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Procès du Mediator : "Servier n’a pas eu le courage de nous regarder"

Plus de 600 personnes demandent réparation à Jacques Servier et aux laboratoires du même nom devant le tribunal de Nanterre. La première journée du procès était consacrée à des questions de procédure, que le tribunal tranchera lundi 21 mai.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Jacques Servier au premier jour de son procès devant le tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine), le 14 mai 2012. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

"C'est instructif de voir les assassins de mon cœur." Comme Michel, 69 ans et originaire de Villeparisis (Seine-et-Marne), une trentaine de victimes du Mediator, ce médicament qui aurait causé la mort d’au moins 1 300 personnes, ont fait le déplacement au tribunal correctionnel de Nanterre (Hauts-de-Seine), lundi 14 mai, pour la première audience du procès. Celle-ci était consacrée à des questions de procédure, sur lesquelles le tribunal se prononcera finalement le 21 mai.

Les victimes ont tenu à assister au premier jour du procès pour "tromperie aggravée" de Jacques Servier et des laboratoires qu'il a fondés. Celui-ci s'est laissé photographier et filmer avant le début de l'audience, mais n'a fait aucune déclaration. Quatre ex-cadres de Servier et de Biopharma, qui a commercialisé de 1976 à 2009 le Mediator, antidiabétique prescrit par les médecins comme coupe-faim, comparaissent également.

Dans le public, il y a aussi des témoins, comme Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, une des premières à avoir révélé l'ampleur du scandale. Avant le début de l’audience, elle se dit "combative" et "confiante" sur la tenue du procès. "Jacques Servier est à sa place face un juge", ajoute-t-elle face à la caméra de France 2.

Irène Frachon : Jacques Servier est "à sa place face à un juge" (Francetv info)

Irène Frachon quitte finalement la salle une heure après le début du procès, à la demande de la présidente du tribunal, Isabelle Prévost-Desprez. La magistrate préfère que les témoins n'assistent pas aux débats de lundi, consacrés aux questions de procédure judiciaire. "Les témoins seront informés par voie de presse de leur convocation", déclare-t-elle. Un trait d'humour pour évoquer le traitement médiatique de l'affaire et souligner la présence de nombreux journalistes dans une salle d'audience pleine à craquer.

"J’aimerais lui dire qu’il m'a tué"

Vêtu d'un costume gris sur lequel apparaît sa Légion d'honneur remise par Nicolas Sarkozy, Jacques Servier, 90 ans, est resté assis, immobile, bras et jambes croisés. Il ne s'est levé que pour décliner son identité.

Ouverture du procès Mediator (Dominique Verdeilhan, Guillaume Beaufils - France 2 )

"J'aimerais lui parler en tête-à-tête, lui dire qu'il m'a tué", réagit Michel à la première suspension d'audience. "Je ne peux plus faire de vélo. Pour tondre ma pelouse, il me faut le double du temps car je suis essoufflé", ajoute l'homme, qui a pris du Mediator, à l'origine de graves lésions des valves cardiaques, entre 2003 et 2009. A l'issue du procès, Michel espère donc obtenir des excuses de Servier, et surtout un dédommagement. Mais après les premières heures d'audience, il craint que "le procès s'éternise".

De fait, le procès s'est ouvert par une bataille de procédure. Les avocats de Servier ont plaidé diverses demandes pour le faire annuler ou renvoyer. Ils ont soulevé deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui consistent à contester la conformité des textes appliqués avec la Constitution. La première concerne le délai de prescription en matière de tromperie. La deuxième s’interroge sur la difficulté pour Servier et ses laboratoires d'être jugés à Nanterre alors qu'ils sont mis en examen pour les mêmes faits à Paris.

Hervé Temime, l’avocat de Jacques Servier, a dénoncé une "lapidation médiatique". "Je suis pollué par les tweets, par internet", a-t-il déploré. "Les prévenus, dont Jacques Servier, sont amenés à devoir comparaître pour des faits [pour lesquels] ils ont été mis en examen au pôle santé de Paris (...). Cette situation est insupportable", a-t-il argué. "Nous sommes dans une situation tellement aberrante, tellement contraire au droit. La QPC est posée."

"Les victimes veulent une condamnation exemplaire"

Amiante, hormone de croissance, sang contaminé : les avocats des parties civiles ont de leur côté utilisé les exemples des grands scandales sanitaires pour affirmer la légitimité de leur procédure, une citation directe pour "tromperie aggravée". "Les victimes veulent une condamnation exemplaire et attendent de la compassion", a souligné l'un d’eux, Charles-Joseph Oudin.

"On a eu du mal à suivre, on ne connaît pas tous ces termes juridiques", commentent Marjorie, aide-soignante, et son frère. Ils sont venus de Vivier-au-Court (Ardennes) et ont posé des congés pour assister au premier jour du procès. Leur mère est morte en 2010 après avoir pris du Mediator pendant plus de cinq ans. Elle avait 66 ans. "Nous n’avons pas la preuve que son décès est entièrement lié au Mediator. Mais après en avoir pris, elle a fait beaucoup d’hypertension. Et elle était persuadée que c’était à cause de ce médicament", explique Marjorie. "Jacques Servier n’a pas regardé de notre côté, il n’a pas eu le courage d’affronter ses accusateurs. Mais on fera tout pour se battre", ajoute-t-elle.

La première journée du procès s'est finalement achevée sur les débats autour de la demande d'une expertise judiciaire et d'un supplément d'information, réclamés par les avocats de Servier. Ces sollicitations sont "prématurées mais pas aberrantes" a indiqué le représentant du ministère public. "Je ne peux trancher ni dans un sens, ni dans l'autre", a ajouté Philippe Bourion. La décision revient donc au tribunal. Elle sera rendue lundi 21 mai et permettra d'établir si le procès doit continuer en l'état.

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