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Covid-19 au sein du XV de France : ça ressemble à quoi, une bulle sanitaire qui n'éclate pas ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Dans le sport, une bulle sanitaire consiste à mettre sous cloche des joueurs pendant un temps donné, pour qu'ils puissent jouer des matchs en croisant le minimum de gens. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Outre le Tour de France et Roland-Garros, qui ont réussi à aller à leur terme sans trop d'embûches, d'autres compétitions illustrent ce qu'est une bulle sanitaire efficace.

Fabien Galthié qui s'éclipse du groupe France pour aller voir jouer son fils, Bernard Laporte qui prend un vol commercial pour se rendre à Rome, les joueurs qui sortent croquer des gaufres dans les rues de la Ville éternelle, une bamboche après le succès en Irlande, alors que les premiers cas positifs ont été détectés… La bulle sanitaire du XV de France a éclaté, avec seize cas positifs chez les Bleus au dernier pointage. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education, de la Jeunesse et des Sports, a assuré, vendredi 5 mars, que le protocole sanitaire mis en place pour le Tournoi des six nations n'avait pas été enfreint par les Bleus. 

 "Il y a un malentendu sur la notion de bulle", s'est par ailleurs défendu sur franceinfo Roger Salamon, épidémiologiste et président de la commission sanitaire de la Fédération. C'est le moins qu'on puisse dire, au regard d'autres bulles mises en place dans le monde sportif et qui se sont montrées bien plus hermétiques.

La NBA dans une bulle-bunker

Une bulle sanitaire consiste à mettre sous cloche des joueurs pendant un temps donné, pour qu'ils effectuent des matchs en croisant le minimum de gens. C'est ce qu'avaient proposé les clubs du Top 14 pourvoyeurs d'internationaux, pour l'actuel Tournoi des six nations, afin de minimiser les risques de contamination : une compétition ramassée sur six semaines en un lieu unique. La formule a fait ses preuves. Mètre étalon du genre, le bunker de la NBA au parc Disney World d'Orlando, en Floride, entièrement privatisé pour les phases finales de la Ligue américaine de basket.

La liste des interdictions est plus longue que le bras d'un basketteur de 2,20 m et détaillée dans un document de 113 pages, selon le Wall Street Journal*. Pour les joueurs, interdiction de cracher, de lécher ses doigts, d'essuyer le ballon sur son maillot, ou de s'approcher à moins de deux mètres d'une personne hors de l'équipe. Chacun portait aussi un "magic band" (bracelet habituellement utilisé pour réguler l'accès aux attractions) l'empêchant d'accéder à certaines zones du parc. Et ce, de fin juillet à mi-octobre pour les équipes ayant atteint la finale. "La ligue a fait du bon travail… Mais cette expérience a été terrible. Je ne veux plus jamais avoir à faire quelque chose comme ça de ma vie", en soupire encore De'Aaron Fox, meneur de jeu des Sacramento Kings dans le podcast "All The Smoke"*.

Le jeu en valait la chandelle : la NBA a sauvé sa saison, le milliard d'euros de droits télé en jeu, et n'a détecté qu'une poignée de cas malgré des tests quotidiens sur toutes les personnes situées dans la bulle. En revanche, les joueurs cloîtrés se sont réfugiés dans l'alcool. Comme le raconte ESPN*, nombre d'entre eux, déçus par la carte des vins des hôtels ont investi dans des caves électriques et ont acheminé des meilleurs cavistes du pays des grands crus de Bourgogne et de Bordeaux. Les bouteilles ont systématiquement été désinfectées par le personnel du parc, on ne se refait pas.

"Le succès de la bulle de la NBA a généré des attentes irréalistes" pour les autres fédérations, tempère Zachary Binney, épidémiologiste spécialisé dans le sport, à la chaîne NBC*. ESPN* chiffre à 150 millions de dollars le coût du bunker des basketteurs, pas à la portée de toutes les bourses. "Si on pouvait reproduire partout ce que la NBA a réussi à faire dans sa bulle, alors on arriverait à éradiquer le virus", avance John Swartzberg, spécialiste des maladies infectieuses, auprès de Popular Mechanics*.

Les mini-bulles des écuries de F1

Pour les compétitions nomades, la Formule 1 fait figure d'exemple, avec ses mini-bulles. Si tout le barnum de la crème de la course auto est dans une "biosphère" contrôlée − pour ne pas dire bulle, précisément − des groupes restreints sont autorisés à se fréquenter. Par exemple, le pilote Lewis Hamilton, ses ingénieurs et ses mécaniciens… Mais aussi les proches du pilote anglais restés au pays. Revenu à Monaco entre deux Grands Prix, son coéquipier chez Mercedes, Valtteri Bottas, n'a pu y fréquenter que sa compagne et son entraîneur, qui font partie de sa bulle.

