Coronavirus : la fin des masques gratuits pour les professions libérales de santé passe mal
La dotation de l'Etat en équipements de protection individuelle se termine le 4 octobre. Cette décision inquiète les professionnels de santé du secteur ambulatoire.
"L'Etat nous demande de faire des stocks alors que les prix flambent et que les masques sont indisponibles". Antoinette Tranchida, présidente de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (Onsil), ne décolère pas, après la décision de la direction générale de la santé (DGS). Celle-ci met fin, le 4 octobre, au dispositif de distribution des équipements de protection individuelle (EPI), en particulier des masques sanitaires, par Santé publique France.
Dans son courrier adressé à l'ensemble du secteur ambulatoire, le 31 juillet, la DGS invite les soignants à "s’organiser pour être en capacité de s’approvisionner de manière autonome" en se constituant un "stock de sécurité de masques chirurgicaux et FFP2 et autres EPI nécessaires à la prise en charge de patients Covid (gants, blouses, charlottes, tabliers, lunettes)". Mais face aux difficultés d'approvisionnement et au rebond de l'épidémie de coronavirus, les professions libérales s'inquiètent de l'arrêt de la dotation.
"Comment allons-nous suivre ?"
Ce système avait été mis en place par l'Etat alors que les professionnels de santé faisaient face à une pénurie mondiale de masques. "Les 137 établissements sièges des groupements hospitaliers de territoire ont assuré la réception et la distribution hebdomadaire de 44 millions de masques et de plusieurs millions d’autres EPI vers l’ensemble des établissements de santé et médico-sociaux et des structures médico-sociales", précise la DGS à franceinfo.
A partir du 5 octobre, le secteur ambulatoire devra donc constituer son propre stock qui doit correspondre à "trois semaines de consommation en temps de crise épidémique", stipule la DGS dans son courrier. Un tel approvisionnement reste difficile à réaliser sur le terrain, selon Antoinette Tranchida.
Avec la dotation actuelle de l'Etat en FFP2, nous tenons déjà difficilement. Récemment, je n’ai pu acheter qu'une boîte de 50 masques pour un mois. Nous sommes cinq infirmières et nous avons une quarantaine de patients par jour. Avec la chaleur, les masques tiennent à peine deux heures.
Antoinette Tranchida, infirmière libérale et présidente de l'Onsilà franceinfo
Les calculs sont vite faits pour Antoinette Tranchida. Pour elle, tenir sans cette dotation s'avère impossible, d'autant plus face à l'augmentation de la demande de tests PCR pour détecter les porteurs du Covid-19. "Dès que nous réalisons un test à domicile, nous devons jeter le masque. Un test égale un masque. Comment allons-nous suivre en équipement ?"
"La DGS semble oublier un peu vite que la majorité des professionnels de ville se sont débrouillés seuls pendant la crise pour se fournir en équipements de protection individuelle, dont les masques chirurgicaux", ajoute Antoinette Tranchida. Cette dernière estime que la situation aura toutes les chances de se reproduire "si l’Etat cesse de nous fournir en masques".
"Une production de masques abondante"
L'arrêt de la dotation étonne aussi les médecins libéraux. Contacté par franceinfo, Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), parle même d'une décision "complètement décalée". "Sans aucune concertation au préalable, la DGS nous balance cette information", regrette-t-il. "Je n'ai pas la sensation que le gouvernement se projette dans ce qui nous attend avec la reprise de l’épidémie à l’automne."
Inquiet, le médecin généraliste anticipe le retour de tous ses collègues à la fin de l'été au moment où tous vont devoir faire leur "stock de sécurité".
Il faudra voir le niveau des stocks à ce moment-là, quand tous les médecins prendront connaissance de cette nouvelle disposition. Car, jusqu’à présent, nous n’avons jamais totalement disposé des EPI au complet.
Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMFà franceinfo
Pourtant, la DGS affirme de son côté que la décision a été prise en concertation avec les acteurs sur le terrain, notamment lors de "la réunion de représentants des pharmaciens, des fédérations hospitalières, des agences régionales de santé et des fédérations d’établissements et services médico-sociaux, à la mi-juillet". Pour la direction générale de la santé, l'organisation exceptionnelle et "extrêmement lourde" mise en place au plus fort de la crise ne se justifie plus. "Aujourd’hui, la production de masques et d'EPI est à nouveau abondante, les échanges commerciaux ont repris, les stocks mondiaux sont reconstitués et les délais de livraison sont revenus à la normale."
Par ailleurs, le retour à une chaîne logistique régulière permettra aux établissements et aux professionnels libéraux "de reprendre leur autonomie sur la prise de commande et d’adapter celle-ci à leurs besoins précis", estime la DGS.
L'Etat se dit prêt à reprendre la main à tout moment
En attendant le 5 octobre, pour que tous les établissements et les professionnels de santé puissent reconstituer leurs stocks, les livraisons par l’Etat se poursuivent durant l’été. Afin d'assurer une transition sereine, une plateforme spécifique, dont la mise en place est en cours, doit permettre aux établissements de santé de passer à un mode d’approvisionnement en "flux tiré", c’est-à-dire en fonction de leurs besoins réels. Placée sous la responsabilité de Santé publique France, elle "pourra distribuer des EPI du stock d'Etat en cas de tensions sur le marché", détaille la DGS.
En outre, la direction générale de la santé indique avoir conçu un dispositif pour permettre aux agences régionales de santé et au ministère de "détecter en amont les situations de tension sur les EPI afin d’anticiper les besoins et d’agir en conséquence". Il sera disponible "dès fin août pour les plus gros établissements". Ainsi, l'Etat"conservera la possibilité de reprendre la main à tout moment, dès lors que la situation sanitaire l’exigera."
D'ailleurs en cas de rebond épidémique "l’approvisionnement des professionnels de santé libéraux ou intervenants à domicile sera toujours assuré par les pharmacies d’officines qui recevront du stock de la part de l’Etat, selon le modèle éprouvé ces derniers mois", explique la DGS.
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