Deux avocats vont porter plainte après des morts suspectes de vaches à proximité d'installations électriques
Dans plusieurs régions de France, les morts suspectes de vaches laitières se sont multipliées. Les éleveurs incriminent les réseaux électriques, mais aucun lien de causalité n'est scientifiquement établi. Plusieurs expériences d'interruption du courant semblent toutefois leur donner raison. La justice va être saisie.
A Nozay, à trente kilomètres de Nantes, le mystère reste entier. Pourquoi, en sept ans, plus de 300 vaches sont mortes depuis le début des travaux de construction du parc éolien de la ferme des Quatre seigneurs ? Pourquoi le lait des troupeaux de Didier Potiron et de Céline Bouvet est-il soudainement devenu impropre à la consommation ? Pourquoi les vaches refusent-elles d’aller au robot de traite, comme bloquées par une ligne invisible ?
Jusqu’ici, aucune de la vingtaine d’analyses effectuées n’a apporté d’explication. Les exploitations ont été mises hors de cause, tout comme les éoliennes et leurs câbles électriques. Claude Allo, ingénieur des techniques agricoles, et président du GPSE, le groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, qui dépend du ministère de l’Agriculture, ne comprend toujours pas ce qui se passe : "Nous avons multiplié les mesures électriques et nous n’avons pas trouvé de tension électrique susceptible d’expliquer ces problèmes. On a fait aussi des mesures d’infrason, le BRGM a fait une étude pour savoir s’il y avait des modifications du sous-sol, d’autres analyses ont été effectuées pour savoir si la composition de l’eau avait été modifiée. On n’a strictement rien trouvé. Et pourtant les faits sont là et ils sont indiscutables."
"La santé des vaches s’est améliorée quand les éoliennes se sont arrêtées"
Aujourd’hui pourtant, plusieurs agriculteurs entendent établir que lorsque l’électricité provenant d’un équipement électrique à proximité de leur champ a été coupée – qu’il s’agisse d’une ligne électrique, d’une éolienne, de panneaux photovoltaïques ou d'une antenne relais – la santé de leur troupeau s’est nettement améliorée. Dans certains cas, le lait est redevenu consommable. Ils ont pu le démontrer grâce aux données enregistrées sur leur robot de traite.
Parmi ces agriculteurs se trouvent justement ceux de Nozay, Didier et Muriel Potiron et Céline Bouvet. En 2017, les éoliennes se sont arrêtées pendant quatre jours, du 1er au 4 mars. A ce moment-là, le comportement de leur troupeau a radicalement changé. Prudents, ils ont fait faire un constat d’huissier. "Dans nos deux exploitations la différence était spectaculaire, se souvient Céline Bouvet. Au robot de traite des Potiron, il y avait beaucoup plus de passage, les vaches passaient toute seules, à l’inverse d’aujourd’hui ! Et dans mon exploitation c’était pareil, j’ai repris 200 litres de lait en deux jours ! Soit 2,5 litres de lait en plus par vache, c’est énorme".
Une plainte contre X
Ce changement de comportement a été mesuré de façon tangible par le robot de traite automatique installé dans la ferme des Potiron. La cellule Investigation de Radio France s’est procuré ces données.
Les données ont ensuite été analysées par un expert indépendant et elles sont incontestables, selon Maître Echezar, l’avocat des deux élevages de Nozay : "Il y a une augmentation de 143% du passage au robot de traite, une augmentation du nombre de traites par vache de 125% et la production a elle aussi augmenté".
Nous avons montré ce document à Arlette Laval, une ancienne enseignante à l’école nationale vétérinaire de Nantes. Elle connaît bien les deux exploitations de Nozay qu’elle a expertisées en 2016. Elle insistait à l’époque dans son rapport sur "la coïncidence chronologique" entre les troubles de santé des animaux avec les travaux d’installation des éoliennes.
À la lecture des données enregistrées en 2017 pendant l’arrêt des éoliennes, Arlette Laval, qui était plutôt sceptique au départ, considère désormais que c’est un tournant dans ce dossier : "Les résultats de cette étude sont clairs : on établit clairement un lien, validé statistiquement, c’est très important, par un expert indépendant, entre l’arrêt du fonctionnement des éoliennes et le comportement des vaches au robot. Avec pour conséquence une augmentation de la production. C’est extrêmement net. Cela indique que lorsque les éoliennes fonctionnent - est-ce une perturbation électrique, une vibration, des infrasons qu’on n’aurait pas mesurés ? - ça perturbe le comportement des vaches."
