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Emmanuel Macron et son Conseil scientifique : histoire secrète d’une crispation

Ce lundi soir à la télévision, Emmanuel Macron fera-t-il référence au Conseil scientifique qui est chargé de rendre des avis sur la crise du Covid-19 ? Il sera intéressant de l’observer. Car lors de ses allocutions des 12 et 16 mars derniers, il a provoqué quelques remous au sein de ce Conseil, révèle la Cellule investigation de Radio France.

Article rédigé par Jacques Monin - Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le professeur Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique (au centre), entouré de Laurent Nunez, Olivier Véran, Edouard Philippe et Christophe Castaner lors d'une réunion au ministère de l'Intérieur le 13 mars 2020 (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Le Conseil scientifique oriente et éclaire les décisions du chef de l’Etat dans la crise du Covid-19. Mais sa mise en place a donné lieu à une crispation. Lors des interventions télévisées d’Emmanuel Macron des 12 et 16 mars dernier, les membres de ce conseil ont redouté d’être instrumentalisés par le pouvoir.

Depuis le 10 mars dernier, c’est un élément central de la chaîne de décision au sommet de l’Etat. Le Conseil scientifique mis en place par Emmanuel Macron sur le Covid-19 se réunit désormais tous les jours, par visioconférence ou audioconférence. Il émet des avis qui sont analysés par le pouvoir, puis publiés (parfois avec du retard), sur le site du ministère de la Santé.

Officiellement donc, tout fonctionne bien. Chaque avis fait obligatoirement l’objet d’un consensus au sein du groupe. Le président du Conseil, Jean-François Delfraissy, y veille, avec un certain talent, reconnaît-on en interne. Et le courant semble passer avec l’Elysée, comme on a pu le constater le jeudi 9 avril, lorsque le professeur Delfraissy a accompagné le président de la République à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre.

Jean-Francois Delfraissy, président du Conseil scientifique, à Paris le 27 juin 2017. (LUC NOBOUT / MAXPPP)

Des craintes lors des premiers jours

Et pourtant, la Cellule investigation de Radio France a pu établir que durant les premiers jours de son activité, des craintes se sont manifestées au sein de ce collège d’experts. Tout commence le 12 mars, lorsqu’il rend son avis sur la possibilité d’organiser le premier tour des élections municipales. Emmanuel Macron les a entendus le matin même à L’Elysée. Durant tout l’après-midi, ils ont débattu pour répondre à huis clos aux questions qui leur ont été posées. Le soir même, lorsque le chef de l’Etat intervient en direct à la télévision, il justifie la décision de maintenir le scrutin en s’appuyant sur l’expertise de son Conseil. "J’ai interrogé les scientifiques sur nos élections municipales… Ils considèrent que rien ne s’oppose à ce que les Français, même les plus vulnérables se rendent aux urnes". Il insiste alors : "Il est important, en suivant l’avis des scientifiques comme nous venons de le faire, d’assurer la continuité de notre vie démocratique". Ce soir-là, le président se réfèrera à son collège d’experts à quatre reprises.

Coronavirus : Emmanuel Macron annonce le maintien des élections municipales
Coronavirus : Emmanuel Macron annonce le maintien des élections municipales Coronavirus : Emmanuel Macron annonce le maintien des élections municipales

Le 16 mars, lors de sa nouvelle intervention au cours de laquelle il annonce le confinement, il les citera cinq fois. "Un consensus scientifique et politique s’est formé pour maintenir la premier tour des élections municipales", ré-affirme-t-il notamment. "Nos décisions ont été prises sur la base de recommandations scientifiques", martèle-t-il. A l’écouter, aucune décision n'est prise sans l'aval du Conseil scientifique, à tel point que certains se demandent si l’on n’est pas dans une cogestion de la crise. "Nous avons décidé avec les scientifiques de réserver les masques en priorité pour l’hôpital et la médecine de campagne", explique le président. Quant à la suite de la crise, "en lien avec les éclairages donnés par les scientifiques, dit-il, il faudra nous adapter".

"Nous avons décidé de réserver les masques en priorité pour l'hôpital et les médecins", annonce Emmanuel Macron
"Nous avons décidé de réserver les masques en priorité pour l'hôpital et les médecins", annonce Emmanuel Macron "Nous avons décidé de réserver les masques en priorité pour l'hôpital et les médecins", annonce Emmanuel Macron

Faire un diagnostic, ce n'est pas prendre une décision

La décision politique serait donc dictée par la science. La responsabilité des choix faits par l’exécutif incomberait autant au Conseil scientifique, devenu la boussole de l’Elysée, qu’aux hommes politiques eux-mêmes. C’est de cette ambigüité que vont naître des frictions au sein du groupe qui conseille le président. Alors que des éditorialistes dissertent sur les rapports entre l’Etat et les hommes de science, et que monte une polémique sur le maintien du premier tour des élections municipales, le groupe d’experts redoute de tomber dans un piège politique qui consisterait à lui faire endosser la responsabilité des décisions prises par l’exécutif. Répondre à des questions, développer des arguments, et faire un diagnostic, ce n’est pas trancher, explique-t-on en substance.

Le constat est partagé au sein du groupe. Chacun doit rester à sa place. Le Conseil fait alors part de ses réserves à Emmanuel Macron. Il semble qu’il ait été entendu. Certes, il reste un des principaux inspirateurs des décisions de l’exécutif. Mais le président, on l’a vu des derniers jours, a ouvert le champ des consultations à d’autres acteurs. Et il laissera les scientifiques dans l’ombre lors des grands discours qui suivront. Le 25 mars à Mulhouse, alors qu’il vient visiter un hôpital militaire de campagne, devant les caméras de télévision, Emmanuel Macron remercie et félicite une pléiade de professionnels : soignants, policiers, gendarmes, enseignants, commerçants, transporteurs, agriculteurs, ainsi que de nombreux autres invisibles… Mais du Conseil scientifique, il ne sera pas question lors de ce discours.

Emmanuel Macron lors de son allocution depuis l'hôpital militaire de Mulhouse (Haut-Rhin), le 25 mars 2020. (MATHIEU CUGNOT / AFP)

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