Les Soudanais veulent le pain et la liberté
Depuis trois semaines, les manifestations se multiplient dans ce grand pays d'Afrique de l'Est dirigé d'une main de fer depuis 30 ans par Omar el-Béchir.
C’est un pays dont on ne parle quasiment jamais, l’une des plus vieilles dictatures africaines, et aujourd’hui elle tremble sur ses fondations. Tout a commencé le 19 décembre dernier par une simple manifestation pour réclamer du pain. Le prix du pain a triplé en l’espace de quelques mois dans ce pays d’Afrique de l’Est, grand comme trois fois la France. Depuis, il ne se passe quasiment plus une seule journée sans une manifestation. Les plus importantes ont eu lieu vendredi 4 janvier, à la sortie de la prière, à Omdourman, grande ville de deux millions d’habitants, située juste à côté de la capitale Khartoum. En trois semaines, plus de 800 personnes ont été arrêtées, et près de 40 ont été tuées, selon Amnesty International. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est donc la situation économique : inflation de 70% en un an, pénurie de carburants et de médicaments. Aujourd’hui, près d’un Soudanais sur deux vit sous le seuil de pauvreté. Il faut dire que les ressources en pétrole du pays ont chuté depuis l’indépendance du Soudan du Sud au début des années 2000.
Les médecins et les journalistes en tête de la contestation
Ce qui était au départ une grogne sociale tourne désormais à la contestation politique : les slogans entendus ces derniers jours sont explicites : "Liberté, paix et justice", "Nous voulons la fin du régime". En l’absence de partis politiques d’opposition ou de syndicats indépendants, certains corps métiers semblent jouer un rôle moteur dans la contestation : les médecins (plusieurs d’entre eux auraient été arrêtés), les enseignants, professeurs d’université et les journalistes. D’ailleurs plusieurs journaux ont été saisis par le pouvoir en fin de semaine dernière, et le plus célèbre des éditorialistes du pays, Faisal Mohammed Salih, a été interpellé.
Un régime militaro-islamiste
La contestation est donc en train de changer de nature : il ne s’agit plus seulement du prix du pain, il s’agit d’une attaque directe contre le tout puissant Omar el-Béchir, 75 ans, au pouvoir non-stop depuis 30 ans, depuis un coup d’Etat en 1989. Et bien sûr, le dictateur ne va pas rendre les armes facilement, parce qu’el-Béchir a tout à perdre. Il a concentré tous les pouvoirs, instauré un régime militaro-islamiste qui règne par la terreur, et il est soupçonné d’avoir abondamment couvert les réseaux terroristes internationaux. Enfin, il est poursuivi depuis près de 10 ans par la Cour Pénale Internationale pour "crimes de guerre" et "crimes contre l’humanité", "meurtres et viols en série" dans la région du Darfour. Le "maréchal président", c’est son titre, va donc tout faire pour rester en place. Ses ministres dénoncent déjà un complot du Mossad israélien, et sa police politique, le "service national de renseignement et de sécurité" est réputée féroce. Toute la question est de savoir si, à un moment donné, son entourage ne va pas le lâcher : le rôle de l’armée sera crucial dans les jours qui viennent, tout comme celui du principal soutien d’el-Béchir à l’étranger, l’Arabie Saoudite.
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