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Comment les crises environnementales placent la France sous la menace de nouvelles maladies

Les autorités sanitaires ont alerté en juin sur la possible émergence de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo, une maladie qui peut être mortelle pour les humains.
Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
De nouvelles maladies risquent de se déclarer en France, car les insectes qui peuvent les transmettre peuvent désormais s'y implanter. (HELOISE KROB / FRANCEINFO)

De quoi faire cauchemarder les hypocondriaques. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a alerté, le 1er juin, sur la possible émergence dans l'Hexagone de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC). Déjà présente en Espagne, ce virus risque d'arriver en France avec le réchauffement climatique lié aux activités humaines, et notamment la consommation d'énergies fossiles.

La France hexagonale est de plus en plus fréquemment exposée à de nouvelles maladies en raison des crises environnementales. Il serait toutefois réducteur d'expliquer leur émergence uniquement par le réchauffement global, prévient auprès de franceinfo Jean-François Guégan, directeur de recherches à l'Institut de recherche pour le développement et à l'Institut national de recherche pour l'agronomie, l'alimentation et l'environnement. Le spécialiste pointe la mondialisation, la déforestation, l'élevage ou encore l'utilisation des sols, qui ont souvent des rôles plus importants. "La translation vient principalement par les échanges économiques", tranche-t-il.

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La menace que représente la FHCC est, elle, bien portée par le réchauffement climatique. Cette maladie est transmise par la tique Hyalomma, qui apprécie les climats secs et les périodes chaudes, ce qui explique sa présence habituelle en Asie et en Afrique. Cette tique, transportée notamment par les oiseaux migrateurs, s'est déjà retrouvée sur le sol de l'Hexagone depuis des dizaines d'années, expose à franceinfo Elsa Quillery, coordinatrice de l'expertise scientifique à l'Anses. Elle n'avait toutefois pas réussi à s'y implanter en raison de conditions météorologiques défavorables à sa survie. Mais les modifications du climat, plus particulièrement dans le sud de la France, changent désormais la donne. "Elle se plaît dans la garrigue, le maquis, explique la spécialiste. Nous savons qu'elle remonte le long de la vallée du Rhône. Nous la retrouvons dans le sud de la Drôme et de l'Ardèche."

La fièvre hémorragique de Crimée-Congo dans la même catégorie qu'Ebola

Depuis 2013, en Espagne, douze personnes ont contracté la FHCC. Aucun traitement spécifique n'existe pour cette maladie, qui se caractérise d'abord par des symptômes grippaux, des courbatures, des troubles digestifs, des vomissements puis éventuellement des hémorragies. Parmi ces douze malades, quatre sont morts. Un taux de mortalité élevé, remarque Elsa Quillery.

En France, cette maladie de "gravité importante" et "hautement contagieuse" doit être obligatoirement déclarée, relève auprès de franceinfo Harold Noël, épidémiologiste à la direction des maladies infectieuses de Santé publique France. Les soupçons de FHCC, maladie classée dans la même catégorie que la maladie à virus Ebola, s'intègrent "dans un circuit de signalement et de traitement dédié", avec des "infectiologues référents dans des établissements de santé de référence", souligne l'expert. "Généralement, un prélèvement est envoyé dans un laboratoire spécialisé et les résultats nous parviennent dans les huit heures."

Pour l'instant, le virus de la FHCC n'a pas été détecté dans des tiques Hyalomma prélevées en France, souligne Elsa Quillery relevant que l'humain ne peut être qu'un "hôte accidentel" de la tique. A l'horizon 2050, avec le réchauffement climatique, l'aire d'implantation de cette tique pourrait considérablement s'étendre dans l'Hexagone, multipliant les risques de piqûres et les possibilités d'infections.

Le moustique tigre, vecteur de maladies tropicales

Pour le moustique tigre et les maladies qu'il peut transmettre (à savoir la dengue, le chikungunya et le virus Zika), le rôle du réchauffement climatique est plus nuancé. Ces maladies que l'on trouve habituellement dans les régions tropicales se retrouvent désormais en France. Soixante-cinq cas de dengue ont été recensés dans l'Hexagone en 2022. "Ces cas sporadiques ne déclenchent pas d'épidémies", commente auprès de franceinfo Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.

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Mais contrairement à une idée reçue, ce n'est pas grâce au réchauffement climatique que le moustique tigre est arrivé sous nos latitudes, s'installant dans presque l'ensemble de l'Hexagone. Il a en fait été transporté par l'homme ou par les marchandises, souligne Jean-François Guégan. Le moustique tigre a ainsi gagné les différentes régions françaises en prenant la route, via les camions et les voitures. "Il vit dans un rayon de 200 à 300 mètres. Cela lui prendrait un temps phénoménal de faire Marseille-Lyon. Mais avec l'autoroute, il ne met que 2h30", sourit le spécialiste des relations entre environnement et santé.

