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"Passerons-nous l'été ?" : les hôpitaux s'inquiètent de devoir fermer des lits pour remédier au plafonnement des salaires des médecins intérimaires

Après l'entrée en vigueur de la loi Rist, certains établissements craignent de ne pas réussir à remplacer tous les praticiens pendant la période estivale.
Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un soignant de l'hôpital Nord de Saint-Etienne (Loire), le 1er janvier 2023. (REMY PERRIN / MAXPPP)

Les hôpitaux garderont-ils l'intégralité de leurs services ouverts cet été ? La question se pose au sein des centres hospitaliers, après un mois d'avril particulièrement difficile pour boucler les plannings sans fermer de lits. L'application, début avril, de la loi Rist, qui plafonne les salaires des médecins intérimaires à 1 390 euros brut par garde de 24 heures, a fragilisé le fonctionnement des hôpitaux, déjà ébranlés par la crise du Covid-19 et les pénuries chroniques de personnel. "Les équipes de direction sont en souffrance, au même titre que les équipes médicales et de soignants", regrette Jérôme Goeminne, président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS)

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Dans un contexte budgétaire tendu pour l'hôpital, cette loi a pour but de mettre un terme à la logique de l'offre et de la demande qui poussait les établissements à offrir des tarifs beaucoup plus élevés aux remplaçants qu'aux titulaires. "L'intérim, c'est quasi deux milliards d'euros par an pour l'hôpital public", chiffrait le président de la Fédération hospitalière de France, Arnaud Robinet, sur franceinfo, samedi 29 avril. Le recours à ce type de contrat est pourtant indispensable au bon fonctionnement de nombreux hôpitaux. Au point de menacer le maintien de certains services.

Des maternités ont déjà fermé

Le recours aux intérimaires est surtout pratiqué dans les groupements hospitaliers de territoires (GHT), situés dans les villes moyennes. Il y est même "endémique", observe Quentin Henaff, chargé des ressources humaines à la Fédération hospitalière de France (FHF). Par exemple, les hôpitaux du Grand Cognac comptent 50 médecins intérimaires pour 67 titulaires. A contrario, les centres hospitaliers universitaires (CHU), situés dans les métropoles, s'en passent plus facilement. Au CHU de Rennes, ils représentent 0,6% des effectifs médicaux.

"Selon les réponses à un questionnaire que nous avons fait circuler, nous serions 20% d'hôpitaux à avoir fermé des services ou des lits", depuis l'application de la loi Rist, affirme Jérôme Goeminne. C'est le cas des maternités de Sedan (Ardennes), Sarlat (Dordogne) ou Guingamp (Côtes-d'Armor). De son côté, le Syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux (SNMRH) a recensé 389 établissements, sur un peu plus de 1 300 en France, forcés de déprogrammer des opérations ou de fermer des services durant la dernière semaine d'avril. "Il y a des fragilités, mais elles existaient avant la mise en application de cette loi", a assuré François Braun, le ministre de la Santé, sur France Inter.

"Je préfère réduire la voilure"

Seulement, l'été approche à grands pas. En raison des congés, les plannings de juillet et août ont toujours été difficiles à organiser et la loi Rist a ajouté un nœud au casse-tête. Le groupement Cœur Grand Est s'efforce tous les jours de trouver un médecin. Dans ce GHT qui réunit huit établissements de la Meuse à la Haute-Marne, le service des affaires médicales, chargé de recruter les praticiens, n'a qu'une idée en tête : convaincre les médecins remplaçants, contractuels ou intérimaires, de rejoindre au plus vite leur équipe pour une durée déterminée.

Pour une embauche, "il nous arrive de voir quatre à cinq fois le praticien, détaille son directeur, Jérôme Goeminne, avec, à chaque fois, une heure et demie d'entretien et quatre personnes autour de la table. Sans compter tout le travail administratif". Il faut dire que dans cet hôpital, avant avril 2023, 17% de médecins remplaçants étaient payés au-delà du plafond réglementaire. "En tout, cela représente 80 médecins à recruter et à chaque fois, le même process." Une tâche très chronophage, qui a conduit l'équipe de Jérôme Goeminne à mettre entre parenthèses d'autres dossiers, comme la formation du personnel, les questions de risques autour de la sécurité au travail ou l'organisation des équipes.

S'il a réussi à boucler les plannings d'avril sans dépasser le plafond autorisé, le directeur ne cache pas son inquiétude pour les mois à venir. "Comme chaque année, on va être forcés de fermer des lits", déplore-t-il. Idem au GHT du Grand Cognac, où son collègue Julien Bilhaut estime qu'il devra se passer de 40 lits pour garantir la sécurité des patients. "Je ne veux pas faire de bricolage, justifie-t-il. Je préfère réduire la voilure et donner un cap, pour sécuriser et tranquilliser le personnel, car la période est terriblement anxiogène."

Un contrat alternatif plus engageant

A presque 700 km de là, Pierre Pinzelli, directeur des hôpitaux d'Avignon et de Cavaillon, se veut plus optimiste. "A l'annonce du texte, nous avions des craintes et des interrogations", admet-il. Finalement, le mois d'avril est passé "sans suspension d'activité ni modification de l'offre de soins". Ses solutions : la réorganisation de ses services et la mise en place "d'un dialogue individuel avec chaque médecin". Pour ce faire, plutôt que des contrats d'intérim, il a proposé des contrats dits "de motif 2", prévus par la loi Rist.

Ces derniers permettent de dépasser le nouveau plafond en rémunérant la garde de 24 heures jusqu'à 1 700 euros, à condition que l'Agence régionale de santé l'accepte et que le praticien s'engage dans la durée. "Avec ces offres, les ratios ont changé. Avant avril, nous avions 65% de médecins intérimaires aux urgences et de l'ordre de 50% dans les autres services", détaille Pierre Pinzelli. Depuis avril, la tendance est "en train de s'inverser". L'intérim ne représente plus que "15 à 25% [des effectifs] selon les services", assure-t-il. 

Jérôme Goeminne a également fait le choix de ces contrats, pour pérenniser ses équipes : "Nous en avons signé une vingtaine, en accord avec l'ARS, car même s'ils sont plus coûteux, les praticiens s'engagent en moyenne pour trois ans." Toutefois, le président du SMPS, grand défenseur de la mesure, reconnaît que "cet été et les mois suivants" vont être très difficiles.

"Les trous seront nombreux"

Si des solutions ont été trouvées à Pâques, toutes ne sont pas durables. Comme les gardes supplémentaires assurées par les titulaires, qui augmentent la charge de travail et donc le risque de nouveaux départs de l'hôpital. "Cela va mal se passer dans certains établissements", prédit Eric Reboli, président du SNMRH. "Par exemple, à Bastia, comment vont-ils faire pendant les vacances ? Déclencher un plan blanc qui va réquisitionner les personnels et empêcher les vacances de tout le monde ? Les titulaires ne vont pas aimer du tout." 

Pour éviter cette catastrophe annoncée, la directrice des affaires médicales du CHU de Rennes, Julie Courpron, entend "sanctuariser les congés de juillet et août" de ses équipes. "Mais ce sera très compliqué, car nous savons que les trous seront nombreux sur les plannings. Nous réfléchissons un maximum pour partager les ressources et garantir le maintien de toutes les activités. Nous avons réussi à passer avril, mais passerons-nous l'été ? Personne ne peut le dire." L'incertitude plane déjà sur les mois de mai et de juin, où "certaines spécialités ne sont toujours pas pourvues".

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