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Question de société. Jean Viard sur le yo yo émotionnel des Français : "On ne fait pas assez de choses pour aider les gens à vivre cette période"

Comment les Français vivent-ils le yo yo émotionnel que provoque la crise sanitaire ? Les vacances de février sont en cours, les chiffres de la pandémie sont stables, mais certains départements pourraient être à nouveau confinés. Le sociologue Jean Viard nous aide à décrypter cette période pour le moins lassante et incertaine.  

Article rédigé par franceinfo, Edouard Marguier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une période trop incertaine, trop lassante..."On a un problème, c'est le futur", nous dit Jean Viard. Illustration (GETTY IMAGES / WESTEND61)

Question de société évoque aujourd'hui avec le sociologue Jean Viard la situation stationnaire en France pour la pandémie avec des chiffres stables et des températures printanières qui nous poussent à vouloir reprendre une vie normale... Mais le département des Alpes-Maritimes, qui risque d'être reconfiné, montre que rien n'est gagné.

franceinfo : Face à cette épidémie, Jean Viard, franchement, depuis presqu'un an que ça dure, la société n'est-elle pas fatiguée de ce yo yo émotionnel ? 

Jean Viard : Oui, la société est fatiguée, on est tous fatigués. Surtout qu'en ce moment, on est un peu dans un creux. On avait l'horizon du vaccin, mais il est clair qu'on en fabrique pas assez. Ça ne va pas assez vite, etc. Dans deux ou trois mois, ça devrait aller mieux, encore qu'on verra, avec les variants. Mais ce qui est clair aussi, c'est qu'on entre en période électorale, et qu'on va arriver sur les régionales, sur les départementales, la présidentielle, donc ça va être de plus en plus difficile d'y comprendre quelque chose, dans une situation totalement insaisissable où chaque décision est aléatoire.

Mais je voudrais dire une chose : au fond, quel est le désir des gens en ce moment, c'est de se sentir protégé. Et si vous voulez, on ne se sentait pas protégé avant cette pandémie. Ce qu'on appelait le grand vent de la mondialisation, la fin des frontières, les migrations, il y avait un sentiment de déprotection culturelle et économique dans les milieux populaires, qui était très fort, et qui menait à des votes extrémistes. Là, au fond, on s'est ressenti protégé, d'une part, parce que l'invention du vaccin, au fond, c'est une protection entre l'homme et la nature, et c'est quand même merveilleux comme invention, encore qu'il faut la faire évoluer.

Et puis, on s'est protégé parce qu'on nous a mis des règles, etc. C'est pour ça qu'on les accepte au fond, même si on vous dit : ne sortez pas après 18 heures, on va de plus en plus râler parce qu'il fera beau, mais en même temps, si ça me protège... Regardez, c'est ça qui est paradoxal, c'est qu'il y a des gens qui protestent, mais au fond, le président de la République est plutôt en progression, ou en tout cas, il est stable dans l'appréciation de ce qu'il fait, plutôt haut et plus haut en tout cas, que ses prédécesseurs.

Moi, j'ai tendance à penser qu'on ne fait pas assez de choses pour aider les gens à vivre cette période. Vous voyez par exemple, le samedi soir, le dimanche, qu'on puisse rentrer en voiture jusqu'à 9 heures du soir. Une fois qu'on est dans sa voiture, ça transmet pas la maladie, pour les gens qui vont à la campagne.

Prenez les étudiants ou les jeunes qui, en ce moment, s'ennuient à mourir. Pourquoi on leur a pas offert 10 millions de livres de poche, ça ne coûte rien un livre de poche à fabriquer. Ça fait 50 centimes. Pourquoi on n'a pas aussi des politiques pour donner du contenu à ce plan, pour l'aider à vivre.

Jean Viard, sociologue

Parce qu'il y en a qui le vivent bien : les équipements de la maison ont explosé +30%. Les guitares ont explosé +20% donc les gens se font un cocon, le mieux possible, mais compte tenu de la restriction qui est la leur. On pourrait aussi se dire : aidons les gens à vivre, ceux qui ne peuvent pas faire ça, c'est qu'ils n'ont pas envie d'acheter une guitare. Mais on pourrait leur offrir des livres. Il y a toute une réflexion sur ces sujets. On pourrait leur permettre de rentrer en voiture le soir quand ils quittent la ville dans les très grandes villes, parce que rentrer dans Paris, ça prend trois heures. Il faut habiter un peu plus humainement ce qu'on est en train de vivre.

Comme si on n'avait pas tiré les leçons depuis un an de toute cette crise qu'on est en train de vivre ? 

Si, on a tiré certaines leçons, on est devenus tous compétents. D'abord, on n'arrête pas de regarder la télé , on est tous des grands médecins... On sait mettre des masques. Pourquoi est ce qu'on y arrive ? Parce qu'on a accepté aussi politiquement 300 morts par jour. On va dire les choses comme elles sont. Ça peut être horrible, mais il y a un an, on n'aurait pas accepté. On est sur un plateau très haut. Mais en même temps, les gens ils n'arrêtent pas de faire attention, de se laver les mains, ils mettent des masques. Regardez Noël. Il n'y a eu aucune explosion à Noël. On est devenu hyper prudent. Après, au niveau du moral, effectivement, on a un problème, c'est le futur, c'est pour ça qu'il faut allumer la lumière.

Regardez en ce moment, il y a plein de gens qui louent leur maison pour les vacances d'été. Ils savent très bien qu'avec la loi, ils pourront décaler leur location. Mais c'est une façon de se dire : "Attends, chéri, on essaie d'avoir un rêve parce que la vie est horriblement pénible". Le problème, c'est d'aider les gens à avoir des rêves, notamment ceux qui ont le moins de moyens.

Il y a 10 millions de personnes isolées en France. Il n'y a pas que les étudiants. La plupart des étudiants ont quand même une famille. C'est pour ça que le discours sur les étudiants, je l'entends, mais quand l'Unef parle du fait quasiment qu'on assassine les étudiants, moi, mon grand-père a fait Verdun, mon père a fait la guerre en 39, j'ai été étudiant durant la guerre d'Algérie pendant 24 mois. Donc mollo, faut quand même pas exagérer. Voilà, c'est tout ça qu'il faut dire.

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