet placebo est-il utilisé actuellement dans le but de soigner ? Des études sur ce sujet encore tabou, réalisées auprès de généralistes de la région Rhône-Alpes ou du canton de Zurich en Suisse montrent que oui. Une majorité des médecins interrogés par questionnaire disent rechercher un tel effet en prescrivant, en toute connaissance de cause mais sans le dire, des produits n’ayant pas d’effet pharmacologique connu sur le symptôme de leurs patients.

Il est plus difficile d’y recourir ouvertement. En 2001, le psychiatre Jean‑Jacques Aulas avait tenté de distribuer en pharmacie le Lobepac (anagramme de placebo), "élixir psycho-actif" ne cachant pas son statut de placebo, mais seulement 500 flacons avaient été vendus.

Néanmoins, l’hypothèse d’un usage thérapeutique de l’effet placebo est séduisante : puisque dans certaines conditions, on observe un effet placebo, pourquoi ne pas l’utiliser dans le cadre d’une pratique médicale courante ? Les bénéfices en seraient évidents, à commencer par celui de soigner sans exposer le corps à des produits chimiques aux effets secondaires incertains.

Comparer le traitement placebo à l’absence de traitement

Pour s’assurer que le placebo fonctionne dans la pratique courante, on se heurte à un problème de méthodologie. Car à quoi comparer une intervention placebo ? En médecine conventionnelle, la méthode reine est l’essai contrôlé-randomisé, où l’on compare généralement le traitement actif à… un groupe prenant un placebo.

Dès 1996, le professeur de médecine britannique Edzard Ernst préconisait de résoudre le problème en comparant le traitement placebo à l’absence de traitement. Cette méthode permet de distinguer l’effet placebo de nombreux événements qui peuvent survenir naturellement lorsqu’on est malade, par exemple une guérison spontanée, la diminution des symptômes ou un changement de leur évaluation par le patient.

Par exemple, en 2006, des chercheurs britanniques du Royal Homeopathic Hospital et du Royal College de London ont réparti des patients souffrant d’eczéma soit dans un groupe A avec un traitement homéopathique, soit dans un groupe B qui n’en prenait pas. Au bout d’un certain temps, ils ont évalué l’évolution des symptômes de leurs patients. Les chercheurs n’ont pas constaté de différence entre les patients qui prenaient le traitement homéopathique (groupe A) et ceux qui ne le prenaient pas (groupe B).

Pas d’effet placebo dans la vie réelle

Des études évaluant des traitements placebos par cette méthode sont publiées régulièrement. Deux chercheurs de l’institut Cochrane nordique à Copenhague (Danemark), Asbjørn Hróbjartsson et Peter Gøtzsche, les recensent depuis 2001. Ils en fournissent les méta-analyses les plus complètes. Leurs résultats montrent que, dans la majorité des cas, les interventions placebos ne se différencient pas de l’absence de traitement. Lorsque des différences sont observées pour certaines catégories d’études (par exemple les études où ce sont les patientes qui reportaient eux-mêmes l’évolution de leurs symptômes), celles-ci sont faibles et cliniquement insignifiantes.

La conclusion de ce travail est claire : dans la vie réelle, il ne suffit pas de donner un placebo pour produire un effet placebo. Sur cette base, on peut penser que les médecins qui recourent à un placebo se leurrent quant à ses effets thérapeutiques sur le patient. Les conditions ne sont pas forcément réunies pour que ceux-ci se produisent.

Pour en revenir au cas spécifique de l’homéopathie, cette médecine non conventionnelle n’a été que rarement comparée à une absence de traitement. En 2013, la biologiste Claire Haresnape, chercheuse à l’université de Londres, ne recensait que trois études de ce type. Le nombre est trop faible pour en tirer des conclusions et de nouvelles études devraient être menées. Cependant, l’étude citée plus haut ainsi que celle publiée en 2007 par une équipe de la faculté de médecine de Grenoble concluent, déjà, à l’équivalence entre homéopathie et absence de traitement.

Une indication peut également être tirée des méta-analyses danoises, qui affinent les différentes interventions placebos par catégories. Celle des interventions pharmacologiques, dans laquelle se rangerait l’homéopathie, ne parvient pas plus que les autres à démontrer une efficacité cliniquement significative.

The ConversationAinsi, ceux qui cherchent à donner un appui à l’homéopathie à travers l’effet placebo s’appuient sur une base scientifique très fragile. Car l’utilisation de l’effet placebo dans un contexte de soins n’a pas encore passé avec succès l’épreuve des faits.

Olivier Desrichard, professeur de psychologie, Université de Genève

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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