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Covid-19 : le vaccin de Sanofi aura un "rôle complémentaire" dans la vaccination, estime un économiste de la santé

"On peut quand même regretter le retard par rapport à une technologie qui est maîtrisée chez Sanofi", a jugé Frédéric Bizard sur franceinfo. 

Article rédigé par franceinfo
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Sanofi a annoncé lundi 17 mai avoir des résultats positifs pour son vaccin en phase 2.  (ARNAUD JOURNOIS / MAXPPP)

Le vaccin Sanofi sera "un vaccin de première génération" qui aura un "rôle complémentaire" dans la vaccination, a affirmé lundi 17 mai sur franceinfo Frédéric Bizard, économiste de la santé, président-fondateur de l'Institut Santé. Il réagit à l'annonce par le laboratoire Sanofi du lancement "dans les prochaines semaines" d'une étude de phase III pour son candidat vaccin contre le Covid-19, en vue d'une mise sur le marché d'ici la fin 2021. Frédéric Bizard souligne le fait que ce vaccin "a été testé contre la souche d'origine et contre le variant sud-africain", et non contre les variants anglais et indiens qui deviennent dominants. L'économiste souligne par ailleurs que ce vaccin de Sanofi "n'a rien de français", car il est développé et financé par les Etats-Unis.

franceinfo : Après un premier échec, cette fois c'est la bonne pour Sanofi ?

Frédéric Bizard : On ne peut que l'espérer. Si on a une vision très positive des choses, on peut dire que si ce vaccin arrive fin 2021, ça ne sera pas trop tard pour les centaines de millions de personnes qui n'auront pas été vaccinées. Il y aura toujours la place pour de nouveaux vaccins dans les six à douze mois qui viennent. Il y a un autre facteur positif : il faut savoir que ces vaccins qui ne sont pas à ARN messager sont fabriqués dans des usines qui existent déjà, donc on peut penser que ce vaccin aura une capacité de production importante pour Sanofi. Mais on peut quand même regretter le retard par rapport à une technologie qui est maîtrisée chez Sanofi, alors qu'on sait que chaque semaine de retard est importante.

Ce vaccin développé par Sanofi sera-t-il efficace contre les nouvelles souches du virus ?

C'est une de ses limites : ce vaccin a été testé contre la souche d'origine et contre le variant sud-africain. Certes, il y aura la place pour avoir des vaccins de rappel, mais on voit qu'aujourd'hui la souche dominante c'est le variant anglais, et que pour l'Europe et pour une bonne partie de l'Asie ça devient le variant indien. On voit bien que l'OMS mentionne déjà pour les vaccins à ARN messager un "échappement immunitaire" pour ces souches-là. C'est là où on voit toutes les limites d'arriver avec un vaccin monovalent. Si vous arrivez plus tard avec un nouveau vaccin, vous pouvez avoir une très forte valeur ajoutée sur les vaccins de première ligne. L'avenir de la deuxième génération de vaccins ce sont des vaccins multivalents, c'est-à-dire efficaces sur l'ensemble des variants existants et potentiels, il y a quelques molécules en développement. Là, on a un vaccin qui est un vaccin de première génération et qui va vraiment arriver avec un rôle complémentaire, qui risque d'avoir quand même un rôle assez secondaire sur le plan de la protection réelle des populations.

Sanofi espère commercialiser son vaccin anti-Covid avant la fin de l'année, cela vous paraît tenable ?

Oui, c'est tout à fait tenable, c'est ce qui s'est passé avec les premiers vaccins de première génération. Sanofi va lancer la production maintenant que les résultats de phase 2 sont positifs, sachant qu'il y a des procédures d'urgence qui sont mises en place aux Etats-Unis et en Europe. Donc, le calendrier est tout à fait envisageable. Il y a de quoi se réjouir si ce vaccin apporte une valeur ajoutée. Mais ça prête à sourire quand on voit que les politiques français se réjouissent de cette nouvelle : malheureusement, ce vaccin n'a rien de français, ce vaccin est développé aux Etats-Unis, financé par les Etats-Unis. C'est l'agence du ministère de Santé, la Barda, qui finance complètement. Je ne sais pas où est l'État français, je ne sais pas ce que fait l'Union européenne par rapport au développement de vaccins. Franchement je ne comprends pas comment se fait-il que le développement clinique s'est fait aux Etats-Unis et au Honduras.

Que devraient faire la France et l'Europe, d'après vous ?

Je pense que la France devrait regarder sur les candidats vaccins existants pour faire partie des phases 2 et des phases 3. Il y a ce qu'on appelle en économie une "défaillance de marché" c'est à dire une offre qui ne peut pas répondre à la demande, notamment par rapport aux capacités de production. On parle beaucoup de levée de brevet, mais il faut que l'Etat corrige cette défaillance de marché. L'Etat français et les autres peuvent le faire en créant des capacités de production. J'avais incité l'Etat français à créer un Airbus de l'ARN messager, un consortium de recherche et de production autour de l'ARN messager. Créer une usine d'ARN messager, si vous faites de la conversion industrielle, c'est 150 millions d'euros et ça prend six mois. Que fait la France à ne pas créer une unité de production digne de ce nom ? Nous maîtrisons cette technologie, l'ARN messager a été découverte en France. Nous avons d'excellents chercheurs sur la génomique donc nous maîtrisons cette technologie, ce qui n'est pas le cas de beaucoup de pays. On risque de prendre un retard en matière de compétitivité pour l'innovation face au coronavirus, mais pour l'innovation médicale tout court, puisqu'on sait probablement une des technologies d'avenir pour d'autres pathologies. Il faut que l'Etat français, véritablement, se réveille. On saupoudre d'argent public avec un appel à manifestation d'intérêt, nous avons financé 17 projets à quelques millions d'euros. Je pense qu'il vaut mieux en financer véritablement un qui permette à la France d'être un acteur dans cette production et ce développement de vaccins à ARN messager.

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