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Question de société. Jean Viard : "La vraie question, c'est comment le monde de la culture traditionnelle va se marier demain avec la culture numérique"

La colère du monde de la culture aujourd'hui au coeur de notre rendez-vous. Cinémas et théâtres restent fermés sur décision du gouvernement. Dans "Question de société", le sociologue Jean Viard décrypte aujourd'hui cette colère des artistes. Le comédien Charles Berling a parlé sur franceinfo d'une "culture mise en pâture". 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La culture des "élites urbaines" n'englobe pas la culture des jeunes, plus orientée vers le numérique, les radios, Internet, selon le sociologue Jean Viard. Comment marier culture traditionnelle et culture numérique ? Illustration (YUICHIRO CHINO / GETTY IMAGES)

On a entendu ces derniers jours la colère et le désespoir du monde de la culture. Avec le sociologue Jean Viard, on revient aujourd'hui sur cette décision du gouvernement Castex, qui a décidé cette semaine de maintenir les lieux culturels fermés. Le comédien Charles Berling a vivement réagi sur l'antenne de franceinfo en parlant de "culture mise en pâture". 

franceinfo : "La culture mise en pâture", Jean Viard, est-ce que la vie culturelle française repose sur les théâtres et les cinémas ? 

Jean Viard : Non, ça me fait un peu sursauter. Rappelons quand même que le but c'est de sauver des vies, et que le but, c'est aussi de limiter les flux. Alors, on fait des choix aléatoires qui sont tous discutables. Mais le but, c'est qu'il y ait moins de monde qui circule. Après la culture, excusez moi, ce n'est pas que le spectacle vivant, c'est la télévision, c'est la radio, les séries et les films qu'on voit à la télé. C'est évidemment la lecture qui est en train d'exploser. Donc, je suis très solidaire de la crise du théâtre vivant et des cinémas. Mais comme des bars, des restos, des salles de sport, des terrains de foot et des stations de ski. Il y a toute une partie des pratiques sociales qui sont limitées, mais profitons-en pour réfléchir sur la culture.

C'est-à-dire ?

Effectivement, il y a une augmentation des publics depuis quelques années, c'est vrai, et qui est liée à une augmentation du niveau d'études. Donc, on a raté la démocratisation. Et par contre, comme il y a plus de gens qui vont à l'université, et que le principal coeur du public, ce sont effectivement des gens urbains, instruits et à bons revenus, comme ce groupe social augmente, je dirais les gens dans les salles augmentent, mais le problème c'est comment demain, on va se reposer la question de la démocratisation. Et puis, les jeunes.

La culture du spectacle, de l'opéra, etc. c'est une culture qui ne va pas vers la jeunesse. La jeunesse a basculé dans une culture numérique. Toute la question des "tiers lieux" qui est très intéressante, une culture de l'écoute, etc. Regardons bien que ce qu'on appelle la culture n'est qu'une partie des pratiques sociales, à mon avis, les pratiques sociales urbaines, et donc très parisiennes, et donc aussi, évidemment, très proches des journalistes qui transmettent les messages. 

La démocratisation de la culture passait sûrement par la télévision depuis plusieurs dizaines d'années, par le numérique maintenant, et plus dans les salles. C'est ce que vous voulez nous dire ? 

Il y a plus de monde dans les salles parce que les "élites sociales", les urbains cultivés, il y a de plus en plus, avec la démocratisation de l'université, mais de l'autre côté, les milieux populaires, les milieux ruraux, etc. qui représentent la très grande majorité de la population, ne sont pas consommateurs.

Le seul bien culturel de salles qui a augmenté très fortement, c'est celui du cinéma. Il est revenu à son niveau de 1966, à peu près. On voit en moyenne 3 films par an et par Français. C'est le lieu où il y a le plus de monde. Donc, le cinéma c'est un enjeu essentiel, même si je rappelle qu'en 1945, il y avait 350 millions de gens dans les salles.

Je crois que la question, notamment vis à vis de la jeunesse d'aujourd'hui c'est qu'elle ne consomme pas la culture du théâtre et de l'opéra. Les jeunes vont effectivement dans le numérique, dans les tiers lieux, ils sont effectivement sur les radios, évidemment sur Internet. Donc, la vraie question, c'est comment le monde de la culture traditionnelle va se marier avec la culture numérique. Si ce mariage ne prend pas, il faut rappeler quand même que la culture est essentiellement sur fonds publics. Donc, les gens ne sont pas en train de mourir de faim comme certains restaurateurs. Faut mettre tout ça sur la table. 

Au moment de la fermeture des commerces dits "non essentiels", on se souvient du débat quasi éruptif propre au sort des librairies, qui étaient loin d'être les seules à devoir baisser le rideau. Mais on en parlait beaucoup. Est-ce que cela témoigne d'une exception culturelle française ?

On parlait avant la crise de l'exception sanitaire française, de nos hôpitaux, de notre sécurité sociale, qui était tellement merveilleuse, confrontée aux autres. On s'est rendu compte que ce n'est pas tellement vrai. Le livre, en ce moment marche extrêmement bien. On a jamais vendu autant de livres, donc la part de la culture qui est le livre, on peut accepter de la mettre dedans, on se rattrape en partie, parce que les pertes ne reviennent pas. Les pertes du printemps ne reviennent pas, mais quant à l'exception culturelle, on change très souvent de ministre de la Culture, ça fait au moins trois présidents de la République qui ne font pas de l'enjeu de la culture un enjeu central, ni en terme de réinventer la démocratisation, ni en terme d'ouverture à la jeunesse. Je pense que c'est ça qui serait le grand enjeu d'une grande politique culturelle pour demain.

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