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"Si ce n’est pas le Gardasil, d'où vient ma maladie ?"

Justine, Morgane et Meriem ont porté plainte contre X en décembre dernier. Après avoir reçu le vaccin Gardasil, elles ont toutes les trois développé des maladies auto-immunes rares. Elles racontent comment leur vie a changé.

Article rédigé par franceinfo - Valérie Xandry
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Douze jours après avoir été vaccinée, Meriem est tombée malade. (  FRANCETV INFO )

Avec ses longs cheveux noirs et un joli visage légèrement maquillé, Meriem est semblable à beaucoup de jeunes femmes de 19 ans. En apparence. Trois quarts d’heure à peine avant de me rencontrer, elle était couchée dans son lit, incapable de se lever. Simplement parce que son médicament n’avait pas encore fait d’effet.

Meriem est atteinte de myasthénie, une maladie auto-immune rare qui attaque les muscles. Sans son traitement, chaque mouvement la fatigue au point que marcher mais aussi parler ou mâcher devient insurmontable. La première fois que la maladie s’est manifestée, Meriem était à un concert. "Au bout de deux heures, mes jambes ne me portaient plus. J’ai eu soudain très chaud et je me suis effondrée", raconte la jeune fille. C’était le 18 juin 2011. Douze jours auparavant, Meriem recevait la troisième injection du vaccin Gardasil.

Meriem n’avait jamais fait le rapprochement entre les deux événements jusqu’en novembre dernier. Assise sur le canapé, elle voit Marie-Océane Bourguignon annoncer à la télévision qu’elle porte plainte contre le laboratoire à l’origine du vaccin qui a, selon elle, déclenché sa sclérose en plaques. Meriem se pose alors des questions sur l’origine de sa propre maladie, survenue si soudainement après la troisième injection.

Avec l’aide de son père, elle prend contact avec une association, Les filles et le Gardasil, et entre en relation avec une avocate, Camille Kouchner. Moins d’un mois après, Meriem et huit autres jeunes femmes portent plainte contre X pour "atteinte involontaire à l’intégrité physique et tromperie aggravée". Si personne n’est visé nominalement dans cette plainte, celle-ci vise le Gardasil. Les jeunes femmes soupçonnent le vaccin d'être à l'origine de leur maladie, malgré l'absence de preuves scientifiques. Et d'autres plaintes devraient suivre dans les prochaines semaines.

Des maladies contractées après la vaccination

Apparu en Europe en 2006, le Gardasil protège contre le papillomavirus (PHV), un des virus responsables du cancer du col de l’utérus. Des publicités diffusées à la télévision présentent ce nouveau vaccin et appellent les jeunes filles et leurs mères à se renseigner. "Ma mère n’a jamais été particulièrement adepte des vaccins, raconte Justine, une autre jeune femme ayant porté plainte. Mais mon arrière-grand-mère a eu un cancer du sein, donc on s’est laissé convaincre par le discours."

Dans son studio d’étudiante, Justine sort un épais dossier médical pour retrouver les dates exactes. Elle s’est fait vacciner en 2008 lorsqu’elle avait 15 ans. Un an après, elle commence à ressentir une fatigue inhabituelle. "Je ne pouvais pas me lever avant 14 heures le week-end et le sport devenait une corvée." Mais son entourage met cela sur le compte du bac que la jeune fille passe justement cette année-là. En 2010, Justine ne supporte plus le soleil, n’arrive plus à monter les escaliers et commence à ressentir des douleurs dans la cage thoracique. Une consultation chez un généraliste, puis chez un spécialiste et une prise de sang confirment le diagnostic : Justine souffre d’un lupus, ses anticorps se sont déréglés et attaquent ses organes.

Justine a reçu les trois injections de Gardasil en 2008. (  FRANCETV INFO )

"Aujourd'hui, je vais bien", déclare Justine en se resservant un café, devenu son "meilleur ami" depuis qu’elle est malade. Elle dispose d’un traitement adapté qu’elle devra suivre toute sa vie et fait des bilans réguliers pour vérifier que la maladie n’attaque pas des organes importants comme les reins. "J’organise mon emploi du temps en fonction des examens médicaux, explique-t-elle. D’ailleurs, mon prochain rendez-vous tombe la semaine des partiels de la fac. Il va falloir que je m’arrange."

"Je ne vis pas comme une fille de mon âge"

La vie de Meriem, elle, est régie par l'heure et demie que ses médicaments mettent à faire effet, et par ce qu'elle peut ou ne peut plus faire. Les yeux brillants, sa mère regarde le piano posé dans un coin du salon. "Elle est sortie du conservatoire et maintenant, elle ne peut pas jouer. Vous la verriez certains soirs, un vrai chiffon, on dirait qu’elle a 80 ans", se désole-t-elle. Dans la cuisine, Meriem prend dans ses bras la fillette que garde sa mère. Celle-ci s’écrie aussitôt : "Ne la porte pas, elle est trop lourde pour toi." La même crainte, encore et toujours.

