Cet article date de plus de trois ans.

Vrai ou faux Le Covid-19 est-il devenu la première maladie nosocomiale en France ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Des soignants au chevet d'un malade du Covid-19 en soins intensifs le 8 décembre 2020 à l'hôpital Jacques-Cartier de Massy, en région parisienne. (PASCAL BACHELET / BSIP)

Plus de 44 000 cas de contamination au Covid-19 à l'hôpital ont été signalés en plus d'un an, mais d'autres infections nosocomiales touchent chaque année bien plus de patients.

Des patients entrés pour une visite de routine et ressortis avec le Covid-19. Des soignants contaminés sur leur lieu de travail. Des visiteurs arrivés avec un bouquet de fleurs et repartis avec le virus. Les établissements de santé français ont rapporté 44 401 cas de Covid-19 nosocomiaux, entre le 1er janvier 2020 et le 14 février 2021.

Parmi ceux-ci, 26 839 concernent des patients, dont 186 ont trouvé la mort ; 17  552 sont des professionnels de santé et 10 des visiteurs. Près de 71% des signalements relèvent de clusters impliquant au moins trois malades. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Ile-de-France et Hauts-de-France totalisent près de la moitié de ces signalements.

Ces chiffres, mentionnés à la 35e page d'un point épidémiologique de Santé publique France le 18 février, étaient passés inaperçus, jusqu'à ce qu'ils soient repris dans un article du Figaro le 1er mars. A quel point ces infections au Covid-19 à l'hôpital sont-elles préoccupantes ?

Un phénomène connu, à analyser avec prudence

Ces contagions nosocomiales en pleine épidémie sont courantes. "On a ça tous les ans", confirme Karine Blanckaert, médecin hygiéniste au Centre de Prévention des infections associées aux soins (CPIAS) des Pays de la Loire. "Au moment des épidémies hivernales de grippe, il y a des clusters dans les établissements de santé", explique la spécialiste de l'hygiène hospitalière. "On a quand même moins de cas d'infections nosocomiales en phase épidémique hivernale habituelle", objecte son confrère Gabriel Birgand, pharmacien spécialisé en hygiène hospitalière et épidémiologie.

Karine Blanckaert remarque toutefois qu'"il n'y a pas de sur-incidence chez les soignants" et qu'"ils ne se contaminent pas plus à l'hôpital qu'en ville". D'ailleurs, compter comme nosocomiales les contaminations de soignants sur leur lieu de travail, au même titre que celles des patients, fait débat.

"On les compte en cas nosocomiaux, parce que la maladie a été acquise à l'hôpital, mais ça relève plus de l'exposition au travail."

Karine Blanckaert, médecin hygiéniste au CPIAS des Pays de la Loire

à franceinfo

L'évolution des signalements suit la courbe de l'épidémie. "On voit qu'il y a des pics au moment où il y a beaucoup de circulation en ville", constate Karine Blanckaert. Les cas rapportés sont cependant bien moins nombreux au cours la première vague qu'à partir de la deuxième. Karine Blanckaert attribue en partie cet écart à "un retard à l'allumage" des établissements hospitaliers, qui n'ont pas signalé tout de suite les contaminations identifiées.

Ces chiffres sont en tout cas à lire "avec beaucoup de recul et de précaution", prévient Gabriel Birgand. Ils sont extraits d'une plateforme qui permet d'alerter les CPIAS, les ARS et Santé publique France des cas d'infections nosocomiales ou épidémiques qu'ils rencontrent. Ce dispositif n'est pas prévu pour la surveillance épidémiologique, les signalements comportant peu de détails permettant une analyse plus poussée, explique le pharmacien du CHU de Nantes.

"Pour une partie de ces cas, on est plus sur des cas suspects d'infection nosocomiale que des cas sûrs et vous avez très probablement des cas qui sont acquis en dehors de l'hôpital."

Gabriel Birgand, pharmacien spécialisé en hygiène hospitalière et épidémiologie

à franceinfo

Il s'écoule en effet trois à cinq jours en moyenne entre la contamination et l'apparition des premiers symptômes, mais ce temps d'incubation peut durer jusqu'à 14 jours. Difficile dans ces conditions de déterminer avec certitude où et quand a eu lieu l'infection, relève-t-il. Le pharmacien reconnaît toutefois qu'il s'agit d'"un nombre important de cas qui sont toujours, pour une bonne partie, évitables".

D'autres maladies nosocomiales bien plus fréquentes

Ces 26 839 patients potentiellement contaminés par le Covid-19 lors de leur passage par l'hôpital sont à mettre en regard d'autres statistiques sur les infections nosocomiales. Près de 5% des personnes hospitalisées en sont victimes en France, d'après la dernière enquête de prévalence de Santé publique France, qui date de 2017. Ces presque 5% représentaient donc en théorie environ 632 460 malades sur les 12,7 millions de personnes hospitalisées dans plus de 3 300 établissements cette année-là, selon le chiffre arrêté par l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH).

En 2017, les infections urinaires étaient les maladies nosocomiales les plus fréquentes (28,5%), devant les infections aux endroits opérés (15,9%), les pneumonies (15,6%) et les infections sanguines bactériennes (11,4%). Les premières concernaient en théorie plus de 182 250 patients et les dernières plus de 72 100 malades en 2017.

