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Covid-19 : "On attend une parole qui vient d'en haut et qui finalement se dilue dans l'inefficacité", dénonce le professeur André Grimaldi

Pour le fondateur du collectif Inter-Hôpitaux, le gouvernement doit aussi mieux expliquer les prises de décisions aux Français.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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André Grimaldi, professeur émérite à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, et fondateur du collectif Inter-Hôpitaux. (THOMAS PADILLA / MAXPPP)

Invité de franceinfo mercredi 3 février, André Grimaldi, professeur émérite à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, fondateur du collectif Inter-Hôpitaux signe avec d'autres professionnels de santé, une tribune dans Le Monde où les signataires affirment qu'il faut "monter des digues" pour éviter une quatrième vague épidémique de Covid-19.

Pour André Grimaldi, le gouvernement doit aussi mieux expliquer les prises de décisions aux Français : "On attend une parole qui vient d'en haut et qui finalement se dilue ensuite dans l'inefficacité, faute de débat démocratique. (...) Les Français devraient savoir ce qui se passe, ce qui se discute."

franceinfo : Quelles digues peut-on mettre en place pour éviter une quatrième vague ?

André Grimaldi : Le problème du confinement est d'abord celui du déconfinement. C'est très efficace un confinement, mais il faut pouvoir en sortir. Or, on a vu que la France en était incapable après la première et la deuxième vague. Nous sommes maintenant en cours de troisième vague. On a ce débat : faut-il confiner, pas confiner ? Le gouvernement va décider. Mais la vraie question, c'est pourquoi on est incapable de déconfiner ? C'est parce que tout vient d'en haut. Les décisions sont uniformes, et sont difficilement applicables. Par ailleurs, on a fait des progrès dans le dépistage, mais on n'est pas bon dans le fait de tracer les cas contacts et on est très mauvais dans l'isolement.

L'isolement doit être plus contraignant ?

L'isolement, ce n'est pas par la contrainte mais par la mobilisation. On a un modèle qui est le modèle chinois, celui de la contrainte. Mais il y a un autre modèle qui est le modèle démocratique. Ce qu'on a fait d'ailleurs quand il y a eu la crise du sida : il y avait eu une mobilisation générale des élus, des associations, de la population. 

À l'inverse, nous avons [dans cette crise sanitaire] un modèle paternaliste qui visiblement crée la passivité. On dit aux gens : "Je vous félicite, mais attention, je peux vous sanctionner." On attend une parole qui vient d'en haut et qui finalement se dilue ensuite dans l'inefficacité, faute de débat démocratique. On dit, par exemple : "Le président avait des informations qu'il avait lui seul pour prendre cette décision." Mais pourquoi a-t-il à lui seul ces informations ?

L'illustration, c'est le conseil de défense sanitaire ?

Absolument, c'est un conseil qui se réunit à huis clos. On dit qu'on veut éviter l'espionnage : mais l'espionnage de qui ? Du virus ? Les Français devraient savoir ce qui se passe, ce qui se discute. Par exemple, le conseil avait proposé quatre éventualités. Mais ce gouvernement n'a pas dit pourquoi il n'a pas choisi la deuxième ou la troisième ? Quels sont les arguments ?

J'ai vu que des élus régionaux disaient : "Nous préférerions un confinement strict dans notre région parce que nous sommes débordés, plutôt qu'un couvre-feu à 18 heures qui nous asphyxie, nous étrangle à petit feu." Pourquoi est-ce que ce n'est pas discuté ? Et comme on n'est pas participants de cette discussion, les élus non plus. On a un sentiment d'infantilisation et donc de transgression ou en tout cas, de devenir des procureurs.

Un autre exemple concret : il faut diminuer la circulation du virus. On s'est aperçu que l'on fermait les grands magasins. Est-ce qu'on n'aurait pas pu fermer avant mais rouvrir les théâtres ? On a le choix entre fermer les grands magasins et rouvrir les théâtres, mais où ça a été discuté ce choix ?

Avez-vous l'impression que nos voisins européens font mieux ?

La réponse est non. Il y a trois modèles : le modèle "zéro circulation du virus", que seule la Nouvelle-Zélande a été capable de faire, et quelques pays asiatiques. Mais la Nouvelle-Zélande est une île et c'est plus facile de fermer les frontières. Il y a le modèle "laissons courir le virus", ce qu'a essayé de faire le Premier ministre britannique Boris Johnson au Royaume-Uni ainsi que la Suède : c'est un échec. Et puis il y a le modèle "On va trouver un équilibre", le modèle européen... mais personne le trouve.

Le gouvernement a un argument : "Les autres ne font pas mieux que nous, parfois moins bien". L'autre manière de voir les choses, ce serait "Est-ce qu'on pourrait faire mieux ?" Pourquoi on ne tire pas des leçons de ce qu'on a fait face à l'épidémie du sida ? Là, on est soulagé que le président de la République n'ait pas confiné, mais en même temps on est inquiets, car on ne sait pas sur quels critères il va changer. Il devrait nous dire : "J'attends telle information qui m'amènera à changer de position." Alors que là, on ne sait pas où il prend son inspiration. Donc, ce modèle me paraît inadapté à l'efficacité de gestion démocratique d'une crise.

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