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Sommet sur le climat : L'Afrique prête à passer "directement aux énergies renouvelables sans passer par la case des énergies fossiles", bonne solution pour les pays émergents selon François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat, avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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Des présidents d'États présentent l'Afrique comme une solution au dérèglement climatique, dans une déclaration au sommet africain sur le climat, 6 septembre 2023 à Nairobi au Kenya. (DANIEL IRUNGU / EPA/MAXPPP)

Le premier sommet africain sur le climat s'est déroulé les 4 et 5 septembre 2023, à Nairobi au Kenya. Pour une fois, concernant les questions de climat, François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC, spécialiste du climat et des migrations, trouve matière à se réjouir.

franceinfo : Enfin, un sommet international sur le climat s'est terminé sur un texte ambitieux et unanime ?

François Gemenne : Effectivement, on a un peu de mal à y croire. Et pourtant, un sommet international sur le climat s'est terminé avec un texte final ambitieux, voire très ambitieux, parce qu'il demande le respect des engagements passés de la part des pays industrialisés, ça c'est logique, mais il va plus loin. 

"Le texte final demande la mise en place d'une taxe carbone au niveau mondial, ainsi que des droits de tirage spéciaux au Fonds Monétaire International pour le climat, comme on l'avait fait pour le Covid."

François Gemenne

à franceinfo

 Et surtout, il propose que la capacité installée dans les énergies renouvelables en Afrique soit multipliée par six, qu'elle passe de 56 à 300 gigawatts d'ici 2030.

Pour qu'on ait une idée de l'ordre de grandeur, c'est à peu près cinq fois la puissance installée dans le parc nucléaire français. Cela correspond aussi à la puissance installée dans les énergies renouvelables en France si on inclut l'hydroélectrique. Cela veut dire aussi, au passage, que la capacité actuellement installée dans les énergies renouvelables en Afrique est inférieure à celle de la France. Cela donne la mesure des investissements à réaliser, du chemin qu'il reste à faire...

Qui dit "investissement" dit "argent". Et là, ça coince

Oui malheureusement. Il y a 600 millions d'Africains qui n'ont pas accès à l'électricité aujourd'hui. Malgré cela, l'Afrique ne représente que 3 % des investissements mondiaux dans le secteur de l'énergie, selon le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie. Certes, ce sommet de Nairobi a permis de mobiliser 23 milliards de dollars d'investissements supplémentaires, dont quatre milliards de la part des seuls États des Émirats arabes unis.

23 milliards, c'est quand même beaucoup d'argent, ça ne suffit pas ?

Disons que ça permet de passer de 3 à 4 % des investissements mondiaux dans l'énergie... 

"Je comprends que le contexte politique et économique de nombreux pays d'Afrique soit instable et que cela rende les investissements plus risqués. Mais il faut comprendre et c'est essentiel, que c'est là que beaucoup va se jouer."

François Gemenne

à franceinfo

L'Afrique, c'est 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Est-ce qu'il n'est pas finalement logique qu'elle représente la même part des investissements énergétiques ?

Attention, cette part de 4 % va forcément évoluer au fur et à mesure que les pays africains se développeront. Il y a 60 ans, les émissions de l'Europe représentaient plus de 40 % du total des émissions mondiales. Aujourd'hui, on est en dessous de 15 %, alors même que les émissions européennes ont considérablement augmenté au cours des 60 dernières années. 

"Le problème, c'est que d'autres régions du monde, à commencer par l'Asie, se sont considérablement développées et ont suivi la même trajectoire de développement que la nôtre, fondée sur l'exploitation des énergies fossiles."

François Gemenne

à franceinfo

 Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, forcément, beaucoup nourrissent l'espoir que l'Afrique passe directement aux énergies renouvelables sans passer par la case des énergies fossiles. Sinon, ça va devenir beaucoup plus compliqué.

On ne parle pas de nucléaire en Afrique ?

Le nucléaire progresse aussi, mais très lentement, parce que l'instabilité de nombreux pays rend les choses compliquées, sans compter les coûts qui restent considérables. Mais quand même, plusieurs pays sont sur les rangs. Il y a l'Afrique du Sud qui opère déjà un réacteur, l'Egypte qui a commencé la construction de réacteurs au moment de la COP 27 l'an dernier, le Ghana, le Maroc, l'Ouganda, le Rwanda et peut-être d'autres. Le hic, c'est que la plupart de ces pays ont signé des accords dans le domaine avec la Russie, bien entendu.

Est-ce qu'on peut se féliciter que la déclaration n'en parle pas ?

Personnellement, je suis surtout heureux qu'elle ne mentionne pas les énergies fossiles parce que la sortie des énergies fossiles, ça va être la grande question de la COP 28 qui se tiendra en décembre à Dubaï. Et les pays africains pourraient légitimement faire valoir leur droit à l'utilisation de leurs énergies fossiles, comme nous l'avons fait avant eux en Europe ou en Amérique du Nord. On n'a évidemment aucune leçon à leur donner. 

"On n'a aucune légitimité à dire de ne pas utiliser les énergies fossiles qui sont contenues dans leur sous-sol."

François Gemenne

à franceinfo

C'est pour ça qu'il va falloir investir massivement dans l'énergie décarbonée

Exactement. Sans investissements massifs dans l'énergie décarbonée, les pays africains iront évidemment puiser les énergies fossiles dans leur sous-sol. Tant qu'on n'aura pas compris que le succès de la lutte contre le changement climatique ne se joue pas uniquement à l'intérieur de frontières, mais aussi dans notre capacité à investir dans la transition énergétique des pays du Sud, eh bien on n'y arrivera pas.

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