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Témoignages Les soignants dépassés par la quatrième vague de Covid-19 en Martinique : "De plus en plus de patients arrivent dégradés"

Face à la hausse des admissions en réanimation des malades du Covid-19, la rotation des missions de la réserve sanitaire en Martinique s'accélère. Des réservistes décrivent une épidémie en pleine ascension.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Départ en Martinique de la première rotation de réservistes, composée de personnel soignant, de logisticiens et d'un responsable d'équipe, le 1er avril 2021.  (LA RESERVE SANITAIRE)

"Dès mon arrivée, on m'a demandé si j'étais disponible pour enchaîner une deuxième rotation." Jeanne, 29 ans, est infirmière en réanimation et, depuis mi-juin, elle est engagée volontaire dans la réserve sanitaire, une communauté de professionnels de santé volontaires et mobilisables par l'Etat lors de situations exceptionnelles, comme la pandémie de Covid-19. Après une mission en Guyane, mi-juin, elle est arrivée mi-juillet pour renforcer les équipes du CHU de Martinique, qui regroupe les sept hôpitaux publics du département.

Face à la quatrième vague de Covid-19 qui déferle sur l'île, les rotations de réservistes s'accélèrent, voire se chevauchent, tant le besoin en personnel soignant est important. Bien que le département soit confiné depuis le 31 juillet pour au moins trois semaines, le nombre de patients touchés par le variant Delta admis en réanimation ne cesse d'augmenter. "Nous sommes passés de 12 à 32 lits en deux semaines, calcule Jeanne. Nous essayons de préparer d'autres lits, car le pic est en train de monter." Des réservistes dépeignent à  franceinfo une situation tendue et un besoin urgent de main-d'œuvre.

"Je suis joignable H24" 

"De plus en plus de patients arrivent dégradés dans nos services", poursuit Jeanne. En réanimation, les lits ne sont plus jamais vides. Afin de délester le service de "médecine Covid-19" et en attendant qu'une place en réanimation se libère pour les patients les plus atteints, le CHU a dû monter un service tampon où les malades sont placés sous oxygène. 

"Les patients, avec ou sans comorbidité, qui arrivent, sont de plus en plus jeunes. Et aucun n'est vacciné."

Jeanne, infirmière réserviste

à franceinfo

Car la Martinique peine à vacciner ses habitants. Seuls 16,14% de la population, soit 52 234 personnes, ont reçu un schéma vaccinal complet à la date du 25 juillet, rapporte l'Agence régionale de santé (ARS) du département. 

Sur le terrain, pas le temps de flâner. Depuis que Manon, 31 ans, réserviste et responsable d'équipe, a posé le pied sur le sol martiniquais pour sa deuxième mission fin juillet, elle ne compte pas ses heures. "Je suis joignable H24", affirme celle dont les journées commencent à 5 heures du matin et ne se terminent pas avant 23 heures.

"Cette nuit, il y a un nombre extrêmement important d'entrées en urgence Covid et il a fallu trouver rapidement une infirmière urgentiste pour venir aider."

Manon, responsable d'équipe réserviste

à franceinfo

Epaulée par deux logisticiens, la jeune femme s'assure que la quarantaine de réservistes (dont dix infirmiers en réanimation et 25 infirmiers en soins généraux) ne manque de rien. Hébergement, transport, équipement de protection individuelle, plannings… Elle a l'œil sur tout et surveille également la "lourde" charge mentale des réservistes. "Les équipes locales, qui ont déjà subi la troisième vague, sont fatiguées et nous devons les seconder rapidement", témoigne Manon.

"Rincés" au bout d'un mois

L'adaptation : voilà la première des qualités attendues chez un réserviste. "Il faut être opérationnel dès notre arrivée", insiste Martial, 38 ans. Cet infirmier en soins généraux, réserviste depuis septembre 2020, compte déjà six missions à son actif. Celle-ci, en Martinique, est sa première en tant que responsable d'équipe. Il a appris le vendredi qu'il partait pour l'île le lundi suivant, le 12 juillet. Ce n'est qu'à la descente de l'avion, à Fort-de-France, qu'il a su que l'état d'urgence venait d'y être décrété. "Nous sommes arrivés en pleine phase ascendante de l'épidémie. C'est la première mission où j'ai vu le nombre de patients augmenter si rapidement."

Très vite, Martial et son équipe ont dû trouver leurs marques au sein du CHU. Certains sont amenés à bouger tous les deux ou trois jours dans des services différents. Sur place, "tout le monde est très réactif et les équipes prennent le temps d'expliquer le fonctionnement du service à chaque nouveau", souligne Martial, qui a managé son équipe jusqu'au 1er août au CHU de Martinique.  

Car en mission, chaque minute de renfort compte. Les réservistes sont ici pour 14 jours, avec 48 heures – en théorie… – de travail par semaine. Certains pourront enchaîner une deuxième rotation, mais pas plus. Car après un mois à ce rythme-là, "vous êtes rincé", assure Catherine Lemorton, responsable de la réserve sanitaire.  

Une accélération des rotations 

Lancées dès le 1er avril, les rotations de la réserve sanitaire se sont accélérées à partir du 12 juillet, date à laquelle "la quatrième vague a commencé à frémir", note Catherine Lemorton. Elle décrit une intendance rodée : les demandes de renforts des hôpitaux martiniquais arrivent à l'ARS de l'île, sont transférées à la cellule de crise du ministère de la Santé avant d'atterrir dans la boîte mail de la réserve sanitaire. Résultat, depuis le début de la crise sanitaire en France, le 25 janvier 2020, 90 000 jours de renfort ont été assurés, aussi bien dans l'Hexagone qu'en outre-mer. 

La dernière mission pour la Martinique est à peine bouclée que Catherine Lemorton reçoit déjà une nouvelle requête de la cellule de crise du ministère : "On nous demande 30 aides-soignants, 31 infirmiers et sept médecins, détaille-t-elle. Nous devons les trouver pour un départ dans trois jours." Une partie doit aller à la clinique Saint-Paul, à Fort-de-France, pour préparer 27 lits destinés aux malades du Covid-19 avant la réanimation.

Des renforts en deçà des besoins 

Mais comment trouver une telle équipe ? Si les aides-soignants sont disponibles, les infirmiers et médecins le sont beaucoup moins. "Il faut respecter un ratio de soignants/aides-soignants, sinon ils ne peuvent pas travailler", précise Catherine Lemorton.

"Cela devient très compliqué de trouver des réservistes."

Catherine Lemorton, responsable de la réserve sanitaire

à franceinfo

Sur les 53 000 réservistes engagés à ce jour, les infirmiers en soins généraux sont les plus représentés (15 000 personnes). "Or, ce sont les infirmiers en réanimation et en anesthésie qui sont le plus demandés et il y en a peu, déplore la responsable. Nous faisons les fonds de tiroirs. Mais il n'y a pas de secret : la réserve sanitaire est le reflet de l'offre de soin en France qui est en sous-effectif depuis des années." 

Actuellement, les rotations pour la Martinique sont toutes en deçà de ce que l'ARS demande. Or, "la sollicitation de la réserve sanitaire par les outre-mer va durer encore quelques mois", projette Catherine Lemorton, déjà inquiète pour le dispositif à mettre en place à la rentrée de septembre. A cette date, une nouvelle reprise de la pandémie en Ile-de-France pourrait réorienter les réservistes vers les hôpitaux hexagonaux.

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