Novak Djokovic aura au moins gagné quelque chose lors de son périple en Australie : un surnom. Enfermé durant cinq jours dans un centre de rétention de Melbourne, où il est censé disputer l'Open d'Australie, première levée du Grand Chelem de la saison 2022, le meilleur joueur de tennis de la planète a été libéré, lundi 10 janvier, mais il risque encore l'expulsion du territoire. Le Serbe a fait beaucoup parler de lui ces derniers jours, au point d'être rebaptisé "Novax" Djokovic par des fans d'un autre genre. Ceux-là, moins passionnés par son incroyable jeu de fond de court que par ses positions anti-vaccin contre le Covid-19, ont trouvé leur nouveau héros. "L'homme libre est du côté de Djokovic", savoure par exemple Florian Philippot, figure du mouvement antivax en France. L’homme libre est du côté de #DjokovicL’esclave du côté de #MacronLeFou— Florian Philippot (@f_philippot) January 6, 2022MERCI @DjokerNole LE MONDE DIGNE DES VALEURS DE NOTRE HUMANITÉ EST À VOS CÔTÉS— Alexandra Henrion-Caude (@CaudeHenrion) January 6, 2022Mieux : "Djoko" est carrément devenu aux yeux de son père "le symbole et le leader du monde libre, le monde des nations et des peuples pauvres et opprimés". C'est "le Spartacus du nouveau monde qui ne tolère pas l'injustice, le colonialisme et l'hypocrisie", brandit, fièrement, Srdjan Djokovic dans une interview accordée au média serbe Telegraf. En Serbie, le cas "Djoko" est pris très au sérieux par le corps médical.L'aura de l'enfant du pays est telle que certains professionnels de santé estiment qu'il porte une part de responsabilité dans le fait que le taux de vaccination patine. Une étude régionale menée à l'automne dernier par le Balkans in Europe Policy Advisory Group (Biepag) a révélé que plus de la moitié des sondés n'avaient "aucune intention" de recevoir leurs doses (page 6) et que les théories conspirationnistes autour du Covid-19 rencontraient un écho "frappant" dans les Balkans.Jusqu'à présent, l'homme aux 20 titres du Grand Chelem a entretenu le flou en refusant de s'exprimer sur sa situation personnelle. Ses avocats ont néanmoins précisé, samedi 8 janvier, qu'il motivait sa demande d'exemption par une infection au virus, contractée en décembre. "Je suis opposé à la vaccination contre le Covid-19 pour pouvoir voyager. Mais si ça devient obligatoire, je vais devoir décider si je le fais ou pas. J'ai mon propre avis sur la question, est-ce qu'il changera à un moment donné, je ne sais pas", a par exemple lâché "Nole" en avril 2020, à une époque où la pandémie débutait et où les laboratoires commençaient à peine leurs recherches pour trouver un vaccin.En novembre 2021, le joueur a profité du Masters disputé à Turin pour re-re-redire en conférence de presse qu'"on devrait avoir la liberté de choisir, de décider de ce qu'on veut faire [à propos de la vaccination]. Dans ce cas particulier, ce qu'on veut s'injecter dans le corps." "L'eau réagit à nos émotions"C'est que la star de 34 ans a l'habitude de tenir des positions singulières au sujet des sciences et de la santé. Au printemps 2020, il a par exemple déclaré lors d'un live sur Instagram : "J'ai vu et je connais des gens qui, grâce à cette énergie, grâce aux pouvoirs de la prière et de la reconnaissance, ont réussi à transformer la plus toxique des nourritures, ou même la plus polluée des eaux, en l'eau la plus pure. Parce que l'eau réagit à nos émotions."Let's not lose sight of how wildly anti-science Djokovic has publicly been for years.Here he was last year preaching about how you can change water with emotion.Naive, but maybe these real consequences today can be a reality check for his nonsense?pic.twitter.com/LyJbJTvb9W— Ben Rothenberg (@BenRothenberg) January 5, 2022Jean-François Caujolle a lui aussi quelques souvenirs des fameuses interviews en direct que le Serbe proposait à sa communauté pour passer le temps pendant les confinements. "J'étais curieux, ça m'intéressait de voir ce qui s'y disait, de voir quel était le genre de questions", se souvient auprès de franceinfo l'ancien tennisman français, aujourd'hui directeur du tournoi Open 13 de Marseille. "Je ne dirais pas que ça touchait à la paranormalité mais on n'était pas loin. Bon, on n'est pas obligé d'être d'accord." "Personnellement, j'ai conscience que je ne soignerai pas un cancer en mangeant des plantes."Jean-François Caujolle, directeur de tournoià franceinfoCe n'est pas le seul trou dans la raquette du roi Djokovic depuis l'apparition du Covid-19. A l'été 2020, il est aperçu en train de rendre visite à un prédicateur bosnien complotiste, Semir Osmanagić, que l'on voit aujourd'hui aux côtés des antivax de Croatie. À l'été 2021, le tennisman ne s'est pas gêné pour dire qu'il jugeait "extrême" le protocole sanitaire mis en place pour l'US Open, à New York. Quelques semaines plus tôt, début juin, il s'était permis de sécher la visioconférence organisée par l'ATP pour parler de la reprise du circuit masculin, gelé depuis mars. Ce jour-là, 400 joueurs étaient connectés, en attente de