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Question de société. Pandémie : "Pour sauver la vie des anciens, on a accepté de ruiner en partie notre économie, c'est quelque chose de grandiose"

Retour sur une année inédite et difficile, et parfois tragique pour de nombreuses familles qui ont perdu l'un des leurs dans cette pandémie de Covid-19. À l'heure où les premiers vaccins sont administrés en France, un bilan réflexion sur cette année 2020 pas comme les autres. 

Article rédigé par franceinfo, Edouard Marguier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
2020, une année d'accération de tendances, on a basculé dans le monde numérique, écologique, et on a sauvé des millions de vies. 2021 arrive masqué, mais avec des vaccins.  (MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Pour ce dernier rendez vous de l'année, dans Question de société, nous revenons avec le sociologue Jean Viard sur ce défi immense que représente la pandémie de Covid-19 pour l'humanité.

franceinfo : Vous le soulignez, il faut avoir conscience de l'effort collectif que nous avons fourni cette année ? 

Oui, 2020 a été une année tragique. Il y a un million et demi de morts sur la planète, plus de 60.000 en France, etc. On a tous eu peur. Les EHPAD ont été des lieux d'angoisse, encore plus. Tout ça, c'est absolument évident. Et en même temps, c'est une année d'extraordinaire. Innovation d'abord dans nos vies privées. Il a fallu qu'on s'occupe. Ça m'a frappé, par exemple, à la fin de la première pandémie, on a commandé 300.000 piscines. Je suis passé chez un marchand de matelas, il avait été dévalisé. Un autre n'avait plus de télés. Et puis, la lecture a explosé puisqu'en juin, la vente de livres a augmenté de 10,5% par rapport à 2019. Et là, à la fin de cette année, les libraires, c'est une vraie folie. Pourquoi ? Parce que les gens ne peuvent pas aller au théâtre, au cinéma, alors ils lisent davantage.

Donc, ça a été une année où on a tous cherché des arrangements. On a appris à se servir de Zoom, de Skype. On a fait des Skype avec les grands-parents. Finalement, on a appris le télétravail. Il y a toutes ces transformations, à la fois individuelles, il y a aussi les couples qui se sont retrouvés. Les couples qui ont explosé. Y a eu les violences conjugales. Il faut dire tout ça. Mais il y a beaucoup de couples qui ont été extrêmement heureux en 2020. Il ne faut pas l'oublier, parce qu'ils étaient d 'un coup renvoyé sur l'autre, ils sortaient moins, ils étaient disponibles. Je pense que ça a été aussi un moment de joie dans beaucoup de couples.

Ça a été une année d'accélérateur de tendances, comme on dit. On a basculé dans le monde numérique. On a basculé dans la question écologique, et donc on se dit que le réchauffement climatique, ça ne peut pas continuer. Donc là, je pense qu'on est dans une nouvelle période politique.

Jean Viard

franceinfo

Alors regardons l'aspect tragique, mais disons-nous pour le dire positivement, on est passé d'un monde qui était en déliquescence politique, et qui n'était régi que par l'économie – qui nous a entraîné depuis 50 ans – à un nouveau monde. On a accéléré la mutation et ça, c'est la bonne nouvelle de 2020. À travers les souffrances, on a appris.

Selon vous, Jean Viard, plus que des grands changements, ce sont des tendances qui se sont accélérées par la crise que nous vivons ? 

Oui, absolument, parce qu'on a tous réfléchi. En plus, si vous voulez, je pense qu'on aura tous envie de se dire bon, qu'est-ce que je fais maintenant ? Parce qu'il y a aussi cette volonté de chaque individu d'être acteur, autant que faire se peut, de sa destinée. Même si je suis conscient qu'il y a un million de pauvres en plus, il y a 60.000 morts. Il y a les étudiants et les jeunes pour lesquels ça a été une année terrible parce que c'est une restriction totale cette année. La jeunesse, les aventures, qu'est-ce que c'est qu'un étudiant qui ne fait des cours que par télétravail, et qui n'a pas de copains ? Les étudiants, c'est une vie de groupe, c'est une vie de communauté, c'est tout ça. Donc tout ça existe.

Et puis, il y a une chose qu'il faut dire : on a sauvé en 2020, en France des centaines de milliers de vies, et dans le monde, des millions. Je le dis souvent, mais on se bat à 5 milliards, puisqu'on est 5 milliards à avoir été confinés à peu près au cours de l'année, on se bat pour la vie des anciens, et pour ça, puisque c'est plutôt les vieux qui meurent, pour sauver la vie des anciens, on a accepté de ruiner en partie notre économie.

Et d'un point de vue du récit mémoriel qu'on aura dans les décennies suivantes, c'est quand même quelque chose de grandiose ! Ruiner l'économie dans une société fascinée par la consommation, par le travail, par tout ça, pourquoi faire ? Pour sauver les plus anciens. Quelque part, il y a une immense beauté dans cette tragédie. 

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