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"Implant Files" : trouver "le chef de service qui a envie de briller", la méthode de séduction de Medtronic

Voici comment le géant américain de l'équipement médical mène son travail d'approche en France, pour s'implanter dans les hôpitaux français.

Article rédigé par franceinfo - Laetitia Chérel / cellule investigation de Radio France / ICIJ
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le siège de Medtronic à Minneapolis (Minnesota). (BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES)

Medtronic, le leader mondial des implants médicaux, sait se rendre indispensable dans les hôpitaux français. L'enquête des "Implant Files", menée par le consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) dont la cellule investigation de Radio France est partenaire, montre comment l’industriel s'implante, via des "partenariats, "packages" et "solutions intégrées".

1Récolter les données sur les hôpitaux

Comment et par qui les contrats sont-ils élaborés entre Medtronic et les hôpitaux ? Selon une ancienne salariée de Medtronic, le fabricant procèderait en plusieurs étapes. Tout d’abord, il récolte des données sur l’activité de l’hôpital et ses besoins en développement. "Medtronic les obtient par ses commerciaux sur le terrain, et grâce aux données statistiques des établissements hospitaliers auxquelles il a accès. Il sait donc combien il y a d’actes pratiqués dans les établissements, lesquels, et si tel l’hôpital a un projet médical de développement."

2Etablir un business plan

Une fois ces données récoltées, Medtronic peut, toujours selon ce témoin, procéder à des prévisions d’activité : “Sur un marché comme celui des Tavi, les valves aortiques percutanées, qui valent très cher, entre 15 000 et 20 000 euros, et que Medtronic fabrique, Medtronic établit un business plan prévisionnel. Il dit à l’hôpital : vous partez de 100 et dans cinq ans vous en poserez 500. Le Tavi, c’est un sujet de guerre commerciale entre les établissements. Ils ont donc besoin de se positionner car c’est cliniquement très valorisant et ça permet aussi d’attirer des équipes médicales de bon niveau.”

3Trouver "le chef de service qui a envie de briller"

Troisième étape : trouver "la clé d’entrée" dans l’établissement, le "key opinion leader" (KOL), comme l’explique l’ancienne salariée. "On s’appuie sur un chef de service charismatique, un type très compétent et qui a envie de briller. Il veut que son service soit à la pointe avec le meilleur matériel. Mais il a un problème : souvent il n’a pas le savoir-faire. Et surtout, il n’a pas d’argent." Or, ces projets nécessitent des investissements matériels importants et aussi un investissement humain, "notamment pour gérer le "management du changement", poursuit-elle. C’est justement-là que des industriels comme Medtronic apportent leur expertise et leur personnel."

Les key opinion leaders sont des médecins, experts de haut vol, sollicités par les industriels pour valider leurs essais cliniques, participer à l’élaboration des implants, former d’autres chirurgiens à la pose de ces implants ou en faire la promotion. "Les industriels fonctionnent un peu comme des agences de voyages spécialisées dans le dispositif médical. Ils organisent les voyages et s’occupent de la partie financière, ce qui créée un lien d’intérêt évident puisque la formation d’un nouvel opérateur coûte plusieurs milliers d’euros", analyse Chloé Hecketsweiler, journaliste du Monde.

4Financer missions et frais divers 

Selon nos confrères du Monde qui ont épluché la base Transparence Santé (la base publique de données sur les liens d’intérêts entre les acteurs de la santé et les industriels), avec l’aide de la plateforme EuroForDocs, Medtronic est le fabricant de dispositifs médicaux qui donne le plus d’argent aux professionnels de santé français, dont 19,7 millions aux seuls médecins, parmi lesquels des key opinion leaders.

Plusieurs de ces "KOL" travaillent à la Clinique Pasteur de Toulouse (qui a passé un contrat avec Medtronic). L'un d'entre eux détient un record : il est le médecin qui a reçu le plus d’avantages en nature et de rémunération de la part de Medtronic, de toute la base Transparence Santé. Entre 2013 et 2017, ce brillant cardiologue aurait reçu 222 639 euros de la part de l’industriel en frais de déplacement et de logements payés par l’industriel pour des missions de formation et de recherche le plus souvent réalisées à l’étranger.

Deux autres confrères de la même clinique auraient perçu, de la part de Medtronic, l'un 131 174 euros, l'autre 67 000 euros, sur la même période (2013-2018).

Précisons que les sommes déclarées par les fabricants sont probablement sous-évaluées par rapport aux sommes effectivement perçues par les médecins, car l'obligation de déclarer leur rémunération sur la base Transparence ne date que du début 2017.

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