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: Témoignages Vigneronne, cuisinier, ingénieure... En perdant l'odorat à cause du Covid-19, ils ont fait une croix sur leur outil de travail

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
De nombreuses personnes ayant été touchées par le Covid-19 sont victimes d'anosmie. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Caviste, cuisinier ou encore parfumeur… Leur métier est basé sur l'odorat. Mais avec la pandémie de Covid-19, ils l'ont perdu, partiellement ou en totalité, ce qui a bouleversé leur quotidien.

"C'est une véritable tuile cette perte d'odoratHeureusement que je suis mon propre patron, sinon cela aurait pu jouer sur ma carrière." Car c'est un sens discret et pourtant fort utile que Julien, 39 ans, gérant d'une société de cosmétiques et parfums à Saint-Mandé (Val-de-Marne), a perdu il y a presque un an. Si l'odorat permet de sentir le fumet d'un plat, la fragrance d'une rose ou les effluves… d'un évier bouché, il permet aussi d'éviter le danger d'une fuite de gaz. Or, de nombreux patients touchés par le Covid-19 l'ont perdu. Cette anosmie fait d'ailleurs partie des symptômes reconnaissables de la maladie.

Selon les différentes études menées en France, entre 46% et 86% des malades du Covid-19 souffrent de troubles olfactifs, rapporte le CNRS. Pour certaines personnes dont le nez est un outil de travail primordial, la perte de ce sens, lorsqu'elle dure, s'avère être bien plus qu'un problème de santé. Julien, Sophie, Florence*, Céline, Nadia et Christian ont répondu à notre appel à témoignages. Ils ont décrit comment cette perte d'odorat complique leur quotidien professionnel.

"Vous ne pouvez rien faire sans votre odorat"

"Ne plus sentir les odeurs quand vous êtes cuisinier, c'est terrible", lâche Christian, 59 ans, dont 42 passés dans la restauration en Seine-et-Marne. Il fait partie des premiers à avoir été infecté par le Sars-CoV-2, fin février 2020. Cela fait "onze mois" qu'il lui est "impossible" de faire son métier. "Vous ne pouvez rien faire sans votre odorat, goûter les plats ne sert à rien, constate-t-il. J'ai le goût des deux premières bouchées, puis après, plus rien." Pour cet intérimaire en restauration collective, le quotidien sans odorat est compliqué "nerveusement" et, à deux ans de la retraite, il envisage, non sans difficulté, une reconversion professionnelle.

Comme Christian, Céline a perdu son odorat en contractant le Covid-19 à la fin octobre. "Avant d'avoir les résultats du test, j'avais déjà perdu l'odorat", précise cette vigneronne de 41 ans qui exploite un vignoble en Alsace. Durant trois semaines, les vins sont devenus pour elle "imbuvables", au grand désarroi de cette "épicurienne".

"J'avais perdu toute la structure aromatique sur laquelle est construit le vin. Je ne sentais plus que l'alcool qui me brûlait la bouche."

Céline, vigneronne

à franceinfo

L'anosmie de Céline est arrivée "pile dans la période de la fermentation en cave où il faut goûter régulièrement le vin". Pour cette tâche, elle a dû s'en remettre à son père, vigneron lui aussi. 

Céline et Christian sont loin d'être des cas isolés. La communauté scientifique s'interroge sur les perturbations du système olfactif des personnes touchées par le coronavirus. "Actuellement, environ 50% des malades dans le monde sont atteints soit d'anosmie, soit d'hyposmie (perte partielle de l'odorat), relate Moustafa Bensafi, directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS). Plus de 70% des gens qui ont une perte d'odorat ont aussi une perte de goût." 

Une perte de sens qui peut mettre en danger

Avant d'être un sens lié au plaisir, l'odorat a pour mission première de nous protéger contre un éventuel danger, tel qu'un feu ou un aliment avarié. Or, sa perte complique le quotidien de Florence, 43 ans, ingénieure dans le secteur "huile et gaz" en région parisienne. Depuis trois mois, il lui est "impossible" de sentir une fuite de gaz sur un site de production. "Nous travaillons avec des huiles et des gaz fluides inflammables et, lors d'un audit technique, je serais incapable de sentir une fuite et de me mettre en sécurité", déplore-t-elle. Pour l'instant, le télétravail sauve Florence, mais elle appréhende son retour sur le terrain. 

Même inquiétude pour Nadia, 42 ans, infirmière à l'hôpital de Montargis (Loiret). Elle a été testée positive "juste avant le deuxième confinement". Depuis la fin de l'année, elle travaille seule auprès de patients hospitalisés à leur domicile, sans aucune possibilité de demander à ses collègues ce qu'ils sentent.

"Je suis amputée d'un sens et pour nous, infirmières, l'odeur est très importante car elle nous alerte sur l'état d'un patient ou l'évolution d'un pansement, par exemple."