Rien que dans l'écurie des champions du monde, on comptait 24 bulles allant de une à cinq personnes, détaille le New York Times*. Par peur d'exposer ses pilotes, l'équipe allemande les a contraints à une vie monacale. "Ils vivent presque comme des ermites, soupire Toto Wolff, le patron de l'équipe, cité par le site officiel Formula1.com*. "Au sein de l'équipe, nous effectuons nos débriefs par Zoom ou via Microsoft Teams. Ils ne peuvent pas s'asseoir dans la même salle que les ingénieurs, ils restent dans leur chambre. On leur évite au maximum les contacts." C'est même un robot qui a remis les trophées aux coureurs sur le podium à plusieurs reprises.

Cette biosphère couronnée de succès − seulement deux pilotes, dont Hamilton en fin de saison, ont eu le Covid-19 − est-elle reproductible dans d'autres sports ? "Cette approche militaire correspond à l'esprit des gens de la Formule 1", a reconnu Ross Brawn, le patron de ce grand cirque au site Goodwood*. Les sommes engagées donnent le vertige : "Certaines équipes ont effectué des tests PCR sur tous leurs salariés et leurs familles, quasiment chaque jour, pour des budgets dépassant les 100 000 euros", confie Riccardo Ceccarelli, le médecin de la F1, au site Formula Medicine*. Pas sûr qu'un sport fauché puisse rivaliser. "Nous avons aussi aidé à rapatrier des salariés testés positifs d'Imola [Italie] au Royaume-Uni, ou à rapatrier d'urgence dans un avion médicalisé, sans délai, un team manager depuis Istanbul."

Faute de bulle, des applis et des gadgets

N'allez pas croire que les systèmes de contrôle n'appartiennent qu'aux sports les plus fortunés. Pour peu qu'on ne soit pas trop allergique à Big Brother, la technologie fait déjà très bien le job sans avoir besoin du budget de Google. Ainsi, la fédération américaine de lacrosse (sorte de hockey sur gazon avec un filet, très populaire en milieu scolaire aux Etats-Unis) a bricolé en deux semaines une appli qui n'a pas grand-chose à envier à TousAntiCovid pour contrôler les joueurs et leurs éventuels symptômes, décrit le site spécialisé Sport Techie*. Au sein de chaque équipe, un "social captain" a été désigné pour prendre la température de ses camarades au réveil. Résultat : aucun cas positif pendant la durée du tournoi.

Pour les Mondiaux de hockey juniors à Edmonton (Canada), les joueurs des dix équipes portaient toujours sur eux un bracelet équipé d'une puce permettant de détecter toute escapade hors de la chambre d'hôtel avant la fin de la quarantaine. Sur leur accréditation était aussi collé un tracker capable de détecter d'éventuels cas contacts pendant la compétition. "Ça fait partie des impératifs sanitaires, commente le joueur canadien Braden Schneider cité par The Canadian Press. On a déjà beaucoup de chance de pouvoir venir disputer le tournoi ici." Les données n'étaient cependant accessibles qu'à un représentant de la fédération internationale.

Des systèmes similaires ont été mis en place au niveau international en cricket en Inde* ou en NFL*, le championnat américain de foot US, qui a choisi cette solution plus souple que la bulle. "Nous avons fait le choix de la solution la plus confortable, au rapport de l'équilibre entre la sécurité et d'autres aspects pragmatiques", défend Allen Sills, le médecin en chef de la ligue*, qui y voyait même une "bulle sanitaire virtuelle". Tellement virtuelle que 262 cas positifs ont été recensés jusqu'au Super Bowl de début février. Signe qu'une appli ne peut être qu'un outil dans un dispositif plus large pour prévenir les contaminations.

Les joueurs de NBA enfermés dans la bulle d'Orlando se sont même vus proposer un anneau connecté, qui monitore en temps réel les signes vitaux, émet un signal strident quand on reste plus de cinq secondes à moins de deux mètres d'une autre personne. Selon ses concepteurs, il parvient même à détecter les signes du Covid-19 trois jours avant de tomber malade.

Si cette option facultative n'a guère séduit l'intérieur des Lakers, Kyle Kuzma, s'élevant sur les réseaux sociaux contre "un outil de flicage"* les joueurs n'ont pas coupé à l'appli qui les obligeait à répondre à dix questions tous les matins de "comment ça va ?" à "est-ce qu'on vous a éternué dessus ?" − avec thermomètre Bluetooth intégré et mesure du taux d'oxygène dans le sang, décrit Forbes*.

Il est sans doute un peu tard pour le Tournoi des six nations, mais rien n'est perdu pour le prochain Euro de football, que l'UEFA veut maintenir dans douze villes à travers le continent, ou pour les prochains JO, où s'esquisse l'amorce d'une bulle sanitaire pour les athlètes, plus lâche que celle de la NBA.

* Les liens suivis d'un astérisque dirigent vers des contenus en anglais.

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