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Vaccin contre le Covid-19 : petite notice pour comprendre (avec méthode et recul) les annonces de décès post-injections

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Des pensionnaires d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, le 15 janvier 2021 à Gravelines (Nord), lors d'une vaccination contre le Covid-19. (SYLVAIN LEFEVRE / HANS LUCAS / AFP)

Des décès ont récemment été déclarés après une injection du vaccin contre le Covid-19. Pour autant, ces événements étaient attendus car ils concernent en priorité les résidents des Ehpad, où la mortalité est élevée. A ce stade, aucun élément ne permet de passer d'un lien de corrélation à un lien de causalité. Explications.

Gare aux raccourcis trop rapides. Neuf "personnes âgées résidant en EHPAD ou en résidence vieillesse qui présentaient toutes des maladies chroniques et des traitements lourds" sont mortes en France, après avoir reçu une injection du vaccin Pfizer/BioNTech contre le Covid-19. "Au regard des éléments dont nous disposons à ce jour, rien ne permet de conclure que les décès rapportés sont liés à la vaccination", précise toutefois l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), vendredi 22 janvier. Ces cas vont donc faire l'objet d'examens plus poussés, afin d'éclaircir les causes des décès.

D'une manière générale, comment interpréter ces annonces de décès post-vaccinaux ? Comment éviter les conclusions hâtives ? Et à partir de quel moment faut-il nourrir des inquiétudes ? Eléments d'analyse et de contexte avec le professeur Jean-Louis Montastruc, directeur du centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Toulouse (Haute-Garonne), et le professeur Antoine Pariente, directeur du CRPV de Bordeaux (Gironde), l'un des deux référents pour le suivi du vaccin Comirnaty de Pfizer-BioNTech.

D'abord, de tels décès sont-ils étonnants ?

Non, au regard du profil des publics concernés. L'âge est un facteur évident de mortalité, même sans infection au Sars-CoV-2. A priori, il est donc naturel d'observer des décès dans le cadre de la campagne vaccinale. "On s'y attendait tout à fait, d'autant plus que les résidents en Ehpad ou en unité de soin à longue durée (USLD) ont été marqués comme prioritaires pour débuter la vaccination", explique Antoine Pariente. Au passage, le spécialiste estime que cette stratégie est "tout à fait adaptée car c'est la population où la mortalité liée au Covid-19 est la plus forte".

"Malheureusement, la mort dans les Ehpad, c'est extrêmement fréquent", ajoute Jean-Louis Montastruc. "Ce sont des gens âgés, diabétiques, hypertendus ou avec d'autres comorbidités, qui prennent également des médicaments qui peuvent être responsables de mort subite...", rappelle le professeur en pharmacologie et membre de l'Académie de médecine. A titre d'information, pour ce vaccin, "90% des décès signalés sur la base mondiale de pharmacovigilance sont survenus chez des sujets de plus de 75 ans", poursuit-il, tout en consultant son écran.

Comment évaluer cette mortalité ?

Ce rappel est un point de départ. L'analyse de ces décès nécessite aussi de nouveaux outils, afin d'évaluer l'hypothèse d'une éventuelle surmortalité post-vaccinale. Afin de disposer d'un point de comparaison – c'est ce que l'on nomme la méthode "attendu-observé" –, le groupe scientifique Epi-phare (créé par l'ANSM et l'Assurance-maladie) a donc réalisé une étude épidémiologique sur la mortalité "hors-Covid" dans les Ehpad et unités de soin à longue durée (USLD), portant sur les années 2018 et 2019. "La mortalité a été estimée à 465 décès par jour dans cette population de 550 000 personnes", explique Antoine Pariente. En moyenne, ces deux dernières années, plus de 15 000 résidents d'Ehpad et d'USLD sont ainsi morts au mois de janvier.

Le groupe Epi-phare a calculé la fréquence mensuelle des décès dans les Ehpad pour les années 2018 et 2019. (EPI-PHARE)

"Quand on vaccine de manière importante une population dans laquelle la fréquence de mortalité est élevée, il est logique de voir augmenter la probabilité de décès" au cours de la campagne vaccinale, poursuit le responsable du CRPV de Bordeaux. "Cela donne des coïncidences temporelles, indépendamment de tout effet du vaccin." Le nombre de décès recensés par la pharmacovigilance "est d'ailleurs sans doute inférieur aux nombres de décès 'attendu'", poursuit-il, "car la plupart des décès pour lesquels il y a des causes extérieures évidentes ne sont pas signalés".

Ce nombre de décès post-vaccinaux va logiquement augmenter dans les Ehpad. Et, statistiquement, il n'est pas non plus exclu que des décès soient signalés peu de temps après une injection. "Il est normal qu'il y ait des décès déclarés après une prise du vaccin, par simple association (ou coïncidence)", conclut à son tour Jean-Louis Montastruc.