réponses sur le calendrier qui les attendait. Mais pas lui, alors qu'il était pourtant, pour quelques semaines encore, leur principal représentant en tant que président du Conseil des joueurs de l'ATP. Quasiment au même moment, l'intéressé était en fait chez lui à Belgrade, en train de régler les derniers détails de l'Adria Tour, un tournoi qu'il a lui-même imaginé en réponse à l'annulation de nombreux événements de tennis pendant la pandémie. Sur place, les masques sont très bien dans les poches et la distanciation sociale très bien au vestiaire. C'est plutôt ambiance bain de foule avec les enfants, accolades, câlins et virées en boîte de nuit (comme le montrent les images ci-dessous).Nightlife in Belgrade with Djokovic, Thiem, Zverev, Dimitrov, Serbian players.. Video: @hotsportsrb pic.twitter.com/Rf3gURzHng— THE JOKER(S) (@NBASerbians) June 15, 2020Bilan des courses, quatre joueurs contaminés durant ce tournoi exhibition : le Bulgare Grigor Dimitrov (19e mondial), le Croate Borna Coric (33e), son compatriote serbe Viktor Troicki (184e) et... Novak Djokovic lui-même. "J'avais trouvé ça limite", glisse à franceinfo l'ancien joueur français Florent Serra, qui a affronté le Serbe à quatre reprises dans sa carrière. "Tout était à l'arrêt, plus personne ne jouait, et il y a ça qui arrive. Cela fait un peu mauvais genre, ce n'était pas le bon moment." L'Australien Nick Kyrgios, qui n'a jamais porté le Serbe dans son cœur et qui n'a pas sa langue dans sa poche, ne dira pas autre chose (mais sur un autre ton) sur son compte Twitter : "Voilà ce qui arrive quand on ne respecte pas les protocoles. (...) CE N'EST PAS UNE PLAISANTERIE"."Chacun est libre de ses décisions, mais il y a des conséquences"Et voilà maintenant que le Serbe demande une exemption médicale pour pouvoir rentrer sur le territoire australien et participer au premier tournoi du Grand Chelem de l'année, qu'il a déjà remporté neuf fois... Le docteur Alain Frey, président de la Société française de traumatologie du sport (SFTS), et lui-même président d'un club de tennis en Ile-de-France, manque d'avaler son stéthoscope : "C'est comme si Emmanuel Macron nous disait : 'Moi, je ne me vaccine pas, mais vous, faites-le si vous voulez'. Avouez que ce ne serait pas tenable. On ne peut pas, d'un côté, demander aux gens de se plier à des règles strictes et, de l'autre, autoriser ce type de dérogation pour jouer au tennis. C'est, à mes yeux, contre-productif. Si un sportif peut demander une dérogation pour jouer au tennis, alors pourquoi d'autres personnes se gêneraient-elles pour en faire autant ?""Dieu sait que j'adore le tennis. Mais sur ce coup, 'Djoko' ne nous aide pas, nous le corps médical."Alain Frey, médecinà franceinfoEn conférence de presse, jeudi 6 janvier, l'Espagnol Rafael Nadal a aussi dit ce qu'il pensait de la situation de son grand rival : "Selon moi, le monde a trop souffert pour ne pas suivre les règles. S'il voulait, il aurait pu jouer ici sans problème. Chacun est libre de ses décisions, mais il y a des conséquences. D'un côté, je suis désolé pour lui. Mais il connaissait les conditions". Marc Gicquel, retraité des courts depuis 2014, est bien d'accord avec cette prise de position, et va même plus loin : "'Djoko' ne va pas au bout de ses idées. Il se dit contre le vaccin, OK, c'est sa position. Mais à lui d'assumer ses choix, insiste l'ex-joueur français. Il y en a d'autres sur le circuit qui n'étaient pas forcément pour se faire vacciner mais qui l'ont fait parce qu'ils voulaient continuer à jouer.""Maintenant, nous savons la vérité : le meilleur tennisman du monde est bien 'Djoko l'antivax'", smatche par écrit un chroniqueur du quotidien américain USA Today. Avant de reprendre en revers : "Avec cette exemption, Djokovic a presque à coup sûr réduit en cendres ces élans de sympathie." Des fans de Novak Djokovic se rassemblent devant l'hôtel de Melbourne (Australie), le 6 janvier 2021, où le joueur de tennis est retenu. (WILLIAM WEST / AFP) Désormais, "l'affaire n'est plus sportive, elle n'est plus sanitaire, elle est politique", juge auprès de franceinfo Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport. "S'il ne s'exprime pas plus clairement, Djokovic risque de traîner ce feuilleton jusqu'à la fin de sa carrière. S'il obtient le droit de jouer, les Australiens ne le rateront pas, eu égard à ce qu'ils ont connu eux comme mesures de confinement depuis le début de la pandémie. Mais à l'inverse, s'il doit rentrer en Europe, bredouille, sans avoir joué le moindre match du tournoi, ces images feront très mal." Marc Gicquel craint aussi qu'on ne fasse "plus trop de cadeaux" au numéro un mondial. "Déjà qu'il n'était pas aimé par tout le monde, alors là..." Novak Djokovic va de toute façon devoir monter au filet, car après l'Open d'Australie (du 17 au 30 janvier), il y aura les tournois d'Indian Wells (Californie) et de Miami (Floride) au bout de la raquette. Et à ce jour, les Etats-Unis, comme l'Australie, refusent toute entrée sur le territoire aux joueurs non-vaccinés.