En Turquie, Osman Kavala, "ennemi de l'intérieur" du pouvoir, reste en prison
Un tribunal d'Istanbul a renvoyé dans sa cellule vendredi cet homme d'affaires et philanthrope turc incarcéré depuis plus de trois ans sans avoir été condamné. Ses relations avec l'Europe et ses opinions progressistes font de lui le symbole d'une société civile éprise de liberté que le président Erdogan veut étouffer.
Osman Kavala reste en prison. Cet homme d’affaires et philanthrope turc comparaissait une nouvelle fois vendredi 5 février devant un tribunal d’Istanbul. Emprisonné depuis trois ans et trois mois sans aucune condamnation, son cas – régulièrement soulevé par les capitales européennes – est devenu un symbole des violations des droits de l’homme dans la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan.
Erdogan fait pression sur les juges
Cette figure de la société civile turque est donc retournée dans sa cellule, juste après l’audience, la justice refusant obstinément sa remise en liberté alors qu’il n’a jamais été condamné. Pire, un tribunal l’a acquitté l’année dernière des charges de financement du mouvement de protestation de Gezi, au printemps 2013. Depuis, ce verdict d’acquittement a été annulé et la justice a ouvert un second procès pour "espionnage" et "tentative de renversement de l’ordre constitutionnel". La Cour européenne des droits de l’homme réclame sa libération mais à plusieurs reprises, le président Erdogan a appelé publiquement les juges à le maintenir en détention.
Pourquoi un tel acharnement ? Pour les défenseurs des droits de l’homme comme pour le pouvoir, Osman Kavala est un symbole. Pour le pouvoir, il est le symbole d’un homme riche qui a des relations étroites avec les organisations internationales, avec l’Union européenne, qui soutient les minorités opprimées, qui peut mettre en mouvement la société civile. Dans le discours islamo-nationaliste du pouvoir, qui divise le monde et la société entre "nous" et "les ennemis", Osman Kavala est devenu en quelque sorte le prototype de "l’ennemi intérieur". Et le pouvoir a besoin de ces "ennemis de l’intérieur" pour justifier la répression.
La peur d'un "nouveau Gezi"
Apaisement sur la scène internationale, durcissement sur la scène intérieure. À quoi joue le président turc ? En fin d’année dernière, l’Union européenne saluait des gestes d’apaisement mais une contestation étudiante semble avoir fait voler en éclat les fragiles espoirs de réformes. La priorité du chef de l’État ces jours-ci est effectivement d’étouffer la contestation d’une grande partie des élèves et des professeurs de l’université du Bosphore, un établissement public prestigieux. Leur revendication est simple, ils n’en ont qu’une : le départ du recteur nommé le 1er janvier par Recep Tayyip Erdogan. Pas seulement parce qu’il est très proche du parti au pouvoir et qu’il ne semble pas à la hauteur de sa mission – il est accusé de plagiat – mais d’abord et surtout parce qu’il a été nommé, comme désormais tous les recteurs, par le chef de l’État. Les étudiants réclament un retour à l’ancien système, celui d’avant 2016, où le président devait choisir parmi une liste de candidats élus par les enseignants.
Mais le président turc ne l’entend pas de cette oreille. Non seulement il refuse de céder, mais il attaque les étudiants en des termes de plus en plus virulents. Recep Tayyip Erdogan ne peut pas céder, car ce mode de désignation des recteurs n’est pas seulement un instrument de contrôle de l’enseignement supérieur, c’est aussi un symbole de la façon dont le pouvoir est exercé en Turquie depuis quelques années, depuis une réforme constitutionnelle qui a fait basculer le pays dans un régime où le président décide de tout, et où la moindre contestation est assimilée à une tentative de renversement. Recep Tayyip Erdogan semble hanté par le souvenir des manifestations du parc Gezi, en 2013, et la crainte que ce genre d’épisode ne se reproduise. Il a encore dit vendredi qu’il ne laisserait pas cette protestation étudiante devenir un "nouveau Gezi".
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