Qu'entend-on par "coïncidence" ?

Il peut paraître étonnant – voire même suspect – de parler de "coïncidence" entre deux événements. Pourtant, ces "événements de coïncidence" sont un phénomène "très connu dans les campagnes de vaccination de masse", insiste Antoine Pariente. Il livre un exemple à l'appui. "Les accidents de la route ou domestiques sont assez fréquents. Au fil de la campagne vaccinale, on va certainement rencontrer le cas de personnes qui, quelques jours ou quelques heures après avoir été vaccinées, auront un accident de la route ou un accident domestique." Dans ces cas précis, à l'évidence, personne n'évoquera un rôle supposé du vaccin. Les deux événements – l'injection et l'accident – sont simplement liés par une corrélation temporelle.

C'est un principe de base de la pharmacovigilance. "Il est très important de faire la différence entre coïncidence (lien de corrélation) et imputabilité (lien de causalité)", précise Jean-Louis Montastruc. Qui prend cette fois un exemple sur le terrain vaccinal, avec la mort subite du nourrisson (MSN). Au milieu des années 1980, "certains ont cru qu'elle était liée à la vaccination contre la coqueluche", explique le professeur, après cinq MSN survenues dans les trois jours post-vaccination.

Le cas de la vaccination contre la coqueluche et de la mort subite du nourrisson est bien connu pour expliquer la différence entre corrélation et causalité. (ASSOCIATION FRANCAISE DE PEDIATRIE AMBULATOIRE)

Pourtant, "il s'agissait là d'une simple association, car en réalité, la cause était que ces nourrissons étaient couchés sur le ventre plutôt que sur le dos", en raison d'une consigne des années 1970. Après les recommandations en faveur d'un couchage sur le dos, en 1992, le nombre de MSN s'est effondré. En résumé, la prise de vaccin était observée en corrélation avec quelques cas de mort subite, mais sans en être la cause.

Qu'entend-on par "effets indésirables" ?

Dans le langage courant, personne n'utilise l'expression d'"événement indésirable" – à moins d'assister à un congrès de pharmacologie. Mais pour emprunter au vocabulaire de la justice, un suspect (le vaccin) n'est pas forcément coupable. "Sur le plan formel", détaille Antoine Pariente, "il y a un distinguo à faire entre les 'événements indésirables' et les 'effets indésirables', qui sont des événements de santé, pour lesquels nous sommes capables de rattacher la survenue à un médicament ou à un vaccin". En d'autres termes, il faut que la causalité entre le vaccin et une manifestation médicale "soit établie et validée par un centre de pharmacovigilance pour parler d'un 'effet indésirable'", ajoute Jean-Louis Montastruc. A ce stade, rappelle le professeur, seuls "des 'événements de coïncidence' ont été observés dans les cas signalés de décès" en France.

Mais à quel moment est-il permis de douter ?

Les explications précédentes ne veulent pas dire que les décès ne sont pas suivis, bien au contraire. Ces investigations peuvent être menées de deux façons. Tout d'abord, à partir de leur fréquence, comme évoqué plus haut. C'est l'intérêt des données d'Epi-phare, qui permettront de comparer la mortalité avec les autres années. Ensuite, à partir de la présentation clinique, c'est-à-dire à partir des observations de terrain et des dossiers médicaux. "C'est au départ de l'interrogation de l'agence norvégienne", explique Antoine Pariente, à propos des dizaines de décès post-vaccinaux recensés dans le pays depuis mi-janvier. "Sur la part de décès qui méritait une potentielle investigation, ils se sont demandé si des événements de réactogénicité, par exemple la fièvre qui peut suivre la vaccination, ont pu entraîner des complications dans une population très malade et très fragile". Mais à ce stade, en réalité, "il n'y a pas d'élément qui génère une vraie inquiétude".

Quels sont les critères pour lier un effet grave au vaccin ?

"Si on vaccinait un patient et qu'il faisait, 15 minutes après, une hypotension artérielle avec tachycardie, on retiendrait bien sûr le rôle du vaccin si l'infarctus était écarté", résume Jean-Louis Montastruc. Un effet indésirable peut donc être établi "à partir de la présentation vraiment typique d'un cas [avec des manifestations immédiates qui ne laissent guère de doutes] ou par une enquête pharmacologique", reprend Antoine Pariente.

Trois critères permettent notamment d'évaluer les cas. Il y a d'abord la chronologie, explique Jean-Louis Montastruc. "Elle sera forte si un choc anaphylactique se produit quelques minutes après la prise d'un vaccin, et elle ne sera pas retenue dans le cas d'une paralysie faciale deux mois plus tard." Le deuxième critère est la sémiologie, c'est-à-dire l'étude des signes cliniques de l'événement rapporté. "Ce n'est pas toujours évident à déterminer. Est-ce qu'il n'y a pas des causes qui peuvent expliquer la mort ? L'âge, le diabète ou des troubles cardiaques peuvent notamment diminuer l'imputabilité du vaccin." A ce stade, alors que près de 700 000 premières doses ont été administrées (au 20 janvier), toujours rien de probant en France.

