Projet de mine de lithium dans l'Allier : "Cette mine pourrait représenter un quart de la production mondiale", selon François Gemenne

Tous les samedis, on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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La mine de kaolin à Échassières dans l'Allier, le 24 octobre 2023. (OLIVIER CORSAN / MAXPPP)

La société Imerys projette d’ouvrir à Échassières, dans l’Allier, une très grande mine de lithium : 30 hectares de site industriel, des galeries à 400 mètres sous terre, sans compter les infrastructures de chargement de fret, de traitement des déchets, etc. Un projet qui va consommer beaucoup d’électricité et beaucoup d’eau : 600 000 mètres cubes par an qui seront prélevés dans la rivière voisine, la Sioule. La Commission nationale du débat public a commencé le 11 mars les réunions publiques sur le sujet et les opposants au projet se mobilisent pour faire entendre leurs objections, qui sont nombreuses.

franceinfo : On comprend que ça pose certaines questions, non ? Si j’étais riverain, je m’en poserais aussi…

François Gemenne : Et moi aussi, bien entendu. Mais l’enjeu est à la mesure de la taille du projet : ce serait la première ouverture de mine en France depuis 50 ans.

"Il s’agit de produire chaque année 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium, assez pour équiper chaque année 700 000 voitures électriques pendant au moins 25 ans."

François Gemenne

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En 2022, dans le monde, on a produit environ 130 000 tonnes de lithium. La mine d’Échassières pourrait potentiellement représenter un quart de la production mondiale de lithium. Ce qui est clair, c’est que cela placerait la France sur la carte de la géopolitique des terres rares et des minerais critiques. Pour l’instant, pour le lithium, cette carte se réduit à quelques pays, puisque trois pays se partagent l’essentiel de la production mondiale : l’Australie, avec 47% de la production ; le Chili, avec 30%, et la Chine, avec 15%.

Et les réserves dans ces pays s’épuisent, on lit partout qu’on n’aura pas assez de lithium pour la transition. C’est pour ça qu’il faut aller le chercher en France ?

Il faut relativiser. Bien sûr, on s’attend à ce que les besoins en lithium continuent à augmenter au cours des prochaines années, mais les réserves mondiales sont très abondantes. 

"Les réserves prouvées en lithium dans le monde étaient de 26 millions de tonnes en 2022. Et c’est un chiffre qui est encore bien en dessous des réserves estimées, qui tournent autour des 100 millions de tonnes."

François Gemenne

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Et la moitié de ces réserves se situe dans les plaines salines de Bolivie, du Chili et d’Argentine. Donc ça permet quand même de voir venir, d’autant plus qu’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’on parvienne de mieux en mieux à recycler les batteries électriques, puisque 80% de la demande mondiale de lithium, c’est pour les batteries.

Mais pourquoi aller chercher le lithium en France, s’il y a d’énormes réserves ailleurs ?

D’abord, parce que ça permettrait de produire localement un matériau qui est absolument essentiel pour la transition, avec tous les avantages que ça procure, mais aussi parce que ça permettrait de réduire les dommages à l’environnement. Les plaines salines d’Amérique du Sud, où se trouvent la moitié des réserves mondiales de lithium, ce sont des sites naturels absolument extraordinaires, par exemple, qui seraient évidemment saccagés par l’activité minière. Les promoteurs de la mine d’Échassières font valoir que l’extraction se ferait dans de meilleures conditions en France, en minimisant les dommages écologiques et en recyclant l’eau utilisée, par exemple.

Mais est-ce qu’une mine peut vraiment être écologique ?

Clairement non. Même avec toutes les précautions du monde, l’activité minière porte atteinte à l’environnement local, c’est évident. 

"Le cas de la mine d’Échassières illustre bien la double contradiction de la transition. La première, c’est que tout le monde veut des batteries au lithium, mais personne ne veut que le lithium soit extrait près de chez soi."

François Gemenne

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Tout le monde veut des énergies renouvelables, mais personne ne veut d’éolienne dans son paysage, etc. Est-ce que, moralement, nous pouvons nous contenter de miner ailleurs les matériaux de la transition, dans des conditions environnementales que nous ne contrôlons pas, alors que nous possédons certains de ses matériaux dans notre sol ? Parce que je ne vous parle même pas des conditions d’extraction d’autres matériaux, du cobalt notamment…

Et quelle est la seconde contradiction ?

La seconde contradiction, elle se trouve entre les impératifs de la transition énergétique et de la préservation de la biodiversité. Parfois, nous vivons dans une sorte d’illusion selon laquelle tout serait lié. Ce qui serait bon pour le climat serait forcément bon pour la biodiversité et les ressources naturelles, et vice-versa. 

"La réalité, c’est que certains projets qui sont utiles pour protéger le climat portent atteinte à la biodiversité. La mine d’Échassières en est un bon exemple."

François Gemenne

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Mais on peut aussi citer les barrages, ou le tunnel Lyon-Turin… Il va y en avoir de plus en plus, qui vont générer des tensions entre écologistes, et pour lesquels il faudra bien trancher. Parce que la transition a un coût environnemental. Dès que vous devez fournir de l’énergie ou transporter des gens, il y a un coût environnemental, quoi que vous fassiez. Même si ce coût est infiniment plus petit que le coût associé aux énergies fossiles. Alors soit nous assumons ce coût, en essayant de le réduire au maximum, soit on ne fait rien du tout. L’alternative est là.

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