Rapports du GIEC : répétitions, illisibilité, manque d'impact ou d'engagement... Quel format pour les prochaines publications ?

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC. Samedi 20 janvier : l'assemblée générale du GIEC, qui s'est tenue toute la semaine en parallèle de Davos, s'est interrogée sur l'efficacité de leurs fameux rapports.
Article rédigé par franceinfo
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Jusque là, les rapports du GIEC sont publiés en 3 volumes et peuvent atteindre 10 000 pages. (ERHUI1979 / DIGITAL VISION VECTORS)

Toute la semaine, en parallèle du Forum mondial économique de Davos, s'est tenue l'assemblée générale du GIEC, à Istanbul. Les discussions se sont notamment portées sur le format des rapports, souvent trop longs et illisibles, qui gagneraient peut-être en impact en étant plus synthétiques.

franceinfo : Cette semaine, c’était le Forum de Davos. A-t-on encore parlé du climat ?

François Gemenne : Évidemment. Sur les dix principaux risques identifiés par les participants pour les dix prochaines années, on trouve cinq risques liés à l’environnement, dont le changement climatique en 2e position. Mais aujourd’hui je voulais vous parler d’une autre réunion dont on a beaucoup moins parlé : l’assemblée générale du GIEC, qui se réunissait cette semaine à Istanbul.

"On l’oublie parfois, mais le GIEC n’est pas seulement un panel scientifique, c'est aussi une organisation intergouvernementale."

François Gemenne

à franceinfo

Le I de GIEC, c’est pour "intergouvernemental". Et donc, les gouvernements et le bureau du GIEC se réunissaient cette semaine en assemblée générale. Et l’un des points essentiels de leur discussion, c’était le format que devait prendre le prochain rapport d’évaluation.

C’est un gros enjeu. Jusqu'ici, les rapports du GIEC étaient publiés en trois volumes. Chaque volume correspond à l’un des trois groupes de travail qui composent le GIEC. Le premier groupe parle de la physique du climat, le second des impacts du climat sur les sociétés et les écosystèmes, tandis que le troisième s’occupe des solutions pour réduire nos émissions. Et tout cela donne des rapports très volumineux. Si on additionne les trois volumes du dernier rapport du GIEC, il y a plus de 10 000 pages.

Mais qui lit ça ?

Sincèrement, à part peut-être Valérie Masson-Delmotte (directrice de recherche au CEA et membre du GIEC), je ne connais personne qui lit tout de A à Z. Moi-même, je dois avouer qu’il y a sans doute des passages techniques que je serais incapable de comprendre. En réalité, ces rapports sont surtout comme des dictionnaires ou des encyclopédies : des ouvrages qu’on consulte. On ne lit que les résumés destinés aux décideurs, qui rassemblent l’essentiel des messages-clés dans un format plus digeste.

Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de suspense, on a parfois une impression de déjà-lu…

C’est sûr : chaque rapport s’appuie sur le précédent, donc il y a énormément de redites et de confirmations d’un rapport à l’autre. Bien sûr, chaque fois il y a des progrès, des précisions, des éléments nouveaux, mais on ne peut pas dire que le 6e rapport (2023) soit fondamentalement différent du 5e (2014), qui lui-même ressemblait déjà beaucoup au 4e (2007). Donc il me semble assez salutaire de s’interroger sur le format des rapports. Ces travaux prennent énormément de temps et d’énergie, ça mobilise des centaines de chercheurs, qui doivent évaluer l’ensemble de la production scientifique sur le climat. Et comme cette production scientifique augmente chaque année, ça prend de plus en plus de temps.

L’intelligence artificielle ne pourrait pas faire ça ?

D’ici quelques années, voire peut-être quelques mois, c'est très envisageable. Au train où ça va, on peut sûrement faire l’hypothèse que les outils d’intelligence artificielle apporteront une aide précieuse dans la rédaction des rapports. Mais plus fondamentalement, cette semaine, le GIEC s’est interrogé sur le format des rapports : est-ce qu’il faut faire un 7e rapport qui ressemble au 6e, ou est-ce qu’il faut au contraire faire des rapports plus courts, ou uniquement des rapports spéciaux ?

"On pourrait faire des rapports qui ne traitent que d’un sujet particulier, de manière à le mettre en avant. Le prochain rapport concernera les villes, par exemple."

François Gemenne

à franceinfo

Avez-vous une préférence ?

Je pense qu’on devrait maintenir le principe d’une évaluation permanente de nos connaissances sur le changement climatique, mais que cette évaluation permanente devrait se faire en continu, un peu sur la forme d’un grand Wikipedia. On pourrait par exemple mettre en place des outils d’intelligence artificielle, qui scruteraient l’ensemble de la littérature, repéreraient les nouveautés et les progrès, et on accompagnerait ce balayage d’un processus de validation par des scientifiques humains.

Et à côté, on pourrait avoir des rapports plus courts, ciblés sur des sujets précis, pour informer la décision publique sur des aspects essentiels de la transition. "Les rapports pourraient cibler les sujets qui génèrent des controverses dans le débat public : la voiture électrique, le nucléaire, la géo-ingénierie, les migrations, la publicité…

Le problème, c’est qu’il s’agit aussi de sujets avec lesquels les gouvernements sont souvent mal à l’aise. Ils préfèrent souvent que le GIEC n'aborde pas trop ces dimensions politiques et sociales du changement climatique.

"Ce sont ces dimensions clivantes qui sont précisément celles pour lesquelles on aurait grand besoin d’un éclairage scientifique."

François Gemenne

à franceinfo

C’est aussi pour ça que le GIEC ne formule aucune recommandation.

Pourtant on lit partout que le GIEC recommande ceci ou cela…

Eh bien c’est faux. Par nature, le GIEC s’interdit de formuler des recommandations politiques, pour ne pas prendre parti. On peut aussi considérer qu’au vu de la situation, s’interdire de formuler des recommandations, c’est en soi une prise de position, qui pose évidemment la question de l’engagement politique des chercheurs. Mais là, on ouvre un autre débat…

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