Regard sur l'info. Ce que les mots "réfugiés" et "migrants" disent de nous
Réfugié, migrant, le statut des ces personnes est-il différent ? Et que signifient ces termes pour nous ? Après un âge d'or pour les migrants des années 50 aux années 70, le discours public dominant aujourd'hui, "c’est que la plupart des demandeurs d’asile sont des faux", explique Karen Akoka, maître de conférence en sciences politiques à l’université de Nanterre.
Karen Akoka, maître de conférence en sciences politiques à l’université de Nanterre, vient de publier aux éditions de La Découverte, L'asile et l'exil, une histoire de la distinction réfugiés/migrants. Karen Akoka est l'invitée de Thomas Snégaroff pour ce nouveau Regard sur l'info.
franceinfo : Ce mot "réfugié", qu’est-ce qu’il signifie ?
Karen Akoka : "Réfugié", c’est un statut juridique qui est adossé à une définition, selon l’ONU "toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays…". En France, c’est l’OFPRA, l'office français de protection des réfugiés et des apatrides qui le détermine.
On entend souvent indistinctement les mots "réfugié" ou "migrant", est-ce que ce sont des notions interchangeables ?
À mon sens, un réfugié est un migrant. Un migrant c’est quelqu’un qui est né à l’étranger et qui réside dans un pays dont il n’a pas la nationalité. Ensuite, il y a parmi les migrants, des gens qui demandent l’asile, qui obtiennent le statut de réfugié. Seulement, on est aujourd’hui dans un moment de très forte dichotomie entre ces deux groupes.
Mon livre vise en partie à analyser la hiérarchie qui s’est opérée entre le réfugié, considéré comme légitime, et le migrant, considéré comme illégitime.
Karen Akoka, auteure de "L'asile et l'exil"
Quelle différence alors est aujourd’hui opéré entre les deux catégories ?
Alors pour moi, un réfugié, ce n'est rien d’autre que quelqu’un qui a obtenu le statut. Cela n'en dit pas plus sur sa trajectoire. C’est le résultat d’un processus de catégorisation, et tout mon livre consiste à inverser le regard et à cesser de décortiquer les motivations, les trajectoires des individus, pour voir si ce sont des vrais ou des faux, si ce sont des migrants ou des réfugiés, mais prendre acte que la plupart des vies sont dans des continuums, que les catégories, elles, ne reflètent pas la complexité des vies.
Il faut plutôt regarder du côté de ceux qui administrent l’étiquette, inverser le regard, regarder ceux qui désignent, plutôt que ceux qui sont désignés.
Karen Akoka
Vous nous dites dans votre livre qu’il y a un âge d’or du réfugié, des années 1950 aux années 1970, l’image du réfugié est la plus positive. Et puis il y a un glissement. On est dans ce temps là…
L’âge d’or correspond aux Trente Glorieuses où le taux d’accord au statut de réfugié était de 80%. On avait l’impression que tout se passait bien dans le meilleur des mondes, que les personnes qui se présentaient devant l’institution étaient des "vraies", et que l’institution faisait bien son travail. Le discours public dominant aujourd’hui c’est que la plupart des demandeurs d’asile sont des "faux", puisque le taux d’accord au statut de réfugié, il est à 20%. C’est bien la preuve que désormais ce sont des individus qui se font passer pour des réfugiés mais qui ne le sont pas.
Je suis allée étudier cette période-là, cet âge d’or qui irrigue nos représentations sur aujourd’hui. Ce qu’on voit, c’est qu’à cette période-là, la majorité des personnes qui demandent l’asile, elles obtiennent le statut de réfugié parce qu’elles viennent de pays communistes, et le statut de réfugié dans ce contexte de guerre froide, l’attribuer, c’est une manière de mener l’affrontement idéologique. On ne demande pas alors aux gens s’ils sont individuellement persécutés, comme aujourd’hui. Cela ne posait pas de problèmes s’ils avaient des motivations économiques. Il suffisait presque qu’ils soient Hongrois, Roumains ou Tchèques pour obtenir le statut. Et puis, plus tard, dans les années 1980, Cambodgiens, Laotiens, Vietnamiens.
Aujourd’hui, on n’est plus du tout dans cette configuration. Les exigences sont bien plus importantes. Au fond, cette figure du dissident soviétique, du vrai réfugié, dominante des Trente Glorieuses, elle a construit en creux, l’idée qu’aujourd’hui, ils seraient tous des faux.
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