Philippe Croizon après le Dakar : "Tout est possible"
- Vous venez tout juste de rentrer de Buenos Aires, après avoir terminé la 48e édition du rallye raid Dakar. Vous avez réalisé un exploit, celui d'avoir terminé la course ! C'était une édition très difficile. Quel est votre sentiment aujourd'hui ?
Philippe Croizon : "Oui, c’était très difficile. Déjà dans la deuxième spéciale je prends une claque monumentale. Le regarder à la télé, c'est une chose, se dire « ouah c’est beau, c’est chouette, c’est un rêve, c’est super, allez on y va », et de le vivre, c’est deux choses totalement différentes. Là, on prend une claque. On se dit « ouah mais qu’est-ce que je fais là ?? », et tous les jours on se demande « qu’est-ce que je fais là ? » et quand c’est terminé on se dit « ah zut c’est déjà fini ! »."
- Qu'est-ce qui a été le plus dur ? Je sais que vous avez commencé dans un réfrigérateur déjà…
Philippe Croizon : "Oui, là ça fait peur. La première étape, pas de problème. La deuxième étape on a un problème d’alternateur, plus d’électricité dans la voiture. Et on arrive au check-point 2, je suis allongé dans le camion frigo. Parce que j’arrive au 2e check-point et il fait 66° à l’intérieur de l’habitacle. Je ne me sens vraiment pas bien, j’ai du mal à respirer. On s’arrête et on décide de laisser passer tous les camions parce que c’est vraiment dangereux et je suis vraiment pas bien… Ils me disent « Bon, on va te mettre dans le frigo et ils me balancent dans le camion, et le médecin vient me voir pour voir si tout va bien, il me dit d'aller 45 minutes pour faire redescendre la température »."
- Qu'est-ce qu’il y avait d’encore plus compliqué pour vous du fait de votre handicap ?
Philippe Croizon : "Le plus dur c’est vraiment la chaleur, l’humidité. Je suis quelqu’un qui se déshydrate très vite, du fait qu’il manque quelques morceaux, et j’ai eu un choc électrique. Et, aujourd’hui la moindre chaleur que je subis, le corps s’en rappelle donc il met la clim en route, mais il ne sait pas réguler donc il envoie il envoie, il transpire, il transpire… Donc j’ai bu des litres et des litres d'eau, on m’arrosait carrément, dans la combinaison, à chaque fois que je m’arrêtais à un check-point, on me balançait des bouteilles d’eau sur le corps pour le faire refroidir.
"Je n’ai pas souffert de l‘altitude par rapport à mon copilote. Il a eu mal à la tête, il ne se sentait pas bien. En haut de la Cordillère des Andes, il a voulu sortir pour prendre une photo, il est rentré et a dit « non, je vais me rasseoir » ! Il était cuit."
- Y avait-il d’autres sportifs handicapés sur la course ?
Philippe Croizon : "Oui, il y avait d’autres personnes… Il y a un Espagnol en camion qui est paraplégique, il y avait aussi deux autres paraplégiques en voiture. Ca veut dire que ça évolue. La technique avance. Ça veut dire qu’on peut avoir nous aussi des idées, des envies et se dire on peut le faire, alors on y va et on monte une équipe, on avance."
- Vous avez aussi traversé la Manche à la nage. Quel est le défi le plus difficile ?
Philippe Croizon : "Pour moi, la Manche, ça restera l’épreuve ultime, l’épreuve qui a changé ma vie, vraiment. En plus ce sont mes deux garçons qui m’avaient découvert après la traversée… Mais le Dakar, ce qui est dur, c’est la concentration : 12 à 13 heures de pilotage en restant concentré sur la piste, à regarder au près, à droite, à gauche… Quand j’arrivais au bivouac le soir, ou dans la nuit, comme une fois à 4h30 du matin, mon copilote éteignait le moteur, et moi je m’éteins. On me sort de la voiture, on me met dans la douche, on me met un plateau repas, et je vais me coucher. Je dors. Trois heures de sommeil, et on repart pour 700 kilomètres."
- Que faites-vous depuis que vous êtes rentré ? Vous dormez ?
Philippe Croizon : "Oui, je dors ! Et Suzanna aussi, ma compagne. On est tous les deux à la maison, on travaille un petit peu, on essaie de rattraper les 600 mails en retard. Je fais deux heures et d’un seul coup, je dis « je vais dormir »."
- Vous avez été extrêmement médiatisé durant tout ce Dakar, il y a eu des articles dans toute la presse. Il n’y a pas eu de jalousie de la part de certains coureurs ?
Philippe Croizon : "Non. J’ai été voir à peu près tout le monde sur le bivouac, il y avait une bonne ambiance. Après, j’ai peut-être fait un petit peu d’ombre à de grosses écuries. Pour moi, l’essentiel était de vivre mon aventure avec l’équipe, avec tous ceux qui étaient là. C’était encore une fois faire passer un message, dire que tout est possible, que l’impossible c’est juste une seule personne : juste nous."
- Quel sera votre prochain exploit ?
Philippe Croizon : "Là, c’était de dormir ! J’ai aimé la course automobile, j’ai aimé le Dakar. Donc, peut-être rendez-vous l’année prochaine. Il y a des pistes qui sont ouvertes, on verra ce que ça va donner."
- Et l'espace ?
Philippe Croizon : "Ah là… Si Richard Branson nous entend… Je veux bien être le premier rendu dans l’espace. Tout se tente ! À partir du moment où on a une envie, pourquoi se fixer des limites ?! Quand j’ai eu l’idée du Dakar, il a fallu trouver des financements…"
- Puis le directeur n’était pas tellement d’accord…
Philippe Croizon : "C’est normal, il a eu un réflexe humain : quand un mec qui n’a pas de bras et pas de jambes vient vous voir et vous dit « je veux faire le Dakar », l’épreuve la plus dure du monde en rallye-raid, le réflexe c’est de dire « non, tu ne peux pas. Je te connais, je sais que tu as traversé la Manche, que tu as relié cinq continents à la nage, mais tu ne peux pas faire le Dakar ».
J’ai demandé à le rencontrer, j’ai préparé mon dossier. On s’est retrouvé au restaurant, et il m’a dit « NON, NON, tu ne feras pas le Dakar ! » Et j’ai parlé pendant une demi-heure, et à la fin de la demi-heure, il m’a dit « tu as besoin de quoi ? » Et l’aventure était lancée.
Je lui ai donné ma liste. En haut, il y avait écrit « une lettre de soutien d’Etienne Lavigne », il m’a dit « ok, c’est parti »."
- Vous en avez profité pour demander votre compagne en mariage ?
Philippe Croizon : "Oui, sur le podium. J’ai demandé à mon équipe de trouver une boîte vide dans les immeubles autour, j’ai piqué l’alliance du cadreur. Ca s’est fait à l’arrache, mais là encore, tout est possible."
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