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Suicide des agriculteurs : "On nous a appelés la seconde ligne mais les agriculteurs vont mal", dit le président de la Coordination rurale

Bernard Lannes, agriculteur dans le Gers et président national du syndicat, a été consulté par le député Olivier Damaisin qui vient de remettre un rapport sur la prévention du suicide chez les agriculteurs.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Bernard Lannes, le 11 février 2019, à Paris. (IAN LANGSDON / POOL)

"On nous a appelés la seconde ligne en disant que l'agriculture tenait, mais les agriculteurs vont mal", a déclaré mardi 1er décembre sur franceinfo Bernard Lannes, agriculteur dans le Gers et président national du syndicat Coordination rurale. Il a été consulté par le député LREM Olivier Damaisin qui vient de remettre un rapport sur la prévention du suicide chez les agriculteurs. Avec le confinement, "la détresse psychologique dont on parle pour beaucoup d'autres catégories sociales a augmenté chez nous", raconte Bernard Lannes. Son syndicat a d'ailleurs lancé le numéro d'écoute "Allo Agri" à la sortie du premier confinement. Il est joignable gratuitement au 08 05 38 19 19.

franceinfo : La Coordination rurale a déjà initié un numéro d'écoute à disposition des agriculteurs. C'est indispensable cette écoute ?

Olivier Damaisin : Oui, on a lancé "Allo Agri" parce que le besoin d'écoute est important. Il faut imaginer que la ruralité est diverse et variée, il y a aussi une ruralité profonde. On est dans une mutation de notre agriculture avec des problèmes financiers mais il n'y a pas que ça. On a pensé à mettre en place 'Allo Agri' parce qu'après le premier confinement, on a vu que les agriculteurs avaient été embêtés avec leur production et avec les soucis liés aux marchés qui se sont écroulés. La détresse psychologique dont on parle pour beaucoup d'autres catégories sociales a augmenté chez nous. Donc le but de notre numéro, c'est de tendre une oreille attentive avec un numéro gratuit pour qu'on mette les agriculteurs en lien avec d'autres agriculteurs qui vont les aider dans les démarches difficiles. Comme le dit le rapport parlementaire, quand un agriculteur commence à perdre les pieds financièrement, il s'isole, il s'enferme et en arrive à commettre l'irréparable. Nous on veut justement éviter tout ça en remettant du lien. Vous savez que la population est âgée, 50% des agriculteurs ont plus de 54 ans.

Le confinement a donc encore plus compliqué la vie des agriculteurs bien que les champs soient restés accessibles ?

Oui, on vit dans un espace agréable, mais on a eu une année 2020 très compliquée climatiquement, derrière les prix sont bas, que ça soit dans l'élevage, dans les céréales et même dans le maraîchage. Des petits agriculteurs de proximité ont tiré leur épingle du jeu, mais d'autres se sont isolés, n'ont pas pu faire du click and collect. Vous savez, il y a des zones grises et quand vous êtes éloignés avec des produits périssables, cela ne se fait pas en claquant des doigts. On nous a appelés la seconde ligne en disant que l'agriculture tient, oui mais les agriculteurs vont mal. Je ne peux pas concevoir qu'on puisse parler d'agriculture sans parler des agriculteurs. Et aujourd'hui, quand on parle de relocaliser et d'aider et de relancer la 'ferme France', c'est aussi en gardant ses forces vives. A chaque fois qu'un agriculteur se suicide, d'abord c'est une catastrophe, mais à chaque fois qu'un agriculteur s'en va et qu'il est en faillite, c'est aussi un gros problème pour notre métier.

La fermeture des cafés et des restaurants dans les zones rurales, ça aussi c'est du manque à gagner et du 'manque à écouler' pour les agriculteurs ?

C'est du manque à gagner et c'est aussi du manque de lien social. Parce que des fois le petit bistrot de campagne est multimodal. C'est aussi l'endroit où on peut aller discuter et garder le lien. Nous voyons les dégâts collatéraux de cette crise du Covid, même chez nous, dans notre France profonde. Je comprends pour que des gens qui sont confinés en ville c'est compliqué. Mais l'agriculteur qui est isolé dans sa campagne, c'est aussi difficile pour lui.

Dans son rapport, le député Olivier Damaisin évoque l'idée d'instaurer des sentinelles qui seraient par exemple les vétérinaires, pour que les agriculteurs ne sentent pas trop isolés. C'est une bonne piste ?

Les sentinelles, c'est une bonne piste. Vous avez trois institutions qui voient que l'agriculture va mal : la Mutualité sociale agricole parce que l'agriculteur doit payer ses charges sociales, la banque parce que l'agriculteur a des prêts, et aussi la coopérative parce que généralement, l'agriculteur est un coopérateur. Quand on voit des dettes s'accumuler, quand on voit des clignotants rouges qui s'accumulent à la banque et à la MSA, je crois que c'est est un devoir humain de déclencher des alertes. Et donc oui il faut des référents, le maire, le vétérinaire, une personne identifiée et aussi nous, avec Allo Agri. Vous savez, la MSA a fait un numéro vert, mais la MSA c'est le débiteur à qui je dois de l'argent, ce n'est pas le premier que je vais appeler. Et après je rappelle que la MSA a des assistantes sociales pour revenir sur le terrain, il faut très vite venir autour de la table chez l'agriculteur pour essayer déjà d'amener un peu d'humanité et regarder ce qui se passe.

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