Apprendre à vivre avec leur maladie, c’est aussi apprendre à l’accepter. Et cela n’a pas toujours été simple. Justine a vu trois psychologues avant d’oser parler des conséquences de sa maladie. "Je ne vis pas comme une fille de mon âge et je sais que je ne serai pas une femme de 35 ans comme les autres."

Peu de gens sont au courant qu’elle a un lupus, sa famille, quelques amis très proches, quelques responsables à l’université. "Les gens ne savent pas trop comment réagir, ils ne connaissent pas la maladie. La seule occasion que j’ai de parler à quelqu’un, c’est dans les salles d’attente lorsque je vais faire mes examens."

Paralysée pendant une semaine

Comme Justine, Morgane a préféré ne rien dire, excepté à ses proches. Morgane était au collège lorsqu’elle a reçu le vaccin Gardasil, en juin 2009. En novembre, elle contracte une gastroentérite lors d’un stage dans une crèche. Dans les jours qui suivent, elle va de plus en plus mal, jusqu’à être admise à l’hôpital. Lors des examens, on lui découvre un syndrome de Guillain-Barré, une maladie neurologique qui la laisse paralysée pendant une semaine. "Je pleurais tous les soirs, confie Morgane. Heureusement que mes parents étaient là pour me remonter le moral."

Après cette longue semaine de paralysie, elle retrouve une sensibilité et commence une rééducation pour regagner de la mobilité. "Je suis passée du monde où tout allait bien au monde du handicap." 

Une coïncidence temporelle, mais pas d'expertise médicale

C’est son père qui, le premier, envisage un rapport entre le Gardasil et le syndrome de Guillain-Barré. Et c’est lui qui la soutient dans sa démarche pour porter plainte contre X. Sa mère, elle, pensait que la gastroentérite était la cause de la maladie, comme les médecins l’avaient suggéré au tout début. "Elle voulait vacciner mes deux petites sœurs mais maintenant, elle commence à se poser des questions", indique Morgane. Aucune expertise médicale ne vient appuyer sa plainte, mais son dossier montre la coïncidence temporelle entre les deux événements.

Justine, elle aussi, n'a pas cherché à avoir l'opinion d'un spécialiste lorsqu'elle a décidé de porter plainte. Elle a simplement apporté une copie de son dossier médical et des témoignages de proches indiquant que son état s'était détérioré après qu'elle eut reçu le vaccin. Dans le dossier de Meriem figure en plus une lettre de son généraliste indiquant qu'elle était en parfaite santé avant l'injection.

Les médecins divisés sur le vaccin

La profession médicale se déchire sur la question. Le 10 avril, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a actualisé les "données de sécurité" sur le Gardasil. L'agence lance une "étude de pharmaco-épidémiologie" sur "le risque de survenue de maladies auto-immunes chez les femmes vaccinées" mais indique que le nombre de maladies auto-immunes qu’on lui a notifiées reste "faible au regard de la population exposée" et que le rapport bénéfice/risque reste "favorable au vaccin"

Une pétition signée par plusieurs centaines de médecins réclame, elle, "une mission parlementaire sur l’opportunité de cette vaccination". Med'Océan, l'association à l'origine de la pétition, construit avant tout son argumentaire sur "l'absence d'efficacité" du vaccin. Philippe de Chazournes, médecin à Saint-Denis de la Réunion et président de Med'Océan, reste prudent sur la question des effets indésirables, mais considère qu'il faudrait une nouvelle étude de nocivité. 

Pour Olivier Graesslin, gynécologue-obstétricien au CHU de Reims et secrétaire général du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), le vaccin est "efficace et toléré". S'il regrette que ces femmes soient tombées malades, il déplore "l'amalgame" qui est fait entre leur état et le vaccin. "Des études scientifiques indépendantes [comme celle publiée par le Journal of Internal Medicine] montrent une absence de lien entre le vaccin et les maladies auto-immunes." Le CNGOF est par ailleurs signataire d'une contre-pétition pour défendre la vaccination.

Un besoin de comprendre avant tout

Mais pour Meriem, "ce n'est pas possible que ce soit autre chose". "Je n’accuse pas ouvertement mais je soupçonne le vaccin", glisse JustineMorgane, elle, est "convaincue à 50% que sa maladie est due au Gardasil"

Ce que les trois jeunes femmes attendent de cette plainte ? Prévenir les autres filles qui pourraient se faire vacciner et avoir des réponses aux questions qu’elles se posent : "Pourquoi le vaccin a-t-il été mis sur le marché ?" "pourquoi cela m’arrive à moi ?" ;"si ce n’est pas le Gardasil, à quoi cela peut-il être dû ?"

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