Quatre questions sur les MOAH, ces dérivés d'hydrocarbures qui ont contaminé des aliments, selon l'ONG Foodwatch
L'association de consommateurs assure avoir trouvé des traces de ces hydrocarbures aromatiques d'huile minérale, suspectés d'être cancérigènes, dans des cubes de bouillon et de la margarine en France, et dans des pâtes à tartiner ailleurs en Europe.
Leur dangerosité est encore méconnue, mais les autorités sanitaires estiment qu'il faut lutter contre leur présence dans les aliments. L'association de consommateurs Foodwatch a lancé, jeudi 9 décembre, une pétition pour demander à l'Union européenne de durcir la législation sur les hydrocarbures aromatiques d'huile minérale, ou MOAH.
Présents notamment dans des encres utilisées sur les emballages, ou dans des nettoyants industriels, ils peuvent migrer dans certains produits alimentaires et sont considérés comme potentiellement cancérigènes. Une campagne de tests menée par l'ONG, la troisième en six ans, a permis d'en détecter des traces dans 19 produits vendus dans cinq pays, dont des bouillons cubes et de la margarine en France. Franceinfo vous résume ce que l'on sait de ces substances et du risque qu'elles représentent.
D'où viennent ces MOAH ?
Cet acronyme désigne les hydrocarbures aromatiques d'huile minérale, une des deux substances qui composent les huiles minérales, dérivées du pétrole. Ces termes recouvrent une grande variété de substances, à la composition variable.
Mais on peut identifier certains domaines où les MOAH sont utilisés au cours de la production des aliments, listés dans un avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) en 2017 : dans des lubrifiants ou produits de nettoyages pour les usines et les machines agricoles ; dans certains pesticides ; et dans des additifs alimentaires, servant notamment à enrober les confiseries ou à faciliter le démoulage des pâtisseries.
Les MOAH peuvent aussi migrer vers les aliments via leurs emballages. Ils sont employés dans la fabrication de certains contenants en plastique ou dans des sacs en toile de jute, mais surtout dans les encres d'impression utilisées sur les emballages en papier ou en carton. On en trouve avec des teneurs plus élevées quand ces emballages sont recyclés, pointe l'Anses.
Etant donné qu'ils migrent dans les produits alimentaires de façon involontaire, ces MOAH n'apparaissent pas dans leur composition affichée : impossible pour un consommateur de savoir si un produit risque d'en contenir des traces.
Que sait-on de leurs potentiels dangers ?
Dès 2012, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qualifiait, dans un article scientifique (en anglais), l'exposition aux MOAH via l'alimentation de "potentiellement inquiétante" à cause de leur potentiel mutagène et cancérigène. C'est à la suite de cette alerte que l'Anses a été saisie.
Son avis de 2017 illustre le manque de connaissances précises sur les risques liés à ces substances : elle jugeait impossible de "réaliser une évaluation des risques" ou de fixer un seuil d'exposition à ne pas dépasser "étant donné la rareté des données disponibles".
A cette date, une seule étude analysait l'absorption d'un type précis de MOAH par voie orale, sans conclure à une augmentation du risque de tumeurs. En revanche, quand c'est la peau qui est exposée, "divers MOAH et dérivés ont induit des augmentations significatives des tumeurs", écrit l'Anses. "Un effet sur la reproduction et le développement ne peut pas être totalement exclu", ajoute l'avis, du fait là encore du "très faible nombre d'études" disponibles.
Si ces dangers sont donc méconnus, l'Anses jugeait "nécessaire, en priorité, de réduire la contamination des denrées alimentaires par ces composés", en particulier en utilisant des produits ne contenant pas de MOAH lors de l'impression des emballages papier et carton. Les produits alimentaires contaminés n'exposent pas "à un danger immédiat et aigu", mais cette contamination reste "inacceptable" au vu des dangers potentiels, résumait Foodwatch en 2019.
Dans quels types d'aliments les retrouve-t-on ?
Plusieurs campagnes de tests sur des aliments ont été menées par Foodwatch en Europe. La dernière en date, dont l'ONG a dévoilé les résultats jeudi, portait sur 150 références dans cinq pays, analysés par deux laboratoires. Des traces de MOAH ont été retrouvées dans 19 références de ces pays. En France, ce sont quatre variétés de bouillon cube qui sont concernées, ainsi qu'une plaquette de margarine. Ailleurs, on en trouve également dans des chocolats vendus en Autriche, et des pâtes à tartiner à la noisette ou au chocolat testées en Allemagne, en Autriche et en Belgique. Des tests sur des produits similaires en France n'ont pas détecté de traces de MOAH (les résultats complets se trouvent dans le rapport de Foodwatch). Foodwatch déconseille la consommation des produits concernés, et estime qu'ils "devraient être rappelés".
Une précédente campagne, en 2019, avait porté sur le lait en poudre pour bébés. Foodwatch avait demandé, sans succès, le retrait de deux références en France (une des deux n'est cependant plus commercialisée depuis 2020), mais l'affaire avait débouché sur la fixation d'un seuil de dangerosité au niveau européen, qui ne concerne que ce type de produits.
En 2015, une première série de tests avait conduit à la détection de MOAH dans 27 produits en France, tels que des céréales pour le petit-déjeuner, du riz, de la semoule et des lentilles. L'année suivante, six enseignes de grande distribution s'étaient engagées à ne plus vendre de produits alimentaires contaminés par ces substances.
Vont-ils être interdits ?
Depuis 2020, à la suite d'une précédente campagne de Foodwatch, la Commission européenne a imposé un seuil maximum de présence de MOAH dans les laits en poudre infantiles. L'absence d'un tel seuil était pointée par la répression des fraudes en France pour justifier de l'impossibilité de retirer les produits pointés du doigt par Foodwatch. Le seuil européen a été fixé à 1 mg/kg, un niveau qui n'était dépassé que par un des deux laits en poudre visés par l'alerte de l'ONG.
Foodwatch plaide de son côté pour une interdiction plus drastique, et qui ne soit pas limitée aux laits infantiles. Sa nouvelle campagne s'accompagne donc d'une pétition adressée aux Etats de l'UE et à la Commissaire européenne à la Santé et à la Sécurité alimentaire, Stella Kyriakides. Elle demande "le rappel immédiat de tous les aliments testés positifs et une réglementation fixant une tolérance zéro pour la contamination par les MOAH dans toutes les catégories d'aliments au sein de l’Union européenne". La pétition avait été signée par 17 500 personnes jeudi après-midi.
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