Alimentation : le consommateur doit accepter "sa responsabilité de citoyen" pour "s'aligner avec les enjeux climatiques", juge un spécialiste de la grande distribution
"Si le consommateur n'accepte pas sa responsabilité de citoyen, on aura du mal à aligner notre consommation avec les enjeux climatiques", estime jeudi 2 février sur franceinfo Olivier Dauvers, journaliste spécialiste de la grande distribution et auteur du blog "Le web grande conso". Dans un rapport publié jeudi, le Réseau Action Climat (RAC), qui fédère une quarantaine d’associations environnementales, a analysé le poids de la grande distribution dans l'empreinte climatique des Français et les actions menées en faveur du climat et d’une alimentation durable. D'après les conclusions, "les enseignes sont aujourd'hui davantage un frein qu'un moteur à la transition alimentaire et à la lutte contre le changement climatique". Aucun des huit supermarchés étudiés (E. Leclerc, Carrefour, Intermarché, Système U, Auchan, Lidl, Casino, Monoprix) ne permet aux consommateurs d’avoir une alimentation durable. "Ce constat est incomplet car on oublie de prendre la responsabilité du consommateur", nuance le spécialiste.
franceinfo : Le constat est assez sévère contre la grande distribution. Est-ce qu'il est justifié ?
Olivier Dauvers : Il est justifié si l'on regarde ce que font les distributeurs : ils ne font pas assez. Mais ce constat est incomplet car on oublie de prendre en compte la responsabilité du consommateur, parce que finalement, les distributeurs ne font que vendre ce que les consommateurs achètent. Je vais prendre l'exemple du bio, qui manifestement répondrait aux attentes du Réseau action climat et plus généralement de ce sujet de l'environnement. Les consommateurs depuis deux ans achètent plutôt moins de bio parce qu'il est plus cher. S'il est plus cher, c'est parce qu'il y a une raison objective qu'il le soit et là, ce n'est pas le problème des distributeurs, ni des paysans, ni des transformateurs. Il s'agit d'une réalité : le bio sera toujours plus cher. Imaginer un instant que demain le bio puisse devenir la norme de notre consommation alimentaire, c'est nier quelque chose qui est l'attente sociale pour le discount en France. Il y a des consommateurs qui voudraient acheter des produits bio mais ne peuvent pas. Par conséquent, tous les maillons sont co-responsable : la grande distribution est responsable mais nous le sommes aussi, quand on fait nos courses. Il y a une responsabilité totalement collégiale et on l'oublie souvent parce qu'on oublie notre responsabilité, elle est première.
"C'est par nos achats que l'on peut modifier ce qu'il y a dans les rayons et ensuite que les distributeurs modifient ce qu'ils achètent."
Olivier Dauversà franceinfo
L'un des reproches de cette étude adressée aux grandes surfaces est de donner trop d'importance dans leurs rayons à la viande d'origine industrielle qui émet le plus de gaz à effet de serre…
J'en reviens encore une fois au sujet de notre responsabilité. Ça fait déjà 20 ans qu'il y a de la viande bio dans à peu près tous les magasins. Est-ce que les consommateurs en achètent ? Non, pas assez parce qu'elle est trop chère, d'environ 50%. Mais il ne faut pas faire croire aux consommateurs que si l'on achète tous bio, on arrivera à avoir en bio les prix du conventionnel. Le bio porte en lui les germes d'un surcoût. Un éleveur bio a des charges plus élevées qu'un éleveur conventionnel. Donc si le consommateur en bout de chaîne n'accepte pas sa responsabilité de citoyen, on aura du mal à aligner notre consommation avec les enjeux climatiques, c'est le point de départ.
Est-ce que les marges de la grande distribution sont plus importantes sur le bio que sur le reste ?
Oui, elles sont plutôt plus importantes pour les distributeurs et pour les transformateurs, parce qu'il y a un effet d'opportunisme sur le bio. En effet, les consommateurs de bio sont moins sensibles au prix que les autres. Un commerçant comme un industriel n'est pas une entreprise philanthropique, ce n'est pas une organisation caritative. Lorsqu'il peut vendre un produit plus cher que moins cher, il le fait. Mais l'explication réside plutôt dans le surcoût du bio qui coûtera toujours plus cher à produire. Pour une raison toute simple : les rendements des produits bio sont plus bas, qu'on le veuille ou non.
Les ONG réclament la mise en place d'un "Éco-score" sur l'ensemble des produits alimentaires, sur le modèle du Nutri-score qui se fait aujourd'hui uniquement sur la base du volontariat. Est-ce une bonne idée ?
Ils ont raison parce que chaque fois que l'on simplifie le message que l'on envoie au consommateur, on a plus de chances de l'embarquer. Il faut que les grands sachants de l'environnement acceptent que celui qui fait ses courses consacre quelques secondes au moment où il choisit le produit. Ainsi, même si le message est simplificateur, il aide les consommateurs. La meilleure preuve est que l'on a vu une modification des ventes de produits mieux notés au Nutri-score. Bien sûr, trop d'indicateurs peuvent tuer l'indicateur, mais ne pas en avoir est encore pire parce que le consommateur n'a pas de repères. On a besoin de repères. Il vaut mieux avoir un peu trop de cartes routières pour se repérer qu'être seul dans la jungle.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.