Sports et nature : "Il y avait plein de chemins traditionnels, souligne Jean Viard, mais les gens ont essayé de casser les droits de passage historiques"

La 30e édition des Journées des Chemins se déroule en France jusqu'au 17 mars. Des milliers de bénévoles œuvrent depuis 1994 à la sauvegarde des chemins ruraux, indispensables à la pratique des sports de nature, et à la bonne entente entre les différents usagers.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Défense de la liberté de se promener, des loisirs verts, et appropriation de son territoire : c'est le lancement des 30e Journées des Chemins en France. (TOMCH / E+ /  GETTY IMAGES)

Depuis le début du week-end et pour les 15 prochains jours, la 30e édition des Journées des Chemins se déroule en France. Plusieurs milliers de bénévoles dans une centaine de communes, un peu partout sur le territoire, se mobilisent pour nettoyer, pour débroussailler, pour entretenir, voire pour rouvrir des chemins ruraux tombés un peu à l'abandon. Une question de société que l'on décrypte avec le sociologue Jean Viard. 

franceinfo : Qu'est-ce qui est important là, selon vous, c'est de s'approprier son territoire ? Celui qui est le plus proche de chez soi ? 

Jean Viard : C'est d'abord être dans la nature, marcher dans la nature, regarder les fleurs, etc. Après, on ne se promène pas du tout de la même manière. Par exemple, si on chasse, on a une forme d'observation, on se lève à l'aube, c'est complètement différent des grandes randonnées, des promenades, il y a différents rapports. Et on est dans une époque où on a beaucoup envie de rapports à la nature, de pouvoir montrer à nos enfants les arbres, etc.

Alors les chemins de grande randonnée, ça date de l'après-guerre, en 1947, l'Association nationale, ça s'était construit dans l'entre-deux-guerres, où il y avait des associations locales, mais aujourd'hui, ce qui est original dans la demande, c'est qu'il y a des gens très différents, parce qu'il y a des chasseurs, des marcheurs, des gens à moto, des gens à cheval, donc il y a tout ça.

En effet ces Journées des Chemins, organisées par le collectif des loisirs verts, ça promeut la marche, le VTT, le cheval, mais aussi la moto, le quad, le 4x4, tous les engins motorisés, il y a toute cette diversité, la chasse aussi d'ailleurs ?

C'est pour ça que je dis que ce n'est pas la même chose, et il y a aussi "l'environnement support" qui n'est pas le même. Si vous passez en quad, ou en 4x4 dans un terrain, forcément il n'y a pas la même réaction que si vous passez à pied ou même à cheval. De même que le chasseur, c'est encore un autre rapport au territoire.

Mais la question c'est : est-ce qu'on a le droit de passer ? Parce que pendant longtemps, le gaullisme a décidé que la beauté était supérieure à la propriété, ce sont les parcs nationaux, c'est le classement d'un certain nombre de bâtiments. Ça vous appartient, mais on dit : "non Monsieur, non Madame, vous ne pouvez pas le transformer parce qu'il est classé."

C'est l'idée que la beauté est un bien collectif, et que la propriété n'est qu'un bien privé, c'est une idée qui s'est développée aux Etats-Unis au XIXe siècle, mais chez nous, sous le gaullisme. Après, est-ce qu'on a le droit de promenade ? Alors, c'est une question complexe, parce que la chasse, par exemple, on a le droit de chasse quand on est membre de l'Association de la société de chasse. Et d'ailleurs, cette autorisation s'arrête à 150 mètres des maisons, où là, le terrain revient au propriétaire. C'est lui qui peut décider ou pas que vous pouvez chasser à 150 mètres, et toujours en tournant le dos à la maison.

Donc la question c'est : qu'est-ce qu'on supporte ? Est-ce qu'on supporte un chasseur ? Est-ce qu'on supporte un promeneur ? Est-ce qu'on supporte un quad ? Moi qui habite à la campagne, ce qu'on ne supporte pas autour de chez moi, ce sont les quads. C'est le bruit de la mécanique, c'est la moto. Quelqu'un qui passe à cheval au bout de votre terrain ou sur votre terrain, c'est beaucoup plus facile. Après, il faut dire aussi qu'on a monté des barrières, qu'il y a plein de chemins qui étaient des chemins traditionnels. Petit à petit, il y a eu des barrières, les gens ont essayé de casser les droits de passage historiques.

C'est précisément pour contre cela que lutte ce collectif des loisirs verts, justement ?

Bien sûr, mais le problème complexe, c'est que le droit de passage est trentenaire, c’est-à-dire que si personne n'est passé pendant 30 ans, le droit de passage s'éteint. Donc ce n'est pas quelque chose de simple. Et puis ce n'est pas non plus pour les mêmes usages, parce qu'avant, on montait les troupeaux à la montagne, donc il y avait des fonctions inscrites dans la culture locale du territoire, la promenade en quad n'en faisait pas partie, parce qu'il n’y avait pas de quad.

Il y a un vrai débat. Et qu'est-ce qui est un espace privé et qu'est-ce qui est un espace public ? Et il y a la loi littorale : on ne peut pas empêcher les gens de passer au bord du littoral, mais allez autour du lac d'Annecy, il y a plein d'endroits où vous ne pouvez pas passer... Donc, c'est un vrai sujet, de la liberté de se promener, mais en même temps du respect aussi des maisons, des propriétés, de pas abîmer les plantes, de pas cueillir de fleurs.

Alors c'est l'intérêt des GR, parce que les chemins de grande randonnée sont négociés, il y a des couleurs différentes, il y a un code, il y a 75.000 kilomètres de GR. Et on estime qu'il pourrait y avoir à peu près 250.000 kilomètres qui pourraient être organisés, pour donner un ordre de grandeur des possibilités. Mais après, on peut comprendre aussi que tout bruit n'est pas acceptable à tout endroit, de même que certains propriétaires ne veulent pas de chasseurs autour de chez eux, c'est quelque part leur droit.

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