Nadia, infirmière

à franceinfo

Cela fait pratiquement deux mois que Nadia ne coche plus de case dans la colonne "odeur" sur la fiche de ses malades. "Je sais que l'information serait faussée", précise l'infirmière, qui ne "sent même pas [sa] propre odeur". 

Apprendre à travailler sans son nez

Face à cette absence d'odorat, chacun apprend à compenser. Nadia sursollicite ses autres sens. "Je me fie à l'aspect général du patient par rapport à toutes les constantes (tension, température…) que j'ai prises. Et je questionne beaucoup plus le malade pour savoir comment il se sent." Dans ses vignes, Céline, elle, a dû apprendre à déléguer. "Cette perte de contrôle a été dure pour moi, avoue-t-elle. Heureusement que nous travaillons dans la confiance avec mon salarié et mon père. Ils auraient pu me dire n'importe quoi sur l'état de la fermentation des vins, j'étais obligée de les croire." 

Une confiance qu'a dû également accorder à ses collègues Sophie, caviste de 36 ans à Saint-Paul-lès-Dax (Les Landes). Lorsqu'elle a repris le travail, en novembre, elle n'avait retrouvé que "50%" de ses capacités olfactives. "J'évite de vendre des nouveaux produits ou alors à travers le discours de mes collègues, concède la jeune femme. Mais comme je peux vite me retrouver en difficulté face aux clients, je préfère leur dire la vérité." Car celle qui avait un odorat "très développé" ne sent plus que les odeurs basiques, et encore, une à la fois. "S'il y en a deux ou plus, je n'arrive pas à distinguer les arômes", explique-t-elle. 

Un odorat qui ne reviendra peut-être pas

Aucun des témoins joints par franceinfo n'a, à ce jour, retrouvé son odorat initial. Défaitiste, Christian estime avoir seulement récupéré "10%" de ses capacités olfactives. "Ni mon médecin, ni l'ORL que j'ai consulté ne savent quand elles vont revenir." Alors il se documente tant qu'il peut, cherchant la moindre information sur le sujet.

Les troubles olfactifs dus à des infections telles que le Covid-19 ont une durée très variable, allant de quelques jours à toute la vie. 

"Au bout de deux semaines, 25% des patients récupèrent leur odorat. Ce taux monte à 75% au bout de deux mois, mais il reste 25% qui ne l'ont pas retrouvé, ou que partiellement."

Moustafa Bensafi, directeur de recherche en neurosciences

à franceinfo

Parfois, cette récupération de l'odorat a lieu avec des altérations qualitatives. Comme pour Julien, qui a en partie retrouvé son nez de parfumeur, mais différemment. "Je sens de nouvelles odeurs que je ne connaissais pas et il y en a d'autres que je n'ai pas retrouvées", détaille le créateur de parfums et cosmétiques. "Mes références de fragrances ont complètement changé, ce qui m'oblige à me référer à mes notes constamment", raconte celui qui a dû faire une "complète mise à jour" de son référentiel olfactif.

"C'est un handicap invisible pour mon entreprise"

Si tous font appel à leur mémoire olfactive pour pallier la défaillance de leur nez dans leur quotidien professionnel, certains tentent aussi de rééduquer leur odorat. Nadia utilise, au moins deux fois par jour, des huiles essentielles en spray, car avec un diffuseur elle ne sent rien. "Le premier jet, j'ai toujours des perceptions d'odeurs. Mais après, plus rien", raconte l'infirmière, qui estime n'avoir retrouvé qu'entre 1% et 2% de son odorat. Céline, elle, mise tout sur les épices. "Dès que je cuisine, j'ouvre tous mes bocaux pour sentir la muscade, les piments, le poivre…" Mais depuis le retour chaotique de son odorat, elle souffre d'un rhume quasi constant avec un écoulement nasal désagréable.

L'entraînement olfactif multiplie "par trois" les chances de récupération naturelle. "Il est d'autant plus efficace qu'il est long, précise Moustafa Bensafi. Vous augmentez ainsi vos chances de récupération sur le long terme en remusclant votre système olfactif." Ainsi, une exposition deux fois par jour durant cinq minutes, pendant plusieurs mois, à un large jeu d'odeurs composé d'épices, de fleurs, d'agrumes mais également d'aliments et d'odeurs désagréables peut permettre de récupérer tout ou partie de l'odorat. Cela peut être aussi des odeurs du quotidien comme un thé ou un café chaud, du savon ou des cosmétiques. A chaque fois, il faut penser à noter ses perceptions. 

Face à la lente évolution de leur odorat, Christian et Florence se questionnent sur leur avenir professionnel. Car si l'ingénieure ne retrouve pas son odorat avant ses prochaines missions sur le terrain, celles-ci risquent d'être compromises. "C'est un handicap invisible pour mon entreprise, qui estime que je suis guérie alors que non", constate FlorenceQuant à Christian, il se demande "quel professionnel de santé va pouvoir reconnaître [sa] perte d'odorat comme un handicap [l']empêchant définitivement de travailler". En attendant, chacun guette sa renaissance olfactive avec impatience.

* Le prénom a été modifié.

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