Maltraitance animale : comment les abattoirs freinent l'application des réformes
Plusieurs mesures pour éviter la maltraitance des animaux en abattoirs, comme la vidéosurveillance, ont été adoptées il y a un peu plus d’un an. Sauf qu’aucune ne fonctionne vraiment.
"Nous allons expérimenter la vidéosurveillance dans les abattoirs." Voilà quelle était la promesse du ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Travert, lors de l’adoption de la loi alimentation (loi Egalim) le 30 octobre 2018. Cette loi devait rééquilibrer les relations entre agriculteurs et distributeurs, mais aussi améliorer le bien-être animal, en particulier dans les abattoirs, visés régulièrement par les vidéos de l'association L214. Sauf que près d’un an et demi après l'adoption de cette loi, l'expérimentation de la vidéosurveillance ne concerne que… trois abattoirs. Rappelons que la France en compte près d’un millier : 265 abattoirs de boucherie (pour les moutons, bœufs, porcs, chevaux, etc.) et 669 abattoirs de volailles et lapins.
"On ne pourra pas se contenter de gens qui nous disent qu’ils ne veulent pas s’équiper", promettait pourtant le ministre de l’Agriculture en mai 2018. De même, en 2016, devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, le président de la Fédération nationale des exploitants d’abattoirs prestataires de services (FNEAP), Éric Barnay, estime que "l’installation de ces caméras ne posera pas de problème". Et il assure alors: "Beaucoup de nos adhérents y sont disposés."
Comment expliquer alors un tel fiasco ? "Il est possible que les abatteurs ne voient pas de réelle plus-value à entrer dans cette expérimentation", répond sobrement le ministère, qui promet que d’autres abattoirs peuvent rentrer dans l’expérimentation, tout en annonçant que "les candidatures ont été closes le 26 janvier dernier". Il y a certes les réticences de certains syndicats de salariés, notamment FO, qui dénoncent un flicage."J’avais sous-estimé l’opposition des salariés", estime le député LREM Loïc Dombreval, président du Groupe d’études condition animale à l’Assemblée. Il souhaitait rendre la vidéo obligatoire, mais il a dû reculer face aux pressions du ministre Stéphane Travert, comme l’avait montré la cellule investigation de Radio France en septembre 2018. Le rapporteur de la loi alimentation, le député LREM de Creuse Jean-Baptiste Moreau avance un problème de communication :
Il y a encore des abattoirs qui ne sont pas au courant que l’expérimentation a démarré.
Jean-Baptiste Moreau, rapporteur de la loi alimentation
Pourtant, le ministère semble ne pas avoir ménagé sa peine pour trouver certains candidats. C’est le cas de François Vannier, qui dirige l’abattoir Limovin, à Bellac, en Haute-Vienne. On lui a proposé de rejoindre la liste des abattoirs pilotes... sauf qu’il est déjà équipé de 30 caméras de vidéosurveillance sur toute la chaîne d’abattage, depuis quinze ans."On a été sollicité à plusieurs reprises. Mais nous n’avons pas souhaité y entrer puisque nous avons déjà la vidéosurveillance et nous considérons que c’est à d’autres abattoirs d’être candidats", estime-t-il.
Des caméras qui ne filment pas les animaux
Dans les faits, selon la filière, une cinquantaine d’abattoirs sont déjà équipés de caméras. Sauf qu’"une majorité d’entre elles ne filment pas l’abattage mais les parkings ou les entrées pour assurer la sécurité des établissements", a constaté le député Olivier Falorni, qui a mené une commission d’enquête parlementaire en 2016 sur le sujet. Par exemple, à l’abattoir d’Alès dans le Gard, des caméras ont été installées après le scandale de 2015 provoqué par une vidéo de L214. Mais comme le note la Cour des comptes dans un rapport d’octobre 2019, "ce n’est pas pour suivre le processus d’abattage, mais strictement pour assurer la sécurité du site".
Des référents sans réel pouvoir
L'autre promesse phare de cette loi alimentation concernait la nomination de responsables de la protection animale (RPA). Ce sont des salariés, désignés au sein des abattoirs, pour faire respecter les règles de bientraitance et signaler les éventuels manquements. La loi Egalim les a généralisés à tous les établissements. Sauf que cette mesure est très contestée par les associations.
