Chocolat, charcuterie, bonbons : sommes-nous tous des drogués en puissance ?
Alors que des chercheurs américains ont établi un lien entre les effets des biscuits Oreo et ceux de la cocaïne sur le cerveau des rats, francetv info a tenté de comprendre les mécanismes de l'addiction alimentaire.
Certains s'en prennent à la pâte à tartiner. D'autres se ruent sur les bonbons. Il y a aussi les malades de la charcuterie et les buveurs complusifs de soda. Où s'arrête le péché mignon ? Où démarre l'addiction ? Mercredi 16 octobre, des neuroscientifiques américains ont indiqué que les biscuits Oreo produisaient le même effet que la cocaïne et la morphine sur le cerveau des rats. Alors, sommes-nous tous des toxicomanes en puissance, dépendants à des substances qui, consommées sans modération, mettent en péril notre santé et notre tour de taille ?
Francetv info a interrogé des spécialistes de l'alimentation pour comprendre pourquoi certains aliments nous obsèdent plus que d'autres.
Comment reconnaît-on l'addiction à un aliment ?
La question de la terminologie divise la communauté scientifique. Parmi l'éventail des troubles du comportement alimentaire, l'addiction côtoie la boulimie ou encore l'impulsivité : des pathologies différentes qu'il convient de ne pas mélanger, rappelle Luc Pénicaud, directeur de recherche au CNRS et directeur du Centre des sciences du goût et de l'alimentation (CSGA). "Les spécialistes du comportement vous dirons que l'addiction traduit le fait de ne pas être en mesure de se passer de quelque chose. L’impulsion, c’est une envie très forte, à un moment donné", explique-t-il. Parmi ces impulsions figurent l'envie de fraises de la femme enceinte, ce paquet de chips à l'apéro qui vous hante jusqu'à la dernière miette ou cette tablette de chocolat engloutie un soir sur votre canapé ("Juste un carré. Oh, et puis zut !").
Pour Nicolas Darcel, spécialiste de la neurobiologie du comportement alimentaire au département Sciences de la vie et santé à AgroParisTech, "le point commun entre ces différentes conduites alimentaires est qu'elles sont le résultat d'un dysfonctionnement du système central de la récompense (le réseau de neurones qui est en charge de produire du plaisir, du bien-être et de la satisfaction). Mais ce sont des comportements bien distincts et les mécanismes neurobiologiques précis sous-jacents sont différents."
Est-ce comparable avec l'alcoolisme, le tabagisme ou la toxicomanie ?
"Nous savons que la consommation de certains aliments entraîne une réaction physiologique qui emprunte les mêmes circuits neuronaux que la réaction générée par la consommation de drogue", poursuit Luc Pénicaud. En d'autres termes, les zones du cerveau sollicitées sont similaires, que nous buvions de l'alcool, consommions une drogue ou un certain type d'en-cas. "Nous rencontrons les mêmes neurotransmetteurs", comme la dopamine, par exemple.
Pour David Kessler, médecin, avocat et ancien commissaire à la Food and Drug Administration américaine, cité par le site PasseportSanté, "la dopamine monopolise l’attention (…). Pour certains, l’alcool peut être un stimulus fondamental. Ou les drogues illicites, les jeux de hasard, le sexe, le tabac. Mais pour nombre d’entre nous, c’est la nourriture."
Nicolas Darcel tempère cependant : "Je pense qu'on ne peut pas affirmer qu'être 'accro au Nutella' est similaire à être dépendant à la cigarette, on est juste un peu gourmand. Enlevez le Nutella à des mangeurs de Nutella et supprimez les cigarettes à des fumeurs, je pense que dans un cas, les choses se passeront bien, dans l'autre cas, ça risque d'être moins anecdotique."
Les aliments sont-ils seuls responsables ?
