Cet article date de plus de trois ans.

Vrai ou faux Covid-19 : le virus circule-t-il davantage dans les territoires frontaliers ?

Article rédigé par Mathieu Lehot-Couette
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
A la frontière franco-allemande à Huningue (Haut-Rhin), le 16 mars 2020. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

L'agglomération de Dunkerque, dans le Nord, le département de la Moselle et le littoral des Alpes-Maritimes sont particulièrement touchés par le virus, notamment par son variant identifié en Angleterre. Et le fait que ce sont des zones frontalières a pu jouer en leur défaveur.

Depuis quelques semaines, tous les regards sont braqués vers la moitié est de la France. Le Nord, la Moselle et les Alpes-Maritimes sont les points chauds de l’épidémie de Covid-19 que les autorités surveillent comme le lait sur le feu. Leur point commun : ce sont tous des territoires frontaliers.

>> Covid-19 : les dernières informations sur l'épidémie dans notre Direct

Suffisant pour certains, comme Pierre Cuny, maire de Thionville (Moselle), pour en tirer la conclusion qu'il existe un "effet frontières" dans la propagation du coronavirus. Mais cette corrélation est-elle le fruit du hasard ou révélatrice d’un rapport de cause à effet ? 

"Le virus suit l’activité humaine"

Le cas de la Moselle est à ce titre éclairant. Ce territoire, d’un peu plus d’un million d’habitants, qui s’étire le long du Luxembourg et de l’Allemagne, est le principal foyer des variants sud-africain et brésilien, qui inquiètent beaucoup les autorités car ils pourraient diminuer l’efficacité de certains vaccins. Dans son point épidémiologique du 25 février, Santé publique France estime que ces deux variants représenteraient plus de 50% des nouvelles contaminations en Moselle.

Mais comment ces nouvelles souches ont-elles traversé la planète pour venir se nicher à l’est de la France ? Dans un avis daté du 12 février, et rendu public le 24 février, les experts du Conseil scientifique estiment que l’origine de la diffusion du variant sud-africain en Moselle "peut-être liée à la contamination d’un militaire revenant de Mayotte le 24 janvier 2021".

Ce "patient-0" a participé à une réunion de militaires du Grand Est à Epinal, dans les Vosges, à la fin janvier. Et plusieurs cas d’infection ont été diagnostiqués dans le camp militaire de Mourmelon, dans la Marne. Selon cette piste, ce ne serait donc pas par le Luxembourg ou l’Allemagne que le variant sud-africain serait arrivé dans la région. Mais dans le même avis, le Conseil scientifique insiste sur le fait qu’il "existe un nombre important de travailleurs transfrontaliers" en Moselle. L’influence des flux de populations qui passent les frontières n’est donc pas écartée par les chercheurs.

Cette hypothèse n’est pas nouvelle. Début décembre, alors que la France sortait de son deuxième confinement, la circulation du coronavirus avait redémarré dans plusieurs territoires de l’est de la France. Les indicateurs s’étaient notamment dégradés dans le département des Ardennes, frontalier de la Belgique. Interrogé par le journal local L’Ardennais, l’épidémiologiste Michel Vernay, qui surveille le Grand Est pour Santé publique France, pointait du doigt le particularisme géographique du territoire. "La proximité de la Belgique et des échanges frontaliers entrent en ligne de compte. C’est simple, le virus suit l’activité humaine", expliquait le chercheur.

Les travailleurs frontaliers, une population plus exposée

Les élus locaux mettent eux-mêmes en avant la question des frontières. "Le caractère transfrontalier du département induit un flux de transit et un brassage important de population, nettement supérieur à celui d’autres territoires", notait ainsi, début février, le président du conseil départemental de Moselle, Patrick Weiten (UDI), interrogé par Le Monde. Aujourd’hui, tous les regards sont notamment tournées vers le Luxembourg, plateforme internationale, qui concentre beaucoup de brassages. De fait, la juxtaposition des courbes des taux d’incidence, c’est-à-dire le nombre de nouvelles contaminations sur 7 jours pour 100 000 habitants, dans le grand Duché et en Moselle, montre des trajectoires quasiment parallèles.

Par ailleurs, le calcul d’un taux d’incidence commun aux départements qui ont des frontières terrestres avec des pays voisins montre que le nombre de contaminations au Covid-19 est plus important sur ces territoires que dans les autres départements français.