Ces quatre types d'infections nosocomiales sont systématiquement les plus fréquentes dans les enquêtes de prévalence françaises, mais aussi dans de nombreuses investigations étrangères, note Santé publique France. L'épidémie de Covid-19, qui a contraint des hôpitaux à déprogrammer des consultations et des opérations lors de la première vague, a-t-elle fait chuter ces infections nosocomiales ordinaires au point de les supplanter ? Il est encore trop tôt pour le dire. Karine Blanckaert juge que ce n'est "probablement pas" le cas, compte tenu de leurs fortes prévalences.

Des nuances entre première et deuxième vague

Les circonstances au cours desquelles ces infections nosocomiales au Covid-19 ont eu lieu ont évolué entre les deux vagues épidémiques."Lors de la première vague, les malades étaient à l'hôpital et les professionnels de santé se sont beaucoup contaminés à leur contact", se remémore Nathalie van der Mee, responsable de la mission nationale de surveillance et de prévention des infections nosocomiales à Santé publique France. Selon la spécialiste, il y a eu des clusters dans les hôpitaux, mais ça a été vite enrayé."

A partir de la deuxième vague, la donne a changé. "Le Sars-CoV-2 est dehors, il circule partout et, tous les matins, il entre à l'hôpital par la porte avec les visiteurs, les malades et les professionnels de santé asymptomatiques", décrit la microbiologiste et épidémiologiste du CHRU de Tours, responsable du CPIAS Centre-Val de Loire.

"Tous les jours, on a des petits départs de feu, de petites épidémies."

Nathalie van der Mee, microbiologiste et épidémiologiste du CHRU de Tours

à franceinfo

La transmission du virus par des personnes asymptomatiques joue un rôle "crucial" dans ces contaminations à l'hôpital. "Pour identifier les formes asymptomatiques, il faudrait un dépistage à l'admission à l'hôpital, mais surtout répéter ce dépistage. Le dépistage à l'admission peut très bien être négatif sur quelqu'un qui est en phase d'incubation et qui va développer la maladie 48 à 72 heures plus tard. Dans l'attente de la répétition de ce dépistage, il faudrait que ces patients soient isolés en chambre individuelle, mais c'est techniquement impossible", déplore Gabriel Birgand.

Des infections liées au non-respect des gestes barrières

A l'hôpital, les occasions de se contaminer ne manquent pas. "On a beaucoup d'épidémies en gériatrie, décrit Karine Blanckaert. Si l'un de ces patients a le Covid et se balade dans les chambres de ses voisins, il peut les infecter." Ils seraient à l'origine de 12% des cas nosocomiaux, selon Santé publique France.

La promiscuité entre les malades peut aussi être source de contamination. "On a le problème des chambres doubles, détaille la médecin hygiéniste. Les établissements de santé publics ont environ 40% de chambre à un lit, mais 60% de chambres doubles." Ces chambres doubles seraient impliquées dans 14% des cas de Covid nosocomiaux.

Le non-respect des gestes barrières par les visiteurs est aussi un problème, confirme la spécialiste. "Il y a des visiteurs qui baissent le masque une fois la porte fermée." Ils seraient responsables de 20% des cas nosocomiaux, d'après Santé publique France. Le personnel soignant n'est pas non plus à l'abri des erreurs.

"On a des soignants qui rentrent dans une chambre avec un masque chirurgical au lieu d'un masque FFP2, alors que le patient Covid est sous aérosol thérapie, et qui se contaminent."

Karine Blanckaert

à franceinfo

Il y a aussi les soignants qui "mettent des gants pour tout", au point d'en oublier l'hygiène de leurs mains. Après avoir retiré leurs gants, ils "se contaminent en se frottant les yeux", puis "contaminent d'autres patients".

Santé publique France rapporte que 40% des contaminations nosocomiales étaient attribuées à "des mesures barrières non optimales", y compris des "difficultés d'application des bonnes pratiques". "Le gros du problème, c'est la lassitude et la fatigue du personnel soignant, qui met bas les masques dans les salles de pause pour déjeuner ou boire un café", confirme Karine Blanckaert. "Il y a de plus en plus de difficultés à faire appliquer les mesures, abonde Nathalie van der Mee. Porter un masque pendant toute la journée, c'est très dur. Faire attention au moindre geste depuis plus d'un an, c'est très long." Ces transmissions entre les membres du personnel, notamment au cours de pause, représenteraient 20% des cas, selon Santé publique France. Sans compter la réticence de certains soignants à se faire vacciner.

Jusqu'à l'apparition des variants, les soignants asymptomatiques ont aussi été autorisés à venir travailler pour faire face à l'afflux de patients. "Ils ont souvent été affectés à des unités Covid où ils ne faisaient pas courir de risque supplémentaire aux patients", tempère Karine Blanckaert.

"On sait que, quand vous avez des tensions hospitalières d'occupation des lits, associées à des problèmes de ressources humaines, vous êtes soumis à un risque accru d'épidémie, abonde Gabriel Birgand. Par exemple, des épidémies virales ou bactériennes surviennent à la fin de l'été, lorsque la phase des congés est passée."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.