Maître Echezar, l’avocat des Potiron et de Céline Bouvet annonce qu’il va porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, visant indirectement la ferme des Quatre seigneurs, la Préfecture de Loire Atlantique et Enedis.
La justice reconnaît un lien avec la ligne à très haute tension
D’autres agriculteurs ont vécu la même situation. Dans la Manche, Thierry Charuel, un ancien producteur de lait, a construit un hangar de traite à 60m d’une ligne à très haute tension. En août 2012, le lait qui avait été déclaré invendable devient à nouveau comestible : "La qualité s’est anormalement améliorée par rapport à d’autres périodes. On ne comprenait pas pourquoi nos animaux allaient mieux. On a eu des rapports sur la qualité du lait et l’expert indiquait que seule la présence ou l’absence de stress ressenti par les animaux pouvait expliquer ce phénomène".
Il découvre ensuite par hasard que la ligne électrique a été coupée. Il attaque alors RTE, le transporteur d'électricité. En 2015, la Cour d'appel de Caen reconnaît un lien entre la mauvaise qualité de son lait et une ligne électrique. Une première. RTE est condamné à lui verser 40 000 euros d’indemnisation.
Amélioration après le déplacement d’une ligne
Dans l’Orne, Alain Crouillebois, éleveur depuis trois générations, a connu des problèmes en 2011 quand Enedis fait enterrer une ligne de 20 000 volts à vingt mètres d’un de ses bâtiments. De multiples aménagements et travaux financés par le GPSE ne modifient guère la situation, selon l’éleveur. Convaincu que la ligne enterrée est responsable des troubles, il décide alors de la faire déplacer à ses frais. Les travaux durent d’avril à juin 2019. Dès le 4 juin, les résultats sur son robot de traite montrent une amélioration significative du comportement de son troupeau. "Les veaux se remettaient à se nourrir spontanément et profitaient mieux. Les vaches acceptaient de rentrer toutes seules au robot de traite, la fréquence de traite augmentait, la production de lait est remontée à 28 litres. On s’est aperçu aussi qu’avant 2011 les animaux se réfugiaient dans certaines zones du bâtiment, toutes au même endroit, laissant le reste de la stabulation vide. Depuis le 4 juin je n’ai plus ce phénomène-là, les animaux ont littéralement changé de comportement", affirme Alain Crouillebois.
Des plaintes à venir, le tribunal administratif saisi
Même si à ce jour aucun rapport n’a établi scientifiquement de lien de causalité entre la santé des élevages et l’exposition aux champs électriques et magnétiques générés par des lignes à haute tension, un autre avocat, Maître Lafforgue, veut demander des indemnisations pour Alain Crouillebois et pour une douzaine d’autres éleveurs regroupés au sein de l’association Animaux sous tension : "On va engager des procédures pour chacun de ces éleveurs pour obtenir réparation des préjudices car ils sont considérables. Il y a des pertes d’exploitation très importantes. Certains éleveurs ont dû mette la clef sous la porte. On va donc demander aux responsables d’indemniser le préjudice subi par les éleveurs en saisissant les tribunaux le cas échéant."
Maître Lafforgue a aussi saisi la justice administrative le 30 octobre. Il réclame au GPSE et au ministère de l’agriculture de nombreux rapports et expertises qu'il n'arrive pas à obtenir. "Il y a des situations où des installations électriques et des antennes relais ou des lignes à haute tension sont à l’origine de problèmes pour les exploitations pour les éleveurs. Lorsqu’on a apporté des modifications à ces installations électriques, la situation s’est très nettement améliorée. Il est anormal aujourd’hui que le GPSE et le ministère de l’agriculture refusent de nous transmettre des informations qui permettraient de nous éclairer sur la situation exacte de ces élevages."
Selon Serge Provost, un des fondateurs de l’association Animaux sous tension, des centaines d’éleveurs auraient arrêté leur élevage suite à des problèmes induits par des équipements électriques.
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