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L'ADN a deux nouvelles lettres : qu'est-ce que ça change ?

Des scientifiques ont prouvé qu'il était possible de modifier la structure de l'ADN du vivant. Francetv info a interrogé un spécialiste pour comprendre la signification de cette avancée scientifique.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Représentation d'une molécule d'ADN. (JGT / AFP)

Jusque-là l'ADN, qui porte l'information génétique du corps humain, était composée de quatre molécules de base : l'adénine (A), la thymine (T), la guanine (G) et la cytosine (C). Ces molécules (appelées bases azotées) fonctionnent par paires (A-T et C-G) et permettent, par leur enchaînement, de déterminer les caractéristiques de l'ADN. Mais il est désormais possible de créer un ADN plus complexe.

Une équipe de chercheurs américains, menée par le professeur Floyd Romesberg (Institut de recherche Scripps, La Jolla, Etats-Unis), est parvenue à implanter une troisième paire de molécules artificielle (différente de A-T et C-G) dans l'ADN d'une bactérie, Escherichia coli. A la surprise des scientifiques, cet organisme vivant s'est montré capable de répliquer l'ADN semi-synthétique. La découverte pourrait permettre d'importantes avancées médicales et scientifiques, selon l'étude, publiée dans la revue Nature (en anglais).

"Si vous lisez un livre écrit avec quatre lettres, vous n'allez pas être en mesure de raconter des histoires très intéressantes. Si on vous donne davantage de lettres, vous pouvez inventer de nouveaux mots (...) et vous pourrez probablement raconter des histoires plus intéressantes", explique Floyd Romesberg. Pour comprendre l'impact de cette étude, francetv info a interrogé le généticien Patrick Gaudray, chercheur au CNRS et membre du Comité consultatif national d'éthique.

Francetv info : Deux nouvelles lettres pour l'ADN, concrètement, qu'est-ce que ça change ?

Patrick Gaudray : C’est un pas important dans la recherche fondamentale sur la nature même de l'ADN. Il semble que l'ADN soit capable de faire autrement, de composer avec davantage de lettres que les traditionnelles A, T, C, G. Cela nous amène à nous interroger sur les choix du monde vivant au cours des quatre milliards d'années de son évolution. Il est possible de se dire que les organismes vivants auraient pu évoluer différemment avec un ADN complexifié comprenant plus de quatre lettres. 

Pour certains, cela montre qu'il est possible de faire mieux avec notre génome, et donc d'améliorer le genre humain, qui deviendrait par exemple plus résistant ou disposerait d'une plus grande longévité. Je reste méfiant sur ce point. Mais cette étude reste incontestablement une porte ouverte pour un champ magnifique de recherches fondamentales et pour une meilleure compréhension des phénomènes biologiques. D'autant qu'il s'agit d'un point d'étape sur un travail de recherche qui dure depuis plus de quinze ans.

Quelles sont les applications concrètes de l'arrivée de ces deux nouvelles lettres d'ADN ?

Pour l'instant, il n'y a pas d'utilisation concrète de cette étude. La publication évoque de possibles avancées dans le monde médical, notamment dans la lutte contre les cellules cancéreuses, sans pour autant présenter de véritable solution sur ce point. Ils sont donc encore très loin d'avoir trouvé un traitement miracle contre le cancer. Même si je respecte le travail précieux de cette étude, c’est le genre d’hypothèse ouverte que l’on met à la fin d’une étude, notamment pour obtenir des financements. 

Ensuite, tout est possible. Si les scientifiques poursuivent et parviennent à induire la synthèse de protéines inédites incorporant de nouveaux acides aminés [des molécules qui entrent dans la composition des protéines], cela ouvre le champ des possibles. Ces nouveaux acides aminés pourraient être utilisés dans différents domaines. Dans l'industrie pharmaceutique, on peut imaginer des progrès pour la médecine, comme de nouveaux antibiotiques plus performants. Il peut aussi y avoir des applications dans les procédés industriels comme la décontamination, la dépollution des sols ou encore la destruction de certains déchets. 

Mais encore une fois, il faut être prudent. Les biologistes ont souvent tendance à faire rêver les gens sur d’hypothétiques applications à court terme avant de les décevoir parce que tout prend toujours plus de temps. Cela a été le cas avec la "guerre contre le cancer" lancée par Richard Nixon [le président des Etats-Unis] en 1971, qui devait éradiquer la maladie. Cela a également été le cas avec le Téléthon, censé permettre de guérir rapidement les maladies génétiques rares. Vingt-cinq ans plus tard, il peut y avoir une certaine déception. Pourtant, les avancées pour la recherche sont réelles, mais la science possède son propre rythme, qu'il faut respecter. Il ne faut pas comparer ce rythme à celui des techniques, où les progrès sont fulgurants. 

Existe-t-il de potentielles dérives à partir des avancées de cette étude ?

Toute avancée scientifique amène des inquiétudes. Pour autant, il ne faut jamais poser de limite à la science elle-même. Il faut en revanche poser des limites aux applications qui sont faites à partir des découvertes scientifiques. Il ne faut pas confondre les deux. Un exemple avec les antibiotiques, qui représentaient au départ un indéniable progrès. Mais nos sociétés en ont fait un usage désastreux et incontrôlé, du coup les antibiotiques sont en train de perdre de leur efficacité car les bactéries s'adaptent et deviennent résistantes [c'est ce qu'indique le dernier rapport de l'OMS]. On se retrouve avec des catastrophes sanitaires, comme avec la tuberculose multirésistante.

Ensuite, c'est à la société, aux populations, d'essayer d'orienter les décisions pour que les progrès scientifiques nous rendent service et surtout apportent un progrès à nos enfants, aux générations futures. Malheureusement, les choix sont souvent faits à courte vue et effectués au nom de la rentabilité économique. La meilleure preuve reste l'augmentation des brevets déposés aux Etats-Unis. Je suis toujours gêné par l’utilisation obstinée du vivant pour faire de l’argent. Cela rend presque suspectes les études scientifiques. Il faudrait que la science sorte de la logique du profit.

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