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Pathologies du confinement : des "patients beaucoup plus jeunes que ceux que l’on reçoit habituellement" sont hospitalisés, constate une psychiatre

Alors que les patients qu'elle suit habituellement ont "une capacité de s'isoler du monde", Marie-Christine Beaucousin reçoit de tout nouveaux patients, jeunes, qui "brutalement" ont des "idées délirantes".

Article rédigé par franceinfo
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La psychiatre Marie-Christine Beaucousin, qui dirige l’un des pôles de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis), constate un afflux de nouveaux patients jeunes, chez qui le confinement provoque des angoisses. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Le confinement, qui peut se traduire à la fois par un sentiment de solitude ou de promiscuité accru, provoque l’afflux de "patients beaucoup plus jeunes" qu'habituellement dans les services de psychiatrie, explique sur franceinfo, la psychiatre Marie-Christine Beaucousin, qui dirige l’un des pôles de l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard (Seine-Saint-Denis). Un phénomène qui pourrait selon elle être accentué en Seine-Saint-Denis, où la propension de logements petits et surpeuplés est bien supérieure à la moyenne des départements.

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franceinfo : Vous constatez l’afflux en psychiatrie, ces dernières semaines, de patients plus jeunes et sans antécédent, dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 ?

Marie-Christine Beaucousin : En effet, au début du confinement, on a d’abord eu une baisse des entrées en hospitalisation. L'effet de confinement a induit un effet de contenance, donc notre activité a plutôt diminué. Mais après, au bout d’une quinzaine de jours, sont apparus des patients qu'on ne connaissait pas, des gens assez jeunes, beaucoup plus jeunes que ceux qu’on reçoit en moyenne habituellement, qui n'avaient pas d'antécédents et qui ont décompensé des tableaux très brutaux, très bruyants, psychiatriques, en quelques jours et qui ont nécessité des hospitalisations.

Comment se manifestent les angoisses, les bouffées délirantes chez ces patients ?

On appelle ça un coup de tonnerre dans un ciel serein, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de signe, c’était des gens qui fonctionnaient bien, qui étaient scolarisés, qui avaient un travail, qui vivaient en famille. Et puis, brutalement, en quelques jours, en deux ou trois jours, ils vont avoir l’apparition d'idées délirantes, avec des trucs très angoissants, avec des idées de culpabilité. Ça peut aussi être lié à l'usage ou à l'arrêt de l'usage de toxiques, dans le contexte de ce confinement. En tout cas, leurs propos délirants étaient très liés au thème du Covid, très lié au contexte du confinement.

Les patients ont souvent peur, mais peur surtout pour leur entourage aussi.

Marie-Christine Beaucousin, psychiatre

C'est un phénomène que l'on constate aussi lors de grands événements d’actualité, comme lors des attentats. Est-ce que l'on est dans la même situation, par exemple, qu'en 2015 ?

Nos patients, quand ils se mettent à décompenser, ont toujours des thèmes délirants qui sont très liés à l’actualité, lors des attentats, ou des choses comme ça. Là, il y a un autre effet qu'une actualité très impressionnante, c'est le fait d’être en confinement et d'être enfermé. Nous, on est dans le 93, dans le nord du département, où le confinement est plus marqué, dans des logements qui sont souvent assez étroits et avec des familles assez nombreuses.

Ce sont des jeunes de quel âge ? Et comment expliquer que ces nouveaux patients soient surtout des jeunes ?

Je ne sais pas trop comment l'expliquer. En tout cas, pour l'instant, on est en train de recenser et de faire un petit peu une évaluation. Au sein de l’établissement, on a aussi fait des enquêtes sur toute notre file active habituelle, pour les suivre, puisque 80% de notre file active est en ambulatoire, pas en hospitalisation. Ce sont des patients qu'on connaît, qu'on suit et on s'attendait à ce que ce soient eux qui soient les plus vulnérables. Et au contraire, on s'est rendu compte que eux, au final, étaient peut-être des experts du confinement, qu’ils avaient plus facilement une capacité de s'isoler du monde et que ce n'était pas eux qui étaient la cible la plus fragile. Et donc, ces jeunes-là, on est en train de recenser, de voir un petit peu, pour essayer de comprendre ce ce qui a pu favoriser cet éclatement de symptômes. 

Il y a d’ailleurs autant d’hommes que de femmes, alors que normalement, en psychiatrie, on n'a plus souvent plus d'hommes que de femmes.

Marie - Christine Beaucousin

Quels peuvent être les effets du déconfinement sur ces patients ?

Le déconfinement va à la fois soulager une certaine partie de la population, permettre à nouveau de pouvoir circuler, mais en angoisser d'autres qui vivent dans un climat de méfiance à l'égard des institutions, que ce soit l'État, l'école, les entreprises. Est-ce qu'on est capables de nous protéger ou est ce que moi-même, je peux prendre le risque d'aller dehors, d'être en contact ? Ce sont toutes ces questions qui peuvent être angoissantes.

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