Inutile de blâmer Coca-Cola, Nutella ou Haribo. Si le salé, le sucré et le gras excitent nos sens, l'aliment en lui-même n'est pas le seul responsable de nos conduites excessives. A l'origine, il y a le plaisir : "Pour comprendre ce qui fait que ces aliments agissent sur notre cerveau, il faut prendre en compte leur goût, leur palatabilité [qui procure une sensation agréable], et ce que déclenche le goût, soit les effets métaboliques post-ingestifs", explique Luc Pénicaud. Le Food information european council, institut basé à Bruxelles, précise pour sa part qu'"il est important de faire une distinction entre les individus qui ressentent une forte compulsion (qui se sentent 'dépendants' d’une consommation alimentaire excessive) et l’idée que des aliments ou des substances nutritives spécifiques créent en eux-mêmes une 'accoutumance'".
Car la psychologie et la physiologie de chacun entrent en jeu : "Si on a une appétence pour le chocolat, on a souvent une histoire de vie derrière qui va expliquer cela. Les troubles alimentaires sont l'arbre qui cache la forêt, explique la médecin nutritionniste Valérie Niocel, installée à Limoges. Notre rapport à l'aliment s'explique par des facteurs pratiques, génétiques, psychologiques, physiologiques, socioculturels, etc. Par exemple, une personne qui prend des antidépresseurs ou qui souffre de troubles du sommeil connaîtra un rapport à la nourriture différent de quelqu'un dont ce n'est pas le cas." Il nous arrive aussi de manger pour se réconforter, "pour combler un vide", explique la nutritionniste. "A l'issue d'une journée stressante, on se dit qu'on a bien mérité un petit plaisir, souvent suivi d'un sentiment de culpabilité." C'est le pot de glace de Bridget Jones.
L'industrie agroalimentaire a-t-elle une responsabilité ?
Le marketing ne cesse de nous rappeler le bagage affectif que trimballent les aliments que nous consommons. L'"instant Nutella" est la nouvelle madeleine de Proust. "Si je vous donnais simplement du sucre en vous disant : 'Amusez-vous bien', vous me trouveriez un peu bizarre, résume le docteur David Kessler. Mais si j’ajoute à ce sucre des matières grasses, de la texture, de la couleur, de la température, une sensation buccale, une apparence extérieure, une odeur, et que je le rends accessible en tout temps, à chaque coin de rue, puis que j’ajoute le vernis émotionnel de la publicité et que je vous dis que vous pouvez en manger avec vos amis, vous payer du bon temps, j’en fais alors un carnaval alimentaire et il devient difficile d’y résister."
Mais les marques ne parlent pas qu'à nos sentiments. Via nos palais, elles visent aussi nos cerveaux : dans son livre Sel, sucre, gras : comment les géants de l'agroalimentaire nous ont rendus accros (Random House, 2013), le journaliste Michael Moss dénonce les méthodes des marques pour changer les gourmands en consommateurs compulsifs. Leur objectif : "Trouver le bliss point, le point de l'extase, qui plonge l'usager dans la béatitude et lui en fait redemander. Ni trop ni pas assez de sucre, de sel ou de graisse, rapporte Le Monde magazine (article pour abonnés). Le juste point où le cerveau envoie un message de satisfaction sans sensation de satiété, l'important n'étant pas d'aimer trop mais d'en redemander beaucoup."
Pour atteindre leur but, les industriels n'hésitent pas à adapter les produits en fonction des population ciblées, rapportait Libération en mars, notant que les yaourts et sodas étaient jusqu'à 40% plus sucrés dans les supermarchés d'outre-mer qu'en métropole. Des petits arrangements avec nos papilles qui ne sont pas sans risque : en avril 2012, le quotidien britannique The Guardian (en anglais) se faisait l'écho de la mort d'une Néo-Zélandaise de 30 ans, décrite comme accro au Coca-Cola. Sa consommation oscillait entre 8 et 10 litres de soda par jour.
"Depuis quinze, vingt ans, les pouvoirs publics ont bien saisi l'enjeu et ont mis en place des réglementations, des incitations et des campagnes de sensibilisation, remarque Nicolas Darcel. Les attentes des mangeurs ne sont plus les mêmes, donc cela devrait aussi modifier l'offre dans un futur proche."
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