Pour l’épidémiologiste Jean Gaudart, les zones frontalières concentrent bel et bien des facteurs qui peuvent favoriser la circulation du coronavirus. Ce chercheur, rattaché à l’université d’Aix-Marseille, étudie les disparités territoriales de la diffusion du Covid-19 en France. Or, selon lui, ce ne sont pas tant les frontières elles-mêmes qui posent problème, mais plutôt les travailleurs transfrontaliers. "Cette population n’a pas n’importe quel profil socio-économique. En Moselle par exemple, ce sont beaucoup d’intérimaires, d’employés qui vont faire les ménages ou de la surveillance de bâtiments qui partent travailler au Luxembourg, détaille Jean Gaudart. Il y a une concentration de catégories sociales moins favorisées. Quand on a des revenus sur le fil du rasoir, on ne peut pas forcément se permettre de rester à la maison lorsqu’on est malade."

D’après des chiffres de l’Insee, issus du recensement de 2017, la Moselle est le deuxième département qui compte le plus grand nombre de travailleurs transfrontaliers. Ils sont plus de 76 000, soit près de 18% des actifs qui résident sur le territoire. Et 57% d’entre eux appartiennent aux catégories des ouvriers et des employés, qui rassemblent les travailleurs les moins qualifiés. "Les personnes qui appartiennent à ces catégories sont souvent obligées de se déplacer pour aller travailler", précise Jean-Paul Strauss, responsable du service des études de l'Insee du Grand Est.

"Ce sont aussi des gens qui vont avoir plus facilement recours au covoiturage", relève l’épidémiologiste Jean Gaudart qui pointe ainsi une plus grande promiscuité dans un espace clos favorable aux contaminations. Une enquête réalisée en 2015 par l’Agence d’urbanisme et de développement durable Lorraine Nord (Agape) sur les mobilités dans la zone frontalière de la Meurthe-et-Moselle indique effectivement que les ouvriers et les employés sont sur-représentés dans le covoiturage : 76% des usagers quotidiens appartiennent à ces deux catégories.

Le variant importé par les airs et par la mer

Les zones frontalières de la Belgique, du Luxembourg et de la Suisse concentrent un grand nombre de travailleurs transfrontaliers. Dans le cas du Nord, frontalier de la Belgique, ce phénomène est accentué par sa porosité avec la Grande-Bretagne, via le port de Calais (situé dans le département voisin du Pas-de-Calais) et celui de Dunkerque. Une porosité qui serait à l’origine de la prolifération, dans ce département du Nord, du variant identifié en Angleterre, considéré comme de 30 à 70% plus contagieux que la souche historique du Covid-19. Dans son point épidémiologique du 25 février, Santé publique France, rapporte que le 20I/501Y.V1 représenterait plus de 50% des nouvelles contaminations dans le département. Or, comme le relève également ce même rapport, "il semble exister un lien entre la distribution géographique du variant (…) et l’évolution relative de l’incidence, au niveau départemental". Le graphique ci-dessous montre que le taux d’incidence est reparti à la hausse dans les départements où ce variant est le plus présent.

La même explication est privilégiée dans les Alpes-Maritimes par les experts. Le virus s'est multiplié dans ce département depuis la mi-décembre, atteignant jusqu'à 640 contaminations sur une semaine pour 100 000 habitants, le 24 février. Cette forte circulation se constate également dans la province limitrophe d'Imperia, en Italie.

Mais, comme pour le Nord, la prolifération du virus dans le département est accentuée par la présence du variant identifié en Angleterre, qui représente plus de 50% des tests positifs réalisés dans le département. Et ce sont de nouveau les échanges avec le Royaume-Uni qui sont pointés du doigt. "Nous avons un aéroport international, beaucoup d’échanges avec l’Angleterre, une forte densité de population… Autant de facteurs qui ont dû favoriser l’implantation du variant sur notre territoire", explique ainsi, à Nice Matin (article payant), le docteur Vincent Raimondi, directeur général des laboratoires Cerballiance sur la Côte d’Azur.

De fait, d’après les données d’Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, l’aéroport de Nice est la deuxième porte d’entrée aérienne du Royaume-Uni en France après l’aéroport Charles-de-Gaulle en Ile-de-France. Ce phénomène pourrait d’ailleurs dépasser le seul département des Alpes-Maritimes. La superposition des aéroports dans lesquels atterrissent les voyageurs en provenance du Royaume-Uni avec la carte de la circulation du variant britannique par département montre en effet une corrélation géographique.

Reste que les flambées épidémiques sont souvent multifactorielles, pointe l'épidémiologiste Daniel Camus dans Le Figaro. "Dunkerque, comme Nice, attire de nombreux touristes. Et il ne faut pas exclure la part de hasard dans l'apparition d'un cluster", souligne-t-il.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.