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Vaccin contre le Covid-19 : 25 à 30% des doses en France risquent-elles d'être perdues en raison de problèmes logistiques ?

Cette fourchette n'est "pas un constat", explique Matignon, mais une "marge de sécurité" prise en compte dans le calcul du nombre de personnes pouvant être vaccinées en fonction du nombre de doses disponibles. Des experts la jugent en outre exagérée.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une infirmière remplit des seringues avec des doses du vaccin contre le Covid-19 de Pfizer-BioNtech, le 4 janvier 2021, à Montpellier (Hérault). (PASCAL GUYOT / AFP)

L'estimation n'est pas passée inaperçue. Elle a été lâchée au détour d'un article du Figaro, paru dimanche 3 janvier, sur le démarrage poussif et critiqué de la campagne de vaccination française contre le Covid-19. Selon un conseiller du Premier ministre, cité par le quotidien, "entre 25 et 30% des doses de vaccin pourraient être perdues" en France, en raison de problèmes logistiques.

Cette fourchette représenterait une perte de 50 à 60 millions de doses sur les 200 millions commandées par la France. Cette statistique a été abondamment commentée sur les réseaux sociaux. La cellule de fact-checking de franceinfo a cherché à savoir si elle était vraie ou "fake".

"Une marge de sécurité"

Contacté par franceinfo, Matignon confirme cette fourchette. "Il s'agit d'une marge de sécurité que nous prenons pour évaluer le nombre de personnes qui pourront être vaccinées par rapport au nombre de doses", expliquent les services du Premier ministre. Les Echos indiquaient déjà dans un article du 18 décembre que, lors de la planification de sa campagne vaccinale, le gouvernement avait fait cette "hypothèse très prudente" de 30% de doses perdues.

Le quotidien économique en énumérait les causes potentielles : les ruptures de la chaîne du froid lors de l'acheminement des doses entre les sites de stockage et les lieux de vaccination, les flacons brisés par inadvertance ou ceux pas complètement utilisés... Matignon, pour sa part, n'en avance qu'une : le conditionnement du vaccin Pfizer-BioNTech. "Le vaccin étant conditionné en multidoses et ne pouvant pas se conserver après ouverture, il se pourrait que certaines doses ne soient pas utilisées", précise-t-on à franceinfo.

La faute aux vaccins multidoses

C'est bien la principale raison qui pourrait expliquer d'éventuelles pertes de doses, juge Odile Launay, infectiologue, coordinatrice du centre de vaccinologie Cochin-Pasteur et membre du comité vaccin Covid-19. "Ce sont des vaccins multidoses. Avec un flacon, on peut vacciner cinq voire apparemment six personnes. Ces vaccins peuvent être conservés au frigo pendant cinq jours, quand ils sont envoyés dans les lieux de vaccination. En revanche, une fois préparés, ils doivent être utilisés dans les cinq heures qui suivent."

"Ça veut dire qu'il faut grouper les rendez-vous, parce que si vous n'avez que trois personnes à vacciner, vous allez en fait préparer cinq ou six doses et vous allez n'en utiliser que trois et les autres ne sont pas utilisables le lendemain."

Odile Launay

à franceinfo

"Il risque d'y avoir un peu de perte, prévenait le 9 décembre dans La Croix Brigitte Autran, professeure émérite à la faculté de médecine Sorbonne Université et membre du comité vaccins Covid-19. Car si toutes les doses ne sont pas utilisées dans le temps imparti, il est hors de question de les recongeler, c'est le même principe que pour les aliments."

"Les pertes peuvent uniquement résider dans une non utilisation optimale des flacons multidoses."

Stéphane Paul, professeur d'immunologie et de vaccinologie au CHU de Saint-Etienne

à franceinfo

Ce conditionnement accentue d'ailleurs "la complexité de vacciner dans les Ephad", où il peut être plus difficile de réunir le bon nombre de pensionnaires à vacciner afin de ne pas perdre de doses, relève Stéphane Paul, professeur d'immunologie et de vaccinologie au CHU de Saint-Etienne.

Cela "explique peut-être un peu le démarrage lent de la vaccination dans les Ephad", estime par conséquent cet autre membre du comité vaccin Covid-19. Ce problème logistique se pose moins dans les centres de vaccination, où il est plus aisé de réunir le nombre adéquat de consultations, fait valoir l'expert. Mais ces "vaccinodromes" "présentent l'inconvénient de faire se déplacer les gens les plus fragiles avec un risque potentiel de contracter le Covid", relève-t-il.

Une fourchette "très étrange"

Cette fourchette de 25 à 30% de pertes paraît en outre "très étrange" aux yeux de Stéphane Paul. Elle semble d'autant plus excessive que, comme le souligne Odile Launay, "on n'est pas du tout dans la logique de perdre des doses" puisqu'"on a peu de doses".

"Les pays ayant vacciné rapidement et en nombre doivent désormais attendre les doses non disponibles voire espacer les doses, hors des recommandations et des schémas validés lors des essais cliniques de phase III", fait remarquer Stéphane Paul. 

Les professionnels de santé font d'ailleurs tout pour ne pas en perdre une goutte, plaide Odile Launay. "Pour la vaccination qui se met en place chez les soignants, on est en train de prendre des rendez-vous et s'il reste une dose de vaccin, parce que quelqu'un n'est pas venu, on appelle quelqu'un qui va venir se faire vacciner." 

"Pas un constat" sur le terrain

Les débuts de la campagne de vaccination ont-ils permis de constater que 25 à 30% de doses étaient perdues ? Matignon assure que non. "A ce stade, ce n'est pas un constat que nous faisons au regard des premiers jours de vaccination." Les services du Premier ministre font savoir qu'ils "ajusteront" leur marge de sécurité, en fonction "des premiers enseignements de la campagne".

Les chiffres le confirment, note Odile Launay, qui fait le calcul suivant : "Comme pour l'instant [au 3 janvier] on n'a vacciné que 500 personnes environ, même à imaginer qu'on ait utilisé un flacon de cinq doses par personne, on aurait au maximum pu vacciner 2 500 personnes, sur un total de 500 000 doses reçues à ce jour, on est très très loin des 30%." 

La membre du comité vaccin Covid-19 n'a en outre aucun écho d'un quelconque incident impliquant une rupture de la chaîne du froid. "Les vaccins sont stockés dans des congélateurs. Ils sont ensuite envoyés dans des hôpitaux qui ont des congélateurs à - 80°C. A ma connaissance, il n'y a pas eu de pertes de vaccin."

[Mise à jour du mercredi 6 janvier]

Après la publication de cet article, la Direction générale de la santé a apporté un complément de réponse à franceinfo. La DGS confirme qu'un "taux de perte" a été estimé par "précaution" à 30% maximum, compte tenu du conditionnement du vaccin en flacons de cinq doses, afin de tenir compte des "pertes potentielles" liées à des flacons "pas entièrement consommés". Cette marge "permet de dimensionner la chaîne logistique" de la campagne de vaccination, explique la DGS. La Direction générale de la santé assure qu'"aucune perte n'a été relevée" à ce jour, après les 5 000 premières vaccinations. De même, "aucune livraison de doses n'a fait état d'anomalie" et "la consigne a été donnée de maximiser l’utilisation des doses."

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