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Vrai ou faux Le cannabis entraîne-t-il un "glissement vers des drogues plus dures", comme l'affirme Emmanuel Macron ?

Les spécialistes des addictions contactés par franceinfo dénoncent les "représentations passéistes et fausses" du chef de l'Etat.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Un jeune homme consommant du cannabis photographié en avril 2020. (ROMAIN LONGIERAS / HANS LUCAS / AFP)

"Dire que le haschisch est innocent est plus qu'un mensonge." Emmanuel Macron a évoqué la consommation de cannabis dans un entretien au Figaro publié dimanche 18 avril. Au milieu de cette interview centrée sur la sécurité, le chef de l'Etat mentionne cette drogue pour parler de délinquance et de crime organisé.

"On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d'insécurité."

Emmanuel Macron

dans "Le Figaro"

Le président fait également cette remarque sur le parcours des consommateurs de cannabis : "Je ne parle même pas des effets de glissements vers des drogues plus dures." Le locataire de l'Elysée a-t-il raison d'affirmer que le cannabis ouvre la voie à d'autres substances ? Franceinfo a interrogé des addictologues.

Une vieille théorie battue en brèche

Le schéma selon lequel le cannabis est un passage vers des drogues plus dures est appelé théorie du "gateway", de "l'escalade", du "tremplin" ou encore de la "porte d'entrée". Elle a été élaborée "lors de la première moitié du XXe siècle par les autorités américaines", expliquait Le Figaro en 2015. Elle a ensuite été portée par des recherches de la neurobiologiste américaine Denise Kandel en 1975. Emmanuel Macron relaie de "vieilles corrélations" établies dans les années 1970 et 1980, observe Alain Morel, psychiatre, spécialiste des addictions, et directeur général de l'association Oppelia. On retrouvait en effet, à l'époque, du cannabis et de l'héroïne dans le parcours de consommation des jeunes.

"A l'écouter, on dirait qu'il ne s'est rien passé" dans la médecine, la recherche et la prise en charge des patients, juge Amine Benyamina, médecin au service d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif. Car depuis les années 1970, d'autres scientifiques se sont intéressées au sujet et ont contredit cette théorie. Le débat est en effet clos depuis de longues années, assure-t-il.

"Cela fait fort longtemps qu'il a été démontré que le cannabis n'est pas une marche qui amènerait obligatoirement ou de manière très puissante vers d'autres drogues comme l'héroïne."

Alain Morel, psychiatre

à franceinfo

"Aucune étude ne prouve la théorie de 'l'escalade', c'est-à-dire que l'on commence par du cannabis et que l'on devient héroïnomane", corrobore Amine Benyamina. Cette théorie est d'ailleurs si obsolète qu'"il n'y a presque plus personne [parmi les chercheurs] qui travaille vraiment là-dessus", souligne Alain Morel. 

On en retrouve toutefois une trace dans le magazine américain The Atlantic (en anglais) qui rapportait, en 2015, les résultats d'un sondage mené en 2012 aux Etats-Unis. Selon les données recueillies, 65% des consommateurs de cannabis ont d'abord essayé l'alcool et 40% des personnes ayant testé le cannabis ne testeront pas d'autres drogues par la suite.

Des pratiques qui ont changé

Outre l'évolution des connaissances scientifiques au fil des décennies, les pratiques ont "complètement changé aujourd'hui, parce qu'il y a beaucoup d'autres produits de l'héroïne qui sont testés", soulève Alain Morel.

"Les jeunes ne consomment pas que du cannabis. Ils consomment beaucoup d'alcool, des ecstasys, ils font aussi des expériences d'acides."

Amine Benyamina, addictologue

à franceinfo

"Le problème le plus important, c'est le tabac et l'alcool", poursuit Alain Morel. Une analyse confirmée par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (PDF) dans une enquête datant de 2018. "L'alcool, principalement expérimenté durant les années collège, reste la première substance diffusée au cours de l'adolescence, suivie du tabac", écrivait-il. Le cannabis, dont la consommation est plus courante à la fin du collège et surtout au lycée, s'avère quant à lui le "produit illicite le plus commun". Et l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies de conclure que "l'expérimentation des autres substances illicites" reste "confidentielle".

Des profils de consommateurs différents

Selon les spécialistes contactés par franceinfo, le cannabis n'est pas le facteur déterminant dans le parcours des consommateurs de drogues dures. "Nous sommes sur des profils différents, des facteurs de vulnérabilité différents", remarque Amine Benyamina. Alain Morel souligne qu'il n'existe pas de "synergies entre produits". D'après lui, c'est "l'exposition aux produits et les liens avec des groupes de consommateurs" qui influent sur les addictions.

Au lieu d'une théorie "de l'escalade", il décrit un possible phénomène de "tourniquet", c'est-à-dire le fait de tester un produit, puis un autre, avant de revenir au premier, voire d'en essayer un nouveau. Il est donc faux d'affirmer que le cannabis est la porte d'accès à des drogues plus dures, comme le fait Emmanuel Macron. "Ce n'est pas une règle", martèle Alain Morel, qui dénonce des "représentations passéistes et fausses sur le cannabis".

Un cliché qui fait régresser le débat public

Bernard Basset, médecin spécialiste en santé publique et président de l'association Addictions France, déplore une "régression" du débat avec cette sortie d'Emmanuel Macron. "Pour un président qui dit s'appuyer sur la science, là, il ne s'appuie pas sur les gens qui détiennent la connaissance scientifique, réagit-il. Il va à rebours de leurs savoirs et de l'expérience clinique de l'aide aux personnes." D'après lui, le chef de l'Etat utilise des "arguments qui ne sont pas sereins et pas objectifs".

Les addictologues sollicités par franceinfo craignent que ces clichés empêchent la France de faire évoluer sa législation comme l'ont fait d'autres pays comme l'Espagne, le Portugal, le Canada ou certains Etats des Etats-Unis. "C'est effarant, on revient en arrière", estime par exemple Alain Morel.

"On va être un pays à la remorque."

Bernard Basset, président de l'association Addictions France

à franceinfo

"Maintenir la prohibition, faire de la répression, c'est une fuite en avant. C'est taper sur le même clou, avec les mêmes résultats, c'est-à-dire rien", conclut Amine Benyamina. Comme l'a déjà montré franceinfo, la France est championne de la consommation de cannabis alors qu'elle est l'un des pays européens les plus répressifs.

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