Dons de laboratoires privés aux hôpitaux publics : "Tout ce qui a pu être mis en place en matière de contrôle d’encadrement est nettement insuffisant"
Les CHU ont reçu 170 millions d'euros de laboratoires pharmaceutiques en 2018. Selon Solange Recorbet, datajournaliste et membre du collectif "data+local" à l'origine de l'enquête, il faudrait mettre en place "des règles communes à l’ensemble des hôpitaux".
"Tout ce qui a pu être mis en place en matière de contrôle d’encadrement est nettement insuffisant", a déploré samedi 11 janvier sur franceinfo Solange Recorbet, datajournaliste au groupe EBRA, et membre du collectif "data+local" à l'origine de l'enquête sur les dons privés des laboratoires pharmaceutiques aux hôpitaux publics.
Près de 170 millions d'euros ont été versés en 2018, selon cette enquête qui s'est basée sur la base de données Transparence Santé. La datajournaliste fait le bilan de cette enquête, expliquant qu'elle a permis de voir "que si les hôpitaux publics voulaient être à ce niveau de performances, de recherche avec seulement de l’argent public ils n’y arriveraient pas". Solange Recorbet précise "qu’un lien d’intérêts n’est pas nécessairement un conflit d’intérêts", mais elle indique qu'"on se doute bien que le médecin qui aura travaillé avec un labo sur le développement d’un médicament, d’une molécule, sera plus susceptible dans son équipe de prescrire ce médicament".
"Il y a des choses qui ne peuvent pas être le fruit d’un hasard"
L'enquête réalisée par ce collectif de journaux régionaux a décelé plusieurs anomalies dans la base de données Transparence Santé : "Il y a des choses qui sont des problèmes de saisie, mais il y a aussi des choses qui ne peuvent pas être le fruit d’un hasard".
Du côté du CHU de Lyon, on a trouvé un médecin qui est déclaré avec six prénoms différents. Ça ne peut pas être un hasard, ça permet de ne pas pouvoir agréger les sommes versées à ce médecin.
Solange Recorbetà franceinfo
"On a des sommes déclarées une fois en dollars, une fois en euros, une fois hors taxe, une fois toutes taxes comprises. Les déclarations sont faites, la loi encadre cela mais on voit bien qu’il y a aussi une volonté d’atténuer cette transparence", explique Solange Recorbet.
"L’état de la base Transparence Santé, d’un point de vue quantitatif et qualitatif, est connu", affirme Solange Recorbet. La datajournaliste dit regretter que "les autorités publiques ne prévoient toujours rien pour l’encadrer davantage". Elle déplore l'absence chez "une quinzaine" de CHU de "politique de prévention de conflits d'intérêts". Solange Recorbet salue toutefois les efforts de certains hôpitaux et laboratoires pharmaceutiques : "On a vu des laboratoires retourner corriger la base transparence santé pour se mettre un peu plus en règle. On a vu des laboratoires déclencher des audits internes. On a des CHU qui viennent de se mettre à travailler sur une charte."
Des règles communes "à l'ensemble des hôpitaux"
Solange Recorbet évoque une solution pour éviter ces liens controversés, ou du moins les encadrer davantage : "L’idéal, ce serait d’avoir des règles communes à l’ensemble des hôpitaux, notamment concernant le plafonnement des rémunérations." Elle cite ainsi l'exemple du CHU de Lyon, qui "essaie de faire en sorte qu’un maximum d’argent passe directement par l’établissement et n’aille pas aux médecins, ou alors dans des conditions précises."
Les membres du collectif "data+local" ont également interrogé des médecins durant leur enquête. "Il y en a qui assument complètement, qui nous disent que l’hôpital public n’a pas les moyens de ça et que si l’on veut être à la pointe de la recherche, apporter à nos patients les meilleures molécules, les meilleurs traitements, on n’a pas le choix", affirme Solange Recorbet. "Il y en a d’autres qui tombent un peu des nues. Mais il y en a qui nous expliquent très bien que cela fait partie de la façon dont ils peuvent, eux à leur échelle, continuer à se former, à faire de la recherche et à faire progresser la médecine", indique Solange Recorbet, avant d'ajouter que "certains [médecins] trouvent des solutions pour éviter ce sentiment de réciprocité vis-à-vis des laboratoires. Par exemple, ils se disent qu’en étant financés par plusieurs laboratoires différents, ils se sentiront moins redevables vis-à-vis d’un seul".
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