Dans leur viseur d’abord, la formation, uniquement théorique et sur deux jours. Mais surtout, elles doutent de l'indépendance de ces RPA, et de leur marge de manœuvre. "Quand vous avez un lien de subordination, ce n’est pas évident d’aller voir votre employeur pour lui demander de changer les choses. Sur des images de L214, on voit des RPA qui étaient complices voire acteurs de maltraitance animale", rappelle Jean-Pierre Kieffer, président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, qui réalise régulièrement des audits dans les établissements. En avril 2017, un responsable de protection animale à l’abattoir du Vigan (Gard) a été condamné à huit mois de prison avec sursis pour des actes de cruauté.
Des pressions sur les lanceurs d'alerte
Mais surtout il existe des pressions de la direction sur ces salariés, et cela va même jusqu'à des sanctions, comme le raconte ce référent bien-être animal qui a exercé récemment dans un abattoir en Bretagne : "Quand on emmène les bêtes à la mort, on devrait les emmener deux par deux ou trois par trois mais guère plus. Sauf qu’on a des cadences infernales et qu’on se sert des bâtons, des aiguillons électriques, pour les faire avancer plus vite. Mais si on dit quelque chose, on nous répond ‘ce n’est pas ton problème, tu te tais’. Et si on est trop bavard, on va nous trouver le boulot le plus dégueulasse à faire et on va nous mettre là pendant 15 jours", raconte-t-il
Moi je n’aimais pas le désossage, donc on me disait 'si tu ouvres trop ta bouche, tu vas aller au désossage'. Ça m’est arrivé régulièrement d’y être envoyé.
Un référent bien-être animal, ancien employé d'un abattoir en Bretagne
Enfin, le troisième volet concernait la hausse des sanctions (doublement des peines pour les cas de maltraitance animale) et la promesse de contrôles stricts. Plusieurs types de contrôles existent en abattoirs : des contrôles permanents (2 155 vétérinaires sont affectés dans les abattoirs, qui ne peuvent démarrer sans la présence d'un agent vétérinaire) et des inspections complètes effectuées par les directions départementales de la cohésion sociale (DDCSPP) et qui ont lieu environ une fois par an. Les résultats de ces dernières sont systématiquement publiés sur l’application Alim’confiance, créée en parallèle de la loi alimentation. Or, comme l'a relevé l'association de consommateurs CLCV, le nombre de ces inspections complètes a baissé : en 2019, 1 132 chaînes d’abattage ont été inspectées, soit 30% de moins qu’en 2018.
Un abattoir aux pratiques douteuses jugé "très satisfaisant"
Ainsi, l’essentiel des forces de vétérinaires se concentre sur l’inspection de la viande, de sa qualité sanitaire, plutôt que sur les conditions d’abattage. "Dans les gros établissements, les chaînes sont trop longues pour que les confrères, qui sont à l’inspection sanitaire, aient un regard permanent sur la saignée, donc ils vont remonter épisodiquement pour voir si tout se passe bien", confirme Laurent Perrin, président du SNVEL (Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral) et vétérinaire à l'abattoir de Valençay (Indre). Résultat : certaines mauvaises pratiques perdurent.
Un exemple frappant illustre ces "trous dans la raquette" : l’abattoir Sobeval, en Dordogne, visé par une vidéo de L214 publiée le 20 février 2020, où l’on voyait notamment des animaux saignés alors qu’ils étaient mal étourdis. Cet abattoir a obtenu la meilleure note ("Très satisfaisant" sur Alim’confiance) lors d’une inspection réalisée le 12 novembre 2019. "Le jour où vous êtes en inspection, ça se passe comme vous le voyez à l’instant T, mais cela ne préjuge pas d’accidents, de cadences plus importantes, de problèmes techniques ou de personnels par la suite, confirme Laurent Perrin. Il est évident que dans des gros établissements de ce type, on a de temps en temps des accidents. Je pense qu’on a surtout besoin de plus de personnel pour limiter au maximum ces accidents."
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