"Dans tous ces cas graves et décès signalés, les patients avaient de lourdes pathologies associées, ce qui ne permet pas de retenir en premier le vaccin comme cause."

Jean-Louis Montastruc, responsable du CRPV de Toulouse (Haute-Garonne)

à franceinfo

Au-delà de ces données intrinsèques, la bibliographie est également épluchée. En l'occurrence, elle est encore peu fournie. Par ailleurs, les essais cliniques n'ont peut-être pas listé les complications les plus rares, magré leur ampleur (40 000 participants pour le vaccin Comirnaty). "Un effet indésirable qui surviendrait dans un cas sur 30 000 pourrait théoriquement passer à travers les mailles du filet", souligne Jean-Louis Montastruc.

Comment le suivi des effets indésirables est-il assuré ?

Le premier étage du dispositif de pharmacovigilance repose sur un réseau de 31 centres régionaux (CRPV), répartis sur l'ensemble du territoire. Ils servent de centres experts et de recours pour les professionnels de santé et les patients qui s'interrogent sur un effet indésirable potentiel. "Parfois, il y a un lien évident, par exemple de réactogénicité (fièvre, courbature...). Mais pour d'autres cas, ça peut être plus compliqué", explique Antoine Pariente. Dans ces situations, les centres de pharmacovigilance ont pour rôle de compléter "un dossier médical complet avec les antécédents du patient et les enquêtes complémentaires" pour trouver les autres causes.

Les dossiers sont ensuite saisis dans la base nationale de pharmacovigilance, elle-même reversée dans les bases internationales, avec une validation informatique par l'ANSM. Dans le cadre du suivi renforcé des vaccins, ces informations sont transmises tous les jours aux deux centres de pharmacovigilance (Bordeaux et Marseille) qui sont en charge de faire la synthèse des données, de conduire des analyses fines et de regrouper les déclarations par catégorie (éventuels troubles neurologiques, cardiaques...).

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Chaque jeudi, une synthèse est présentée lors d'un comité de suivi [le troisième s'est déroulé jeudi 21 janvier]. "Cela permet aux CRPV de se mettre d'accord sur la méthodologie, mais aussi de discuter pour valider les observations", explique Jean-Louis Montastruc. Toute cette campagne de suivi "va se poursuivre au moins pendant toute la durée de la campagne vaccinale, et probablement un certain nombre de mois après", précise Antoine Pariente.

Que donne la surveillance à l'étranger ?

La pharmacogilance observe ce qui se passe à l'étranger, mais il existe des biais qui compliquent les comparaisons. "Tout d'abord, un certain nombre de pays sont très en avance sur la vaccination", explique Antoine Pariente, et leur stratégie n'est pas forcément la même qu'en France. "Certains ont privilégié les personnes âgées, d'autres les professionnels de santé – plus jeunes et en meilleure santé."

Malgré ces différences, et en dehors des interrogations norvégiennes, "les seules choses qui ont véritablement été mis en alerte sont les phénomènes allergiques". Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américains "ont communiqué leur fréquence – de l'ordre de un pour 100 000 – une fois seulement que les données étaient assez consolidées, sur près de 2 millions de vaccinés". Jean-Louis Montastruc évoque également quelques cas d'hypotension artérielle (cinq sur plusieurs millions de vaccinés). "Pour l'instant, je ne vois pas de signal majeur de pharmacovigilance."

Qu'en est-il de la France ? Un peu de patience. "Nous pourrions déjà donner des estimations de fréquence d'événements indésirables, justifie Antoine Pariente, mais elles n'auraient aucun sens, car le nombre d'effets déclarés est aujourd'hui trop faible."

En résumé, que faut-il garder en tête avant de s'inquiéter ?

"En premier lieu, il faut vraiment se rappeler la fréquence de la mortalité dans la population en Ehpad", répond Antoine Pariente. "C'est pratiquement un décès pour 1 000 résidents par jour. Il est donc logique d'observer des décès après la prise de vaccin. Pour le moment, la fréquence de décès signalés ne sort pas des clous par rapport à la fréquence attendue dans cette population". A ce stade, la pharmacovigilance, elle non plus, n'a pas établi de lien de causalité. Enfin, "je rappelle qu'on sait traiter d'éventuelles réactions allergiques – d'ailleurs rarissimes – mais toujours pas le Covid-19", ajoute Jean-Louis Montastruc. "Les vaccins ont fait disparaître des maladies (variole, polio, diphtérie…). Ils sauvent des vies."

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