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Mise en examen d'Agnès Buzyn : trois questions sur la Cour de justice de la République

La mise en examen de l'ex-ministre de la Santé a déclenché l'incompréhension d'une partie de la classe politique, qui dénonce une "judiciarisation accrue de la vie politique française".

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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La salle d'audience de la Cour de justice de la République, à Paris le 19 janvier 2021. (ALAIN JOCARD / AFP)

L'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn a été mise en examen vendredi 10 septembre pour "mise en danger de la vie d'autrui" à l'issue de son audition par des magistrats de la Cour de justice de la République (CJR). Elle est aussi placée sous le statut de témoin assisté pour "abstention volontaire de prendre les mesures propres à combattre un sinistre". Elle est la première personnalité publique poursuivie dans l'enquête sur la gestion de l'épidémie de Covid-19.

L'annonce a déclenché l'incompréhension d'une partie de la classe politique, notamment au sein de la majorité. Certains s'inquiétant de la "judiciarisation accrue de la vie politique française". Franceinfo revient les trois questions qui se posent après cette décision.

Quel est le rôle de la CJR, au juste ?

Cette juridiction a été créée en 1993 pour mettre fin, en théorie, aux polémiques sur l'impunité des membres du gouvernement. La CJR est la seule habilitée à poursuivre et juger Premiers ministres, ministres et secrétaires d'Etat pour les crimes et délits commis "dans l'exercice de leurs fonctions". Elle est composée de douze parlementaires et de trois magistrats de la Cour de cassation, comme le décrit le site de la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire. Elle "peut être saisie par toute personne qui s'estime lésée par un crime ou un délit imputé à un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions", précise le site Vie publique.

Après la clôture des débats, "la Cour de justice de la République statue sur la culpabilité des accusés" par un vote "par bulletins secrets à la majorité absolue", décrit encore la Loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993.

Pourquoi sa suppression est-elle envisagée ?

Pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la lenteur de ses procédures et la clémence de ses arrêts. Lors dès son procès inaugural en 1999 sur l'affaire du sang contaminé, la CJR avait consacré le principe du "responsable mais pas coupable". Elle avait relaxé l'ex-Premier ministre Laurent Fabius et l'ex-ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix, poursuivis pour homicides involontaires, et condamné, en le dispensant de peine, l'ex-secrétaire d'Etat à la Santé Edmond Hervé.

L'éclatement des procédures fait aussi partie des principaux griefs faits à la CJR : dans une même affaire, les ministres sont poursuivis par la CJR tandis que les autres protagonistes le sont par les juridictions classiques. Ses audiences se rapprochent dans le déroulé d'une juridiction de droit commun, mais ses décisions, rendues par vote à bulletins secrets, ne sont pas susceptibles d'appel et les plaignants ne peuvent se constituer partie civile. Autre particularité : des témoins peuvent être dispensés de prêter serment. L'équilibre même de sa formation est critiqué : il se compose de trois magistrats professionnels et douze parlementaires dont les voix se valent.

Face à ces critiques, François Hollande puis Emmanuel Macron avaient promis de la supprimer, sans toutefois réussir à mener à son terme la révision constitutionnelle nécessaire. Elle fait paradoxalement face, depuis un an, à une inflation du nombre de plaintes visant les membres du gouvernement, principalement sur leur gestion de la pandémie de Covid-19.

Pourquoi la mise en examen d'Agnès Buzyn est-elle critiquée ?

La mise en examen d'Agnès Buzyn en pleine pandémie est critiquée par des membres de la majorité. "Démonstration par l'absurde de vouloir juger en direct, sans recul ni comparaison internationale, la gestion politique d'une épidémie sur laquelle on a par ailleurs encore si peu de connaissances", a ainsi commenté le député de Loire-Atlantique et ancien ministre, François de Rugy.

"Condamner un membre du gouvernement parce qu'il aurait abusé de sa position est une nécessité. Mais ce n'est pas ici ce dont il s'agit", ajoute la présidente déléguée de LREM, Aurore Bergé. "Est-ce que l'on reprochera aux députés d'avoir voté l'état d'urgence sanitaire ? Est-ce qu'on reprochera aux députés de créer une obligation vaccinale ?" complète auprès de France Inter Sacha Houlié, député LREM de la Vienne.

Une incompréhension parfois partagée au-delà du parti présidentiel. "Quand on est un responsable politique, il y a forcément de l'action, des risques", a réagi sur BFMTV Damien Abad (LR) qui s'interroge sur la "judiciarisation accrue de la vie politique française". "C'est une situation qui me gêne beaucoup", a quant à lui commenté Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, sur France Inter. Le syndicaliste qualifie la décision de "dérive de la démocratie" qui jetterait "un peu à la vindicte populaire des responsables politiques qui ont sans doute fait leur travail comme ils ont pu".

Pour Pierre Egea, professeur de droit public à l'université Toulouse-Capitole cité par l'AFP, cette mise en examen amène une "confusion entre responsabilité politique et responsabilité pénale". Anne Levade, professeur de droit public à l'université Paris-1 également citée par l'AFP, complète : "La question d'une infraction, ce n'est pas de savoir si on a bien ou mal fait face à une crise, c'est de savoir si on a commis un acte qui est pénalement répréhensible." La CJR fait peser sur l'action politique "un risque déraisonnable", estime-t-elle en résumant le dilemme : "Autant ne rien faire, sinon on va être poursuivi."

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