La Suisse condamnée pour inaction climatique : pour François Gemenne, "la Cour rappelle tous les pays à leurs responsabilités"

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC. Samedi 13 avril : la condamnation de la Suisse pour manque d’action face au changement climatique.
Article rédigé par franceinfo
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Le siège de la Cour européenne des Droits de l'Homme, à Strasbourg (CHRISTIAN BEUTLER / MAXPPP)

La Cour européenne des Droits de l’Homme, à Strasbourg, a reconnu deux choses importantes : d’abord, que le changement climatique représente bel et bien une menace pour les droits humains. La cause était plaidée par une association qui représentait 2 500 femmes suisses de plus de 65 ans, les "seniors pour le climat", qui estimaient que le manque d’action de la Confédération face au changement climatique mettait leur santé en danger. Ensuite, la Cour a également reconnu qu’il était de la responsabilité des États de lutter contre le changement climatique, et qu’ils ne pouvaient pas s’en décharger sur les entreprises ou les citoyens.

D’après l’index sur les performances des différents pays face au changement climatique, conçu par l’ONG allemande Germanwatch, la Suisse se classe 21e. Ce n’est pas mal, mais c’est derrière des pays comme l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou comme l’Inde, qui est classée 7e. La France est au 37e rang, c’est-à-dire à peine mieux que la Belgique, ce qui situe le niveau…

Pourquoi la Suisse est-elle seule à être condamnée ?

Simplement parce que la plainte qui a été jugée recevable concernait la Suisse. Les citoyens se retournent contre leur propre gouvernement. Il y avait également une plainte contre la France et une plainte contre le Portugal, mais elles n’ont pas été jugées recevables par la Cour, pour des raisons de forme. Si les plaintes avaient été jugées recevables, il est probable que la France et le Portugal auraient condamnés aussi – alors que le Portugal est très performant en matière de lutte contre le changement climatique, classé 13e dans l'index Germanwatch.

C'est un arrêt de portée universelle, qui ne concerne pas spécifiquement la Suisse, en fait. Il s’adresse à tous les pays, pour leur rappeler leurs responsabilités dans la lutte contre le changement climatique, et pour rappeler le changement climatique menace bel et bien les droits humains, et pas juste les écosystèmes. D’ailleurs, la Suisse n’est pas lourdement condamnée en tant que telle : elle doit rembourser les frais de justice des plaignants à hauteur de 80 000 euros – je pense que la Suisse aura les moyens de payer… et surtout, elle doit se doter d’une législation sur la protection du climat.

À quoi servent ces procès sur le climat ?

On peut faire l’hypothèse que la condamnation de l’État français dans le cadre de "l’Affaire du Siècle" a poussé le gouvernement à agir davantage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et c’est vrai que notre trajectoire d’émissions s’est un peu infléchie depuis cet arrêt.

"Ce sont des procès largement symboliques, évidemment, mais qui créent une jurisprudence et qui exercent une pression sur les Etats."

François Gemenne

sur franceinfo

La recherche montre que ces procès exercent une pression sur les gouvernements, même s’il serait évidemment illusoire de compter uniquement sur les tribunaux pour réaliser la transition ! Les citoyens vont devant les tribunaux parce qu’ils estiment que les gouvernements n’agissent pas assez, et les tribunaux renvoient la responsabilité aux gouvernements.

Il y a énormément de procédures, partout dans le monde. Le Sabin Center, à l’université Columbia de New York, les recense continuellement, et accrochez-vous : aux Etats-Unis, rien qu’au niveau fédéral, il y a actuellement 1 349 procédures en cours pour inaction climatique, et ça ne compte pas les procès intentés contre les États fédéraux. Vous me direz que ce type de procédure est beaucoup plus courante aux Etats-Unis que dans le reste du monde, mais dans le reste du monde, il y a actuellement 782 procès qui sont en cours. Et il y a fort à parier que la plupart des tribunaux qui auront à juger de ces procès feront référence à l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans leur jugement.

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