Climat : le plan d'adaptation à +4°C du gouvernement va nous sortir du "déni" pour "gérer ce qui est inévitable", selon François Gemenne

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC. Samedi 17 février : l'adaptation aux prévisions de hausses des températures.
Article rédigé par franceinfo
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Station de ski des Bauges de la Feclaz, dans les Alpes du nord, le 1er février 2024. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu avait appelé l'an dernier à préparer le pays à un réchauffement possible de 4°C d'ici la fin du siècle. Alors que l'Accord de Paris prévoyait un réchauffement climatique limité à 2°C, le ministre avait créé la surprise en déclarant qu'il fallait sortir du "déni".

Le mois dernier, Christophe Béchu a présenté le plan du gouvernement pour l’adaptation : comment fait-on pour vivre dans une France à +4 degrés ?. L'analyse de François Gemenne, membre du Giec.

franceinfo : Un climat de +4 degrés, c’est énorme, non ?

François Gemenne : Oui et non, en fait. Oui, parce que c’est évidemment un bouleversement considérable. La température moyenne annuelle en France, est de 14°C. Si elle passe à 18°C, c’est un écart gigantesque, qui va d’abord affecter les écosystèmes, mais aussi notre santé et notre économie. Ça signifie une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes, comme les canicules, mais aussi une baisse de la productivité des travailleurs, par exemple – y compris pour ceux qui travaillent dans un bureau. C’est un bouleversement gigantesque, et donc un immense chantier.

Par contre, contrairement à ce qu’on a souvent pu dire ou lire, ce n’est pas du tout un scénario catastrophe.

"+4 degrés n’est pas du tout le scénario le plus pessimiste, contrairement à ce qu’on a pu croire. C’est un scénario médian, qui est encore relativement optimiste."

François Gemenne

à franceinfo

Le scénario à +4°C est celui qui correspond, au niveau mondial, à la trajectoire que prendraient les températures si tous les gouvernements respectaient strictement leurs engagements les plus ambitieux à ce jour. Cela correspondrait à une hausse de la température moyenne annuelle mondiale de 2,6°C d’ici 2100. Cela donne environ +4°C en France, puisque l’Europe est une région du monde où les hausses de températures sont plus marquées qu’ailleurs. Aujourd’hui, on est plutôt sur une trajectoire autour de +3°C au niveau mondial, ce qui amènerait une hausse de température supérieure à 4°C, en France. Mais il faut dire que le scénario qui était considéré pour l’adaptation, avant, c’était une France à +2°C. Donc, évidemment ce scénario fait un peu figure d’électrochoc.

Comment est-on passé d’un coup de +2°C à +4°C ? Si +4°C n’est pas un scénario pessimiste, le scénario à +2°C devait être sacrément optimiste, non ?

En effet. Une France à +2°C, ce n’est pas de l’optimisme, c’est de l’inconscience. On est déjà à +1,8°C, donc autant dire qu’on sera à +2°C dans quelques années. Et gouverner, c’est prévoir. En fait, on a très longtemps vécu dans le déni en ce qui concerne l’adaptation. 

"On a longtemps cru qu’on serait épargnés par les impacts du changement climatique, que c’était pour les autres, pour les générations futures, pour les pays du Sud."

François Gemenne

à franceinfo

Puis, à l’été 2022, on a réalisé qu’on était également vulnérables, et qu’on n’était pas du tout préparés. Et donc qu’on avait un immense retard à rattraper, et qu’il fallait mettre les bouchées doubles.

Mais pourquoi est-ce qu’on était en retard comme ça ? Ça fait pourtant des années qu’on alerte sur les conséquences du changement climatique.

L’adaptation a toujours été le parent pauvre de la lutte contre le changement climatique, en fait. Pendant très longtemps, c’était même un tabou dans la négociation internationale, parce qu’on craignait que ça ne fournisse un prétexte aux gouvernements pour retarder leurs efforts de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Et encore maintenant, on a volontiers tendance à considérer l’adaptation comme une forme de renoncement dans la lutte contre le changement climatique, comme si on abandonnait l’idée de réduire nos émissions et qu'on se résignait.

"L’adaptation a toujours été le parent pauvre de la lutte contre le changement climatique, comme si on se résignait à accepter ses impacts."

François Gemenne

à franceinfo

Mais le problème, c’est évidemment que les impacts du changement climatique ne dépendent pas uniquement de nos propres émissions, mais des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le futur climatique de la France ne dépend pas uniquement de nos propres émissions, de nos propres décisions, mais aussi de ce qui se passe à Washington, à Shanghai, à Delhi, à Lagos ou à Mexico… Et donc ça pose une vraie question en termes de souveraineté, dont on aura sûrement l’occasion de reparler. Ca implique aussi qu’on doive s’adapter de toute façon, quels que soient nos efforts pour réduire nos émissions, parce que ça ne dépend pas uniquement de nous. Il ne s’agit plus de choisir entre la réduction de nos émissions et l’adaptation : il faut faire les deux, c’est une question de physique du climat.

C’est pour ça qu’on a tellement de retard ? Parce qu’on n’avait pas compris que c’était une stratégie complémentaire à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, et qu’on pensait qu’il fallait choisir ?

Il faut dire aussi que le modèle économique de l’adaptation est différent. La réduction des émissions, c’est une stratégie d’investissement, qui va générer des bénéfices. L’adaptation mobilise aussi des financements très lourds, mais là, il s’agit d’éviter des coûts – c’est souvent moins attirant, politiquement parlant. Mais la bonne nouvelle, c’est que l’adaptation dépend largement de vous : la réduction des émissions demande une coordination internationale des engagements, ce qui n’est pas forcément le cas pour l’adaptation. Et surtout, il y a des politiques qui peuvent faire d’une pierre deux coups : la rénovation thermique des bâtiments, par exemple, ça permet à la fois d’éviter un gaspillage énergétique, mais aussi de s’adapter aux fortes chaleurs. On peut et on doit faire les deux : il faut à la fois éviter ce qui serait ingérable, mais aussi gérer ce qui est inévitable…

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