L'évolution de l'installation du moustique-tigre dans l'Hexagone, entre 2013 et 2022. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Si le réchauffement climatique n'est pas à blâmer dans l'arrivée du moustique tigre dans l'Hexagone, il va toutefois jouer un rôle dans le maintien de la dengue, du chikungunya, et de Zika. La transmission de ces maladies n'est en effet pas optimale lorsqu'il fait moins de 26°C. Dans un contexte dans lequel des étés plus chauds grignotent le printemps et empiètent sur l'automne, nous risquons d'assister à un étalement de la période de l'année pendant laquelle ces virus pourront s'épanouir.

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La répartition en France des maladies transmises par le moustique tigre reste malgré tout délicate à prévoir. "Il est difficile de se projeter dans l'avenir, notamment pour le sud de la France", remarque auprès de franceinfo l'écologue américaine Camille Parmesan. Cette membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) rapporte que, pour l'instant, les études sur le sujet se contredisent. Certaines concluent qu'elles vont s'étendre, d'autres estiment que l'aridité anticipée dans les décennies à venir va probablement empêcher les vecteurs de ces maladies (moustiques, moucherons, tiques, poux) de s'y maintenir.

En revanche, celle qui est également directrice de recherche au CNRS explique que ces maladies sont plus susceptibles de circuler davantage dans le nord de la France, ainsi que dans d'autres régions où l'assèchement devrait être plus modéré que dans le sud de l'Europe. "Le changement climatique entraîne un déplacement général vers le nord de l'aire de répartition des maladies et de leurs vecteurs", développe-t-elle.

La menace "tangible" d'un virus aviaire affectant l'humain

Jean-François Guégan juge toutefois que se concentrer sur le réchauffement climatique et l'idée d'"un déplacement de maladies tropicales du sud vers le nord est fâcheux". "Tout ce qui nous arrive aujourd'hui vient plutôt de l'est, de la Chine ou encore du Vietnam", précise le directeur de recherches, qui cible particulièrement les grippes aviaires.

Depuis que des épidémies touchant les animaux ont lourdement frappé le pays ces dernières années, les maladies respiratoires liées aux volailles (influenza aviaires) sont surveillées de près en France. Dans le Sud-Ouest, 900 000 animaux ont été abattus au mois de mai. "Le niveau de circulation des influenza aviaires observé en France ces deux dernières années est inédit. C'est vraiment très important", confirme Harold Noël.

La principale crainte des experts est que ces virus passent la barrière des espèces, via autre animal comme le cochon, et finissent par affecter l'homme. Ce phénomène, appelé zoonose, est favorisé par la proximité entre les humains, les animaux d'élevage et les animaux sauvages, et serait moins prononcé si les activités humaines n'exerçaient pas une pression aussi forte sur les écosystèmes.

Dans ce tableau, une famille de virus inquiète plus que d'autres. "Les virus de la grippe sont particulièrement équipés pour être des virus émergents. Leur capacité à adapter leur génome pour infecter des hôtes est sans commune mesure", soulève Harold Noël. Hélène Soubelet partage cette inquiétude : "Dans tous les plans de prévention des émergences graves, il y a l'hypothèse qu'un virus aviaire s'hybride avec un virus grippal humain", expose la directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité.

"Le problème, c'est que le virus aviaire est très mortel et que le virus humain est très transmissible. Si vous avez la combinaison des deux, cela démultiplie les problèmes que l'on a eus lors de la pandémie de Covid-19."

Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité

à franceinfo

"Nous y sommes préparés. D'ailleurs, nous n'avions pas prévu le Covid-19 mais la grippe aviaire humaine", remarque Hélène Soubet. "C'est quelque chose qui va arriver. La probabilité est quasiment de 100%. Nous avons seulement du mal à savoir quand", avance-t-elle.

La menace est " tangible", abonde Harold Noël. "C'est pourquoi un programme est en train d'être mis en place pour pouvoir au maximum limiter le risque aviaire, et détecter au plus vite de possibles transmissions aux personnes qui sont les plus proches des animaux, c'est-à-dire en général les éleveurs", explique-t-il. Si un tel foyer n'apparaissait pas en France, il n'est pas du tout exclu que ce virus puisse passer les frontières. Tous les ingrédients pour une nouvelle pandémie.

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