Plan de relance de l'UE : "L'Europe est en train de devenir un État", affirme l'historien Sylvain Kahn
Les 27 pays membres de l'Union européenne ont validé le principe d'un plan de relance européen de 750 milliards d'euros.
Sylvain Kahn, historien-géographe, professeur à Sciences Po Paris, auteur en 2018 d’une Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945 aux éditions PUF, a affirmé mardi 21 juillet sur franceinfo que "l'Europe est en train de devenir un État" avec l'accord sur le plan de relance européen. Après cinq jours de négociations, les 27 pays de l'Union européenne se sont entendus mardi à Bruxelles pour un plan post-coronavirus de 750 milliards d'euros destinés aux pays européens ayant le plus souffert de la crise du Covid-19.
franceinfo : Est-ce une nouvelle Europe plus solidaire qui se dessine ?
Sylvain Kahn : Ce qui est nouveau, c'est que l'Europe est en train de devenir un État. Quand vous avez une entité territoriale qui émet des bons du Trésor pour financer une dette en propre, ça s'appelle un État. On parle beaucoup du plan européen de 750 milliards d'euros, mais si on additionne tous les plans de relance nationaux, on en est déjà à 2 300 milliards d'euros. Or, le fait que les États, et en particulier la France, l'Espagne et l'Italie, mais tous en réalité, peuvent lancer des plans de relance nationaux, ce n'est possible que parce qu'il y a une Banque centrale européenne [BCE] qui a une puissance de feu considérable et qui est considérée comme extrêmement crédible dans le monde entier. S'il n'y avait pas de BCE, il n'y aurait pas de plans nationaux ni de plan européen. Donc, si vous dites Banque centrale, plus dette, bons du Trésor, vous avez quoi ? C'est ce qui s'appelle en toute logique, il suffit juste d'ouvrir Le Petit Robert ou le Larousse, un État. La grande nouveauté, c'est que tout d'un coup, on se rend compte que l'État européen existe et qu'il existe, non pas en substitution, mais en plus des États membres qui sont des États-nations membres de l'Union européenne.
L'enjeu pour les Européens n'est-il pas de rester des pays prospères ?
On dit à juste titre que les Pays-Bas sont un État qui est peu endetté. C'est vrai quand on regarde son endettement public. Mais, quand on regarde son endettement privé, en particulier l'endettement des ménages, on se rend compte que c'était un des États les plus endettés du monde. Chacun arrive toujours à être vertueux ou la fourmi de l'autre. Cela veut dire qu'aujourd'hui les Européens, dans leur ensemble, sont toujours des sociétés riches et prospères, mais à l'échelle du monde au XXIe siècle, ils le sont relativement de moins en moins. Si on compare aux Chinois, par exemple, ou même progressivement à l'Inde ou au Japon, peut-être demain à l'Indonésie. Pour essayer de continuer à rester riches et prospères dans un monde qui a beaucoup changé, ils doivent devenir un État à l'échelle européenne aussi. C'est ça qui est en train de se passer.
Doit-on passer à la majorité qualifiée pour être plus efficace dans les prises de décision ?
C'est un serpent de mer. Ça fait 40 ans qu'on parle de passer à la majorité qualifiée quand il s'agit des décisions budgétaires. Aujourd'hui, elles sont à l'unanimité. Le débat existait déjà quand il n'y avait que neuf États dans l'Europe dans les années 1970. Et en même temps, ce qui s'est passé pendant ces quatre jours, c'est déjà le fait que la majorité qualifiée est en œuvre. Pour parvenir à ce plan, il a fallu discuter, négocier, délibérer pendant quatre jours pour trouver un compromis et éviter un droit de veto. En vérité, ça ressemble déjà furieusement à une recherche de majorité et de compromis.
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