Sénégal : la loi d'amnistie pour pacifier le pays va laisser de nombreux crimes impunis, selon les ONG

Au Sénégal, une loi d'amnistie, votée mercredi, fait polémique. Cette loi, portée par le président Macky Sall, vise à pacifier le pays avant l'élection présidentielle. Mais elle pourrait aussi se transformer en impunité pour les responsables de violations des droits humains.
Article rédigé par Nathanaël Charbonnier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le président de l'Assemblée nationale, Amadou Mame Diop, ouvre l'examen du projet de loi d'amnistie à Dakar le 6 mars 2024. (JOHN WESSELS / AFP)

En pleine crise politique autour des élections présidentielles, les députés sénégalais débattent, mercredi 6 mars, de la loi d'amnistie voulue par le président Macky Sall. Cette amnistie, qui vise à pacifier le pays, notamment après le choc du report de la date par le président en place, concerne les actes liés aux violences politiques des trois dernières années. Mais elle est aussi décriée comme mettant à l'abri les auteurs de faits graves, y compris des homicides.

Pour comprendre l'enjeu de cette amnistie, il faut regarder ceux qui vont y gagner et ceux qui vont y perdre. En reprenant le texte, l'amnistie couvrira à première vue tous les faits susceptibles de revêtir la qualification d'infraction criminelle ou correctionnelle, commis entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024, tant au Sénégal qu'à l'étranger, et se rapportant à des manifestations ou ayant des motivations politiques. À première vue donc, cette amnistie devrait permettre la libération des prisonniers politiques, notamment issus de l'opposition, qui ont été arrêtés depuis trois ans. Cela représente un millier de personnes, sachant que plus de 300 ont déjà été libérées depuis le début de l'année.

Des tueries et des arrestations de manifestants qui resteraient sans enquêtes

Mais cela va aussi permettre aux fonctionnaires gouvernementaux et aux forces de sécurité d'éviter d'être poursuivis en justice pour les violations des droits humains commis durant cette période. Pour les ONG qui défendent les droits humains, cela revient à effacer l'ardoise dans de nombreuses affaires où il y a eu mort d'homme.

Amnesty International estime qu'il y a eu près de 60 personnes tuées, lors des manifestations qui se sont déroulées depuis 2021 dans le pays. Human Rights Watch avance un bilan de plus de 40 manifestants tués, mais on peut également ajouter un nombre conséquent d'arrestations arbitraires depuis trois ans. Des gardes à vue prolongées en dehors de toute légalité, mais aussi des accusations d'actes de torture au moment des arrestations ou durant les détentions. Cette loi d'amnistie signifie donc de faire une croix sur de nombreuses enquêtes, même si les actes de torture pourraient être exclus du champ de cette loi.

De nombreuses victimes estiment que cela va compromettre leurs chances d'établir les responsabilités dans ce qui leur est arrivé et, surtout, cela va empêcher de juger les coupables à l'origine de ces crimes et délits.

Une loi à l'encontre de nombreux traités internationaux signés par le Sénégal

Cela va d'ailleurs à l'encontre des traités internationaux dont le Sénégal est signataire. C'est l'un des arguments avancé par les ONG, qui rappellent que le Sénégal est signataire de la Convention contre la torture et signataire du statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui stipule que les personnes présumées coupables de crimes doivent faire l'objet de poursuites judiciaires. Cela va aussi à l'encontre des principes fondateurs de l'Union africaine et de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Finalement, si l'on met de côté le sort du médiatique et symbolique opposant Ousmane Sonko, actuellement en prison, cette amnistie profite avant tout au pouvoir en place. Les opposants libérés ne la souhaitent pas, car ils estiment ne rien avoir à se reprocher. En revanche, ils demandent que la justice passe, tout comme les familles de ceux qui ont été tués lors des manifestations depuis 2021.

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