L'homme de Cro-Magnon 1, "déformé par la maladie", était parfaitement "intégré"
Le médecin légiste et anthropologue Philippe Charlier a expliqué vendredi sur franceinfo que Cro-Magnon 1 était "intégré" dans sa société malgré sa maladie et "c'est un bel exemple d'humanisme", selon le scientifique.
Cro-Magnon 1 souffrait d'une "maladie génétique", "il était abîmé par cette maladie qui s’appelle la maladie de Recklinghausen", a expliqué sur franceinfo vendredi 30 mars Philippe Charlier, médecin légiste et anthropologue et chercheur à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). Ce dernier a dirigé l'équipe de scientifiques français qui a rééxaminé le crâne de Cro-Magnon 1 à l’occasion des 150 ans de sa découverte dans la grotte des Eyzies (Dordogne). Le fossile est conservé au musée de l'Homme à Paris.
Cro-Magnon 1 ressemblait "à un patient", "à un malade tout simplement", comme on peut "en croiser tous les jours à l'hôpital avec de nombreux nodules qui font de un à quatre centimètres au niveau du visage, répartis de haut en bas mais aussi sur la totalité de son corps", a encore expliqué Philippe Charlier. Malgré sa maladie, "il n’y a pas de traces d’exclusion sociale pour cet individu", a constaté le médecin, ajoutant que c'est "un bel exemple d’humanisme".
franceinfo : À quoi ressemble cet homme de Cro-Magnon ?
Philippe Charlier : Il ressemblait à un patient comme je peux en croiser tous les jours à l’hôpital avec de nombreux nodules qui font de un à quatre centimètres au niveau du visage, répartis de haut en bas mais aussi sur la totalité de son corps. Il était abîmé par cette maladie qui s’appelle la maladie de Recklinghausen. On a considéré ce squelette, qui a 28 000 ans, comme un patient de tous les jours. On l’a ausculté. On a regardé les reliefs du crâne et on l’a soumis à un examen scanographique. C’est comme un scanner un peu plus performant et précis à 10-15 micron. On s’est rendu compte qu'il y avait des lésions au niveau de l’os et ce, partout à la surface et dans l’épaisseur de l’os. En comparant ce crâne avec d’autres collections anatomiques et de crânes malades qui ont été prélevés au 19e siècle et au XXe siècle dans les universités françaises, on s’est rendu compte que cela nous confirmait cette proposition de diagnostic, qui est celle de cette maladie génétique.
Etiez-vous surpris par cette découverte ?
Ça m’a étonné dans le sens où c’est une maladie qui n’est pas si rare que ça, mais c’est le cas le plus ancien de cette maladie. En revanche, ce qui ne m’étonne plus, c’est la possibilité de réaliser des diagnostics extrêmement fins, sur des restes qui sont assez anciens.
Comment avez-vous fait pour tirer autant d’enseignements ?
Les tissus sont très bien conservés. On a aussi des outils technologiques d’une grande précision. Mais, ce n’est pas que ça. On a la possibilité aussi avec les techniques de l’anthropologie et de la médecine légale de proposer une reconstitution du visage. C’est ce qu’a fait Philippe Froesh [spécialiste de la reconstruction faciale] avec ce crâne de Cro-Magnon. En fait, il ressemble à quelqu’un qu’on pourrait croiser dans la rue ou dans un hôpital, un malade tout simplement.
Il est barbu. Est-ce une hypothèse ?
On n’a aucune preuve de rasage ou de non rasage. Mais sur le plan moral, on en a assez de faire cette différence ridicule entre Neandertal, qui serait un homme soi-disant sauvage et archaïque, et Cro-Magnon qui lui serait entièrement civilisé. À l’entrée même de l’exposition Neandertal au musée de l’Homme [à Paris], on voit que madame Neandertal a été habillée par une grande créatrice de mode française et c’est vrai qu’on pourrait la croiser dans le métro, dans le RER ou dans le train. Un peu de la même façon, on pourrait croiser monsieur Cro-Magnon. Certains y voient un look de hipster, d’autres de quelqu’un qui ne fait pas trop attention à sa personne, mais il faut arrêter avec ces clichés qui sont hérités de la préhistoire de grand-papa ou du XIXe siècle.
Quels autres enseignements scientifiques avez-vous appris ?
Il était déformé par la maladie. Il souffrait vraisemblablement de vertiges, de surdité sur l’oreille gauche, et malgré tout, il n’a pas été exclu. Il faisait partie de cette société, il n’a pas eu de troubles alimentaires et a été enterré avec les autres. Il n’y a pas de traces d’exclusion sociale pour cet individu. Cet homme qui avait une tête "un peu bizarre" avec de gros nodules jusqu’à quatre centimètres était intégré. Ce qui est un bel exemple d’humanisme. Le prochain squelette étudié sera celui du pianiste Frédéric Chopin, un autre spécimen d’Homo sapiens un peu plus récent.
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