Les catastrophes climatiques ont coûté 6,5 milliards d'euros aux assureurs en 2023, et "la facture ne va pas cesser d’augmenter", selon François Gemenne

Tous les samedis, on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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Le village inondé de Guînes, dans le Pas-de-Calais, le 11 décembre 2023. (YANN AVRIL / BIOSGARDEN / AFP)

Le dédommagement des sinistres liés aux catastrophes climatiques a coûté, en 2023, 6,5 milliards d'euros aux compagnies d'assurances, ce qui en fait la troisième année la plus coûteuse, selon la fédération France Assureurs, qui publie ces chiffres le mercredi 27 mars. Et cela n’arrête pas d’augmenter. Dans les années 2000, c'étaient 2,7 milliards d’euros en moyenne et dans les années 2010, 3,7 milliards. "Le changement climatique coûte de plus en plus cher et cela se ressent aussi dans le coût des polices d’assurance, la surprime CatNat, par exemple, va passer de 12 à 20% en 2025. Et malheureusement, c’est une facture qui ne va pas cesser d’augmenter", explique François Gemenne.

franceinfo : Mais jusqu'à quand ? Henri de Castries, l’ancien patron d’Axa, disait : "un monde plus chaud de quatre degrés n’est plus assurable".

C’est toute la question. On voit déjà certains assureurs se retirer de certaines régions, et refuser d’assurer certains risques. C’est le cas aux États-Unis, notamment. StateFarm, le premier assureur californien, qui est pourtant un assureur mutualiste, refuse désormais d’assurer de nouvelles habitations, en raison à la fois de l’inflation des coûts de construction, mais aussi de l’exposition croissante aux risques climatiques, et notamment aux feux de forêts. Et non seulement StateFarm refuse de prendre de nouveaux clients, mais va aussi mettre un terme à 72 000 contrats cet été, qui ne seront pas renouvelés pour les mêmes raisons. Et comme d’autres compagnies, comme AllState ou Hippo Insurance, appliquent la même politique, ça devient compliqué. Et c’est pareil en Floride, où la compagnie Farmers Insurance refuse désormais certains contrats, en raison du risque d’ouragan. Et on sait que le changement climatique augmente la fréquence et l’intensité des ouragans.

Des gens, risquent-ils de se retrouver sans assurance ? Est-ce qu’on pourrait imaginer ça en France ?

On peut évidemment le craindre, même si nous ne sommes pas en France dans un modèle d’assurances aussi libéral qu’aux États-Unis. L’État intervient bien davantage pour garantir la solidarité, notamment via le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. 

"En Outre-mer, le défaut d’assurance habitation concerne déjà plus de 30% des propriétaires dans, alors qu’il est marginal en métropole."

François Gemenne

à franceinfo

Il y a une vraie question de solidarité qui se pose ici, notamment pour les habitations qui sont très exposées, par exemple celles qui sont situées sur certaines parties du littoral. D’ici 2100, on pourrait devoir relocaliser jusqu’à 50 000 logements. Pourra-t-on encore, demain, assurer les habitations dans les zones à risques ? Est-ce qu’il faut moduler davantage les primes pour décourager l’habitat dans les zones à risques ? Pour l’instant, le modèle français est très solidaire et permet donc de maintenir des tarifs relativement bas dans les zones à risques. Mais ça a aussi tendance à déresponsabiliser les assurés.

Comment les assurances peuvent-elles remplir leur mission de protection face au changement climatique ?

Nous allons devoir intégrer davantage les compagnies d’assurances dans nos stratégies d’adaptation, sinon on ne s’en sortira pas, les factures ne vont pas arrêter de grimper, et la solidarité va se fissurer. Il y a plein de choses à faire, je vous donne quelques exemples. Au niveau mondial, le nombre de personnes qui habitent dans des zones à risques ne cesse d’augmenter. Comment les polices d’assurance peuvent-elles accompagner davantage la réorganisation de l’aménagement du territoire, notamment pour favoriser l’habitat dans des zones plus sûres ? Dans les zones rurales, comment les assurances agricoles peuvent-elles faire évoluer les modèles d’agriculture ? Quelles cultures est-ce qu’on assure, contre quels risques ? Et plus globalement, comment notre connaissance et notre gestion des risques peuvent-elles s’améliorer grâce aux modèles actuariels ? Pendant longtemps, on a raconté que les meilleurs modèles climatiques n’étaient pas dans les laboratoires des universités, mais chez les assureurs, et surtout chez les ré-assureurs, les assureurs des assureurs.

S’il y a bien une catégorie d’entreprises qui doivent anticiper les risques, ce sont les assurances, non ?

Évidemment. Les assurances ont un grand rôle à jouer dans nos politiques d’adaptation. Et c’est encore plus le cas dans les pays du Sud, où on estime que seulement 3% des biens sont assurés. 

"Le rôle des assurances ne doit pas seulement concerner l’adaptation. En matière de réduction des émissions, les assureurs ont aussi un rôle clé à jouer."

François Gemenne

à franceinfo

Elles assurent de très nombreux projets d’extraction d’énergies fossiles dans le monde. Tant que les industries du charbon, du pétrole et du gaz trouveront des assureurs pour leurs nouveaux projets, on continuera à développer ces projets. Parce que le problème, aujourd’hui, c’est que ces projets d’expansion fossiles continuent d’être assurés, tandis qu’on a beaucoup de mal à assurer les projets de transition énergétique dans les pays du Sud.

Pourtant, sans transition énergétique des pays du Sud, ça va être très compliqué d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Mais pour le moment, les investissements dans les pays du Sud sont totalement insuffisants, parce qu’il s’agit d’investissements plus risqués, en raison du contexte politique et économique. Et donc, aucun assureur ne veut prendre le risque de la première perte sur ces investissements. C’est là où il faut développer des partenariats avec les banques de développement, qui pourraient garantir ces investissements, et ouvrir ainsi la voie aux assureurs privés. Donc le secteur de l’assurance détient les clés de la transition, avec les banques ! Mais il n’y a pas que les banques.

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