Hydroxychloroquine : "Il y a toute une série de décisions qui ne sont pas prises sur des bases scientifiques", déplore un virologue
Membre du Conseil scientifique, Bruno Lina s'étonne que la question de l'hydroxychloroquine soit débattue "sur des bases de pression médiatique, politique" ou autre, au lieu d'être traitée par des "travaux scientifiques".
"Aujourd'hui, il y a toute une série de décisions qui ne sont pas prises sur des bases scientifiques, mais sur des bases de pression médiatique, politique ou d’autres types de pression", a regretté jeudi 4 juin sur franceinfo le professeur Bruno Lina, virologue et membre du Conseil scientifique. Selon le responsable du Centre national de référence des virus des infections respiratoires, l’utilisation de l’hydroxychloroquine "relève presque de la pensée magique en se disant finalement, on a l'impression que ça marche, donc ça marche".
franceinfo : L’OMS a relancé les essais cliniques sur l’hydroxychloroquine suspendus après la parution d’une étude dans la revue The Lancet. Est-ce qu’il n’y a pas eu un peu de précipitation ?
Cette décision devrait être prise sur des bases scientifiques. Aujourd'hui, il y a toute une série de décisions qui ne sont pas prises sur des bases scientifiques, mais sur des bases de pression médiatique, politique ou d’autres types de pression.
Quand on a des politiques qui donnent des avis sur des traitements pour lesquels il n'y a pas d'autorisation de mise sur le marché, c'est quand même très étonnant dans un pays où on adore le principe de précaution.
Bruno Lina, virologue et membre du Conseil scientifiqueà franceinfo
Je suis extrêmement surpris de voir qu'on puisse donner des traitements pour lesquels il n'y a pas d'autorisation de mise sur le marché, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, l’ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament] dit qu’elle ne sait pas si, dans ces conditions, on peut utiliser ces traitements ou pas. C'est ce que dit le monde scientifique.
Pourquoi alors avoir autorisé ce traitement ?
Ça a été fait à un moment donné parce qu’on avait peut-être besoin d'avoir des informations. Il y avait peut-être une certaine "urgence", à essayer de proposer quelque chose. Mais à un moment donné, on relève presque de la pensée magique en se disant finalement, on a l'impression que ça marche, donc ça marche. C'est un peu plus compliqué que ça. Le papier du Lancet est une étude observationnelle. Toutes les études observationnelles sont critiquables, ont des biais. Je ne pense pas que les personnes qui ont écrit ces papiers sont de mauvaise foi, mais on peut avoir une surinterprétation des données dans un sens ou dans l'autre. Un des signaux que souhaitait faire lever le papier du Lancet, c'est que prendre de l’hydroxychloroquine n’est pas anodin. Ce n’est pas des bonbons. C'est un médicament pour lequel on a identifié un certain nombre d'effets secondaires. Ces effets secondaires peuvent apparaître à des concentrations un peu élevées mais ce sont souvent celles qui sont proposées en termes de traitement.
Alors que faut-il faire ?
Dans le contexte du principe de précaution, on pourrait s'attendre, en dehors de cette urgence, de dire : "Attendez, on ne sait pas, donc on ne le fait pas". C’est assez souvent le réflexe qu’on a en France. Aujourd'hui, on fait exactement l'inverse. On dit le principe de précaution, ce n'est pas de faire attention aux médicaments qu’on prend, c'est de prendre quelque chose parce qu'on doit faire attention à la maladie.
Il faut qu'on replace les travaux scientifiques qui doivent être faits pour cela : il faut faire des essais cliniques avec le consentement éclairé des patients.
Bruno Lina
Le patient doit savoir ce qu’il prend et pourquoi il le prend, à quelle dose et quels sont les risques. Et ensuite, on fait une analyse pour être capable de répondre à la question. On n'a pas ces informations